• Aucun résultat trouvé

§1 Un encadrement strict du recours à l’équité pour le juge judiciaire français

A) Un système judiciaire sui generis : l’existence de différents juristes Le système judiciaire musulman est un système sui generis qui ne ressemble

1. Les variantes de l’istihsan

L’istihsan se distingue en deux principaux types: l’istihsan analogique

(istihsan al-qiyasi) et l’istihsan exceptionnel (istihsan al-istithnai).383 Les deux types

impliquent l’abandon d’une règle existante en faveur d’une autre règle. Il y a une volonté d’écarter la règle si son application au cas d’espèce conduit à un résultat qui dénature les exigences d’un texte clair (nass), du consensus (ijma’), de la nécessité (darurah) ou de la tradition (‘urf).384 Alors que l’istihsan analogique est une catégorie monolithique (a), l’istihsan exceptionnel se subdivise en plusieurs autres genres (b), à

379 ALDEEB S. A., Introduction à la société musulmane : Fondements, sources et principes, Eyrolles, 2005, p.147. 380 Al-Shaf’i (d.820) aurait exigé la connaissance par cœur du Coran.

381 ALDEEB S. A., Introduction à la société musulmane : Fondements, sources et principes, Eyrolles, 2005, p.147.

382 ALDEEB S. A., Introduction à la société musulmane : Fondements, sources et principes, Eyrolles, 2005, p.148. 383 AL-ZARQA, M., Al-Madkhal al-Fiqhi al-‘Amm, 6ème édition, Damas, Dar a-Fikrm, 1967, vol. I p.48 : istihsan qiyasi et istihsan lildarurah.

savoir l’istihsan tirée d’un texte (al-Istihsan bil-Nass), l’istihsan tiré du consensus,

l’istihsan fondé sur la nécessité (darurah), l’istihsan fondé sur un intérêt général ou

public (maslahah)385, l’istihsan fondé sur la coutume et l’istihsan tiré des considérations d’équité et l’élimination de la difficulté (raf’ al-haraj).

a) L’istihan analogique

L’istihsan tirée de l’analogie (istihsan al-qiyasi) implique un départ dans un cas particulier d’une analogie évidente (qiyas jali) qui pourrait être appliqué à des cas similaires en faveur d’une analogie alternative (qiyas khafi) à cause d’un argument plus solide qui recommande un tel départ. Ici, la solution alternative est plus subtile et moins évidente que la première. Par exemple, selon le droit hanafite, le waqf386 d’un terrain cultivé inclut le transfert de tous les droits annexes attachés à une propriété, tel que le droit à l’eau (haqq al-shurb), le droit de passage (haqq al-murur) et le droit de circulation (haqq al-masil) même si ces droits ne sont pas explicitement mentionnés dans l’acte de waqf. Cette règle est fondée sur une analogie cachée ou istihsan. En effet, selon le droit des contrats musulman, l’objet du contrat doit être clairement identifié en détail. Ce qui n’est pas spécifié dans le contrat n’est pas compris. Si on établit une analogie directe (qiyas jali) entre la vente et le waqf car ces deux actes impliquent un transfert de propriété, on conclut que les droits attachés peuvent seulement être inclus dans le waqf que si ils sont explicitement identifiés. Cependant, il est argumenté qu’une telle analogie conduirait à d’injustes résultats. Le waqf d’une terre cultivée sans ses droits annexes contrarierait le but fondamental du waqf qui est de faciliter l’usage de la propriété pour des objectifs caritatifs ou de bienfaisance. Afin d’éviter l’abus, le recours à une analogie alternative (qiyas khafi) est justifié. L’analogie cachée est le fait de dresser un parallèle non pas entre le waqf la vente mais entre le waqf et la location (ijarah). Dès lors que l’usufruit est essentiellement le but de la location, le contrat est valide.387 Cette analogie alternative avec la location permet au waqf valablement conclu d’inclure les droits annexes à la propriété même si ils ne sont pas spécifiés dans l’acte du waqf.

385 Il faut être vigilent, ici ce n’est nullement l’équivalent de l’intérêt géneral ou public que l’on peut connaître en droit administratif français. 386 Biens inaliénables dont l’usufruit est consacré à une institution religieuse ou d’utilité publique « Waqf », Dictionnaire Larousse [en ligne] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/waqf/10910727 (consulté 10 mai 2016.) 387 KAMALI M. H., Equity and Fairness in Islam, Cambridge, The Islamic Texts Society, 2005, p.30.

La distinction entre les deux types de qiyas, à savoir une analogie manifeste et une analogie cachée, n’est pas évidente en soit et la distinction entre ces deux analogies semble parfois être une question d’effort rationnel individuel (ijtihad).388

b) L’istihsan exceptionnel

Cette catégorie regroupe plusieurs sous-catégories. Seules les plus pertinentes seront abordées. La premier type est l’istihsan tirée d’un texte (al-Istihsan bil-Nass) et consiste à abandonner un principe ou une règle qui serait normalement applicable à l’affaire pour une règle alternative pouvant être trouvé dans un texte du Coran ou d’un hadith.389 Un exemple est celui de la vente salam390 qui est irrégulière car il ne satisfait pas une des exigences de la validité d’un contrat de vente, à savoir l’objet de la vente doit être physiquement présent au moment de la conclusion. Néanmoins, la vente salam a été validée par les termes exprès d’un hadith, malgré l’absence de l’objet au moment de la conclusion, alors les règles générales contractuelles musulmanes ou l’analogie l’invalident.391

L’istihsan fondée sur l’intérêt général (maslahah) s’applique à n’importe quel

cas qui peut être déterminé selon un texte général ou une règle établie. Ainsi les considérations de l’intérêt général exigent une exception à la règle générale.392 Selon les règles établies par le fiqh, le contrat de métayage (muzara’ah) se termine avec la mort d’une ou des deux parties. Cette règle peut être écartée si le propriétaire est

388 Cela met en doute la substance même de l’istihsan analogique. Voir KAMALI M. H., Equity and Fairness in Islam, Cambridge, The Islamic Texts Society, 2005, p.32. 389 On retrouve ce type d’istihsan dans tous les ouvrages du fiqh. AL-ZARQA, M., Al-Madkhal al-Fiqhi al-‘Amm, 6ème édition, Damas, Dar a-Fikrm, 1967, vol. I, p.48 et suivants; ABU-ZAHRAH, M., Usul al-Fiqh, Dar el Fikr el- Arabi, Caire. 390 Vente d’un bien à livre à terme moyennant paiement comptant (Clés pour le siècle, extraits Dalloz, Salim JAHEL p. 300) C'est un contrat dans lequel la vente se fait à l'avance mais le prix mo'ajalan, comme si la personne avance 1000 livres, c’est à dire qu'il les paie en espèces suivant la rencontre d'une quantité particulière de farine qui lui est mis à disposition dans le futur. Le code des obligations et conventions libanais a adopté et codifié cette vente salam et ces règles figurent dans le livre des ventes particulières aux articles 487- 492 (MAHMASSANI Sobhi, Cours de droit musulman et libanais (incapacités, aliments, testaments et successions), Beyrouth, Dar al-Elm lilMalayin, 3ème Edition, 1962, p.47-51). 391 KHALLAF, Ilm Usul al-Fiqh. 12th edn, Kuwait, Dar al-Qalam, 1398/1978, p.82. “Celui qui fait le SALAM, qu’il le fasse pour un volume connu, pour un poids connu, et pour un délai connu”. 392 KAMALI M. H., Equity and Fairness in Islam, Cambridge, The Islamic Texts Society, 2005, p.39

mort alors que les plantations sont en pousse. Le contrat reste alors valide jusqu’à ce que la récolte soit effectuée.393

Enfin, il existe l’istihsan reposant sur des considérations d’équité et la cessation d’une difficulté (raf’ al-haraj). Un des exemples concerne une affaire d’héritage connue sous le nom de al-Mushtarakah qui a eu lieu à l’époque du Calife Umar ibn al-Khttab.

Cette typologie hanafite de l’istihsan n’est pas sans confusion et difficulté. C’est pourquoi elle a été critiquée par les juristes musulmans classiques et modernes.394

Si l’istihsan s’appuie généralement sur un texte, une tradition, un consensus, ou un usage, il y a là simplement une preuve que le système juridique musulman entièrement construit sur la base de l’analogie, ne pouvait qu’étouffer à l’intérieur des limites étroites de la construction analogique. En effet, malgré la primauté du raisonnement par analogie dans le développement du Coran et de la Sunnah, une solution juridique dérivé d’un tel raisonnement pouvait être rejetée par un juriste musulman en faveur d’une autre en se fondant et se justifiant sur l’Équité.395