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§1 Le concept de sécurité juridique: notion et applications

B) Les applications de la sécurité juridique

3. L’immuabilité de la Shariah face à la mobilité du fiqh

La sécurité juridique est assurée dans la tradition juridique musulmane par l’immutabilité de la Shariah. Pour comprendre le concept de sécurité dans la tradition juridique musulmane, il faut bien concevoir la distinction entre le droit divin et le droit positif.

La Shariah, dans sa conception stricte en qu’elle désigne la législation d’Allah à travers le Coran et la Sunnahhdu prophète, est divine. Il ne s’agit pas de droit positif puisqu’elle est immuable quelque soit l’époque, la nation et valide pour toutes les générations.279 Le « droit positif » musulman représente une mosaïque de corpus juridiques parmi lesquels figurent principalement le fiqh, les méthodes juridiques tel que l’analogie, l’istihsan, l’istislah, les écoles de jurisprudence (madhahb), les codes civils, la législation écrite (qanun), des coutumes locales, de la jurisprudence. Le fiqh est une élaboration de l’homme qui est amené à changer et à s’adapter selon les époques. Il est une source positive du droit musulman et le restera pour une

277 HUGLO J-G., « La Cour de cassation et le principe de la sécurité juridique », Cahiers du Conseil constitutionnel n°11 (Dossier : Le principe de sécurité juridique)- Décembre 2001, p.13. 278 EVANS J., AYLMERTON, O. A., & Legal Research Foundation (University of Auckland), Legal reasoning and judicial activism: Two views, (1992), Auckland, N.Z.: Legal Research Foundation, p.29. 279 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.80

période indéterminé. Le fiqh n’est ni une source divine ni monolithique et est diversifié même s’il a pour but d’interpréter des textes divins.280

A l’inverse du droit divin, la partie positive est amenée à être modifiée et abrogée puisqu’elle doit être en constante évolution afin de répondre aux besoins des musulmans.281 Selon la Shariah, Dieu prescrit aux musulmans d’obéir en premier lieu au Coran, et ensuite au prophète Mahomet, son messager, et enfin à ceux qui détiennent l’autorité.282 Les juristes musulmans se plaisent à rappeler qu’avant d’envoyer Mu’adh Ibn-Jabal, imam et faqih au temps du prophète Mahomet Mort en 639, pour exercer la fonction de juge et enseigner la religion au Yémen, Mahomet lui demanda comment il entendait donner ses sentences. Il répondit : « D’après le Livre

de Dieu ». Et si tu n’y trouves rien ? Il répondit « je suivrai la Sunnah du messager de Dieu ». Et si tu n’y trouves rien ? Il répondit : « Je m’efforcerai autant que possible de raisonner ».283 C’est ce que l’on appelle l’ijtihad.

Puisque le Coran et la Sunnah contiennent peu de règles juridiques, il y a un champ vaste pour l'ijtihad dans la Sharīah pour dicter des règles juridiques. Le fiqh s’est élaboré depuis le début du septième siècle et provient de l’effort rationnel (ijtihad) pour déduire une règle applicable au cas concret. L’ijtihad a connu une période classique qui a duré pendant 250 ans (de 623 à 875), période riche en rechercher et créativité jurisprudentielle.284La période classique de l’ijitihad souligne un simple mais puissant argument que la tradition juridique musulmane est intrinsèquement dynamique et diverse, s’adaptant aux coutumes, cultures et commerce, à la diversité des nations et communautés.285 L’ijtihad respecte les précédents du fiqh mais ils peuvent être remis en cause et ce même si ils ont été dégagés par des éminents juristes et chefs des écoles juridiques. Toutefois, chaque nouvelle règle établie doit être compatible avec la Shariah. Les maximes juridiques 280 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.81. 281 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.80 282 Il s’agit des connaisseurs en matière de religion, et non pas forcément l’autorité étatique 283 Voir Annexe 16. 284 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.14 285 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.14 Voir annexe 17 sur la question de la fermeture ou l’ouverture des “portes” de l’ijtihad.

du fiqh classique sont en revanche permanentes, toujours valides.286 Ces maximes découlent de la Shariah et ont été déjà testé et évalué par leurs applications pratiques et ont été succinctement codifié et incorporé dans le code civil ottoman de 1877.

Quelques juristes ont réclamé la fermeture de l’ijtihad ce qui aurait transformé le système de droit musulman en un système fermé.287 Néanmoins toutes les écoles juridiques reconnues et la vaste majorité des juristes au fil des siècles ont décidé que

l’ijtihad est nécessaire pour le développement de la tradition juridique musulmane.288 En effet, il ne peut être qu’ainsi puisque le système de « droit musulman » est

toujours « en vie ».289

Les juges dans la tradition juridique musulmane ne sont pas contraints de suivre un précédent dans l'élaboration de leur jurisprudence. En revanche, la jurisprudence ne constitue dans la Sharīah qu'une partie qui s'applique à l’ensemble des juges et des ulémas (savants) lors de l’analyse des principes de la Sharīʿa.

La tradition juridique musulmane a ainsi, de tout temps et en tout lieu, s’est adapté aux réalités changeantes toujours dans le cadre de la Shariah, droit immuable.290

Après avoir étudié le concept de sécurité juridique et ses applications dans les diverses traditions juridiques, il convient d’examiner le rejet partagé par les trois traditions juridiques sur l’arbitraire dans le droit et plus particulièrement sur l’arbitraire que pourrait introduire le concept d’Équité dans le droit.

286 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.97. 287 Voir annexe 17 pour le débat sur la fermeture des « portes de l’ijtihad ». 288 Akundfuz p.322 289 Akgündüz A., Introduction to Islamic Law: Islamic Law in Theory and Practice, IUR Press, Rotterdam, 2010, p.322: alors que les premiers sont des systèmes vivants mais sont statiques. AL-RAYSUNI A., Nazariyyat Al- Maqasid ‘inda Al-Imam Al-Shatibi, Dar Al-Kalimah, Mansoura, Egypt, 1997 p. 169; AUDA J., Maqasid al-Shariah as Philosophy of Islamic Law : A Systems Approach, International Institute of Islamic Thought, March 2008, p 47. 290 KHAN L. A. et RAMADAN H. M., Contemporary Ijtihad : Limits and Controversies, Edingburgh University Press, 2012, p.14.