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La contribution de l’Équité à l’évolution du droit semble invisible puisqu’elle prend naissance dans le raisonnement du juge, lors de l’application de la règle de droit.

Dans la tradition juridique musulmane, l’istihsan a été développé afin de gérer les nouveautés et pour interagir avec l’environnement entourant le droit. Ainsi, par le passé, elle a intégré des solutions nouvelles dans le corpus juridique des différentes écoles juridiques, en particulier celle des Hanafites mais il est dommage de constater qu’elle n’est plus utilisée aujourd’hui. Ainsi, il sera envisagé sa contribution passée et peut-être future comme le suggèrent certains auteurs (Section 1). Dans la tradition juridique occidentale, il est possible d’observer certaines contributions du recours à l’équité dans le droit positif. L’équité est venue dans le droit civil français corriger et compléter certaines dispositions notamment dans le domaine contractuel tout en restant circonscrite (Section 2). En droit anglais, la notion de « fairness », une des nouvelles formes d’équité, est admise de façon implice en matière contractuelle (Section 3).

Section 1 L’istihsan : une contribution passée et peut-être future

L’istihsan a pu, à maintes reprises, créer des institutions. Elle a donné ainsi lieu à des solutions qui sont venues s’intégrer dans le corps même du droit musulman hanafite (§1) Toutefois, comme le souligne très bien Kamali les législateurs et juges des pays arabes ont très peu utilisé voire pas du tout la notion d’istihsan que ce soit dans le développement de la loi en vigueur ou dans l’administration courante de la justice. L’istihsan nécessite davantage de développement pour pouvoir donner plus de flexibilité et gérer avec les changements rapides de circonstances de la vie de tous les jours (§2).

§1 Une contribution passée : les solutions tirées de l’istihsan dans le

droit positif musulman

L’istihsan est source d’un très grand nombre de solutions qui font partie intégrante aujourd’hui du corpus juris musulman hanafite. Les principaux exemples se trouvent en droit des biens (A) et droit des obligations (B).429

A) Droit de la propriété

En matière de vente, si l’objet de la vente est un terrain agricole, le transfert de la propriété du terrain vendu n’entraîne pas de plein droit la cession des droits de servitude dont bénéficie le fonds ayant fait l’objet de la vente. Ces droits doivent faire l’objet d’une mention spéciale dans le contrat. Par contre, en matière de louage, ces servitudes passent au locataire sans besoin de mention spéciale. Il pourra en bénéficier pur jouir pleinement du bien donné en location. Nous avons là deux solutions différentes qui peuvent s’expliquer aisément, chacune dans son contexte : ni l’une ni l’autre ne sont considérées comme des solutions d’istihsan. Lorsque la question s’est posée de savoir si la constitution d’une terrain agricole en bien de mainmorte (waqf) doit englober ou non les servitudes dont bénéficie le terrain, les jurisconsultes se sont trouvés devant les deux solutions rapportées ci- dessus.

La stricte analogie qui part de l’idée que le waqf opère une aliénation tout comme la vente aboutit à l’exclusion des droits de servitude de l’acte constitutif de waqf- à moins de mention spéciale. Mais, par la même voie d’analogie, et en partant de l’idée que le waqf n’entraîne point un transfert de propriété, mais une simple constitution d’usufruit au profit du bénéficiaire, on aboutit, en sens contraire, à inclure les servitudes dans l’acte constitutif de waqf, sans be soin de mention spéciale. L’analogie donne lieu ici à un dilemme. De fait, les jurisconsultes ont opté pour la seconde solution en faisant appel à l’istihsan. Cette seconde solution est, tout autant que la première, une solution analogique mais elle l’a emporté sur la première grâce à l’istihsan. Le waqf se borne à constituer un droit d’usufruit au profit du bénéficiaire. Le bénéficiaire d’un waqf doit, pour avoir la pleine jouissance, bénéficier également des servitudes réelles, tout comme le locataire. L’en priver, c’est amputer son droit de jouissance d’un élément important. L’acheteur qui a déjà la pleine propriété du fonds

vendu peut en jouir suffisamment à ce titre et, s’il tient à acquérir en même temps les servitudes attachées au fonds, il doit le demander et l’obtenir expressément de son vendeur. Ce sont là des considérations tirées du cas précis envisagé. La solution est donnée en raison de ces considérations ; et c’est par ce biais qu’elle se rattache à la solution admise en matière de bail.

De même en droit des obligations, l’istihsan a contribué aux développements de nombreuses règles aujourd’hui faisant partie intégrant du droit positif hanafite.

B) Droit des obligations

En matière d’obligations, un des exemples concerne la chose est remise entre les mains d’une personne, à quelque titre que ce soit.430 Cette personne est considérée comme ayant pris la chose sous sa garde (amin). Ainsi en est-il spécialement du dépositaire, du commodataire, etc. En cas de perte fortuite de la chose, cette personne ne sera pas tenue pour responsable. Telle est la solution admise dans ces cas. Cependant la personne qui prend livraison de la chose, en vertu d’un contrat de louage, d’ouvrage, tel que le tailleur, le teinturier, etc.. sera tenue pour responsable de sa perte, à moins que cette perte ne soit due à un cas de force majeure. Ainsi donc l’entrepreneur qui est considéré, en principe, comme un amin trouve sa responsabilité plus aggravéee que celle du dépositaire ou du commodataire.431 L’analogie ne saurait permettre cette solution. Elle a dès alors été rattachée à l’istihsan. A moins d’établir l’existence d’une force majeure, l’entrepreneur sera présumé en faute si la chose vient à périr. Le dépositaire qui rend un service à titre gratuit ne saurait être tenu de la même manière. Le commodataire, à qui le propriétaire a bien voulu remettre la chose sans qu’il soit tenu de payer quoi que ce soit, ne peut être mis sur le même pied que l’entrepreneur. Les auteurs disent bien que si la même solution était admise en matière de louage d’ouvrage, les gens seraient mis dans l’embarras, alors qu’il n’auraient besoin des services de l’artisan et qu’ils craindraient, en même temps, que l’artisan ne soit pas assez diligent pour assurer la solution appropriée au cas précis envisagé, en prenant en considération les besoins de la pratique.

430 CHEHATA Chafik, « L’ « Equité » en tant que source du droit hanafite », Studia Islamica, No.25 (1996) p.132. 431 CHEHATA Chafik, « L’ « Equité » en tant que source du droit hanafite », Studia Islamica, No.25 (1996) p.133.

En matière d’obligations, le recours à l’istihsan a permis de légitimer plusieurs contrats nommés comme la vente à terme (salam). Selon le “droit musulman”, les contrats doivent, en effet, avoir un objet actuellement existant. Pour intégrer dans le

corpus juris hanafite les contrats ayant un objet future, les auteurs ont invoqué

l’istihsan. Ce sont les besoins de la pratique qui ont imposé ces contrats aux fondateurs des écoles juridiques. L’istihsan a enrichi le droit musulman d’une masse de dispositions et de prescriptions qui font partie intégrante du système juridique hanafite, en matière d’obligations qui ont été ensuite codifié par le Medjéllé.432

Toutefois, il est dommage que le statut de mujtahid ne soit pas reconnu au sein du pouvoir législatif des états modernes arabo-musulmans.433 Cela est manifestement injustifié selon Kamali, surtout au regard de l’istihsan qui est un moyen approprié pour la recherche de solutions justes et équitables.