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§1 Un encadrement strict du recours à l’équité pour le juge judiciaire français

B) Le recours à l’équité par le syllogisme du juge

Même si la loi n’accorde pas au juge un pouvoir d’équité, il est possible que ce dernier s’approprie ce pouvoir d’accommodement de l’application de la règle de droit par la considération des circonstances individuelles354. Bien que le juge ait connaissance des règles de droit et de la logique juridique, il juge avec son intuition et sa sensibilité car « le juge est un homme, non pas une machine à syllogisme »355. Le juge est naturellement poussé et ce malgré toutes les contraintes posées par le pouvoir législatif, à user de l’équité dans ses fonctions356.

Ne pouvant pas fonder leurs décisions sur de seuls motifs d’équité et ne voulant pas être condamnés, les juges de l’ordre judiciaire ont recours à certains artifices au sein même de leurs raisonnements tout en en respectant, du moins en

apparence, la primauté de la règle de droit.

Le juge judiciaire doit respecter un syllogisme de principe qui commence par la prise en compte du texte de droit applicable, autrement désignée par la majeure, puis la 351 « En conférant au tribunal le pouvoir d’amiable composition, les parties ont manifesté leur volonté de voir trancher leur litige non pas en application des seules règles de droit, mais aussi d’obtenir une solution équitable et acceptable par une adaptation, s’il y a lieu, du droit à l’ensemble des circonstances de fait régissant les rapports des parties ». TGI Paris, 27 mai 1987, Rev. Arb. 1987. 527, note G. Flecheux. 352Statut de la cour international de justice, Article 38 in fine « La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d'accord, de statuer ex aequo et bono ». 353 V. MARTIN R., « Principes directeurs du procès », Répertoire Dalloz, décembre 2010. 354 CARBONNIER J., Op. cit. p.35 355 CARBONNIER J., Op. p.35 ; « Derrière la fonction se cache un homme » (DION N., « Le juge et le désir du juste », Recueil Dalloz 1999, chron. p. 198). 356 DAUDET V. et NAVARRE-BRAGER J., Op. cit. p.35.

révélation des faits, nommée la mineure, et enfin prononcer une conclusion, autrement nommée la décision. Carbonnier affirme que selon cet artifice « le juge

préfère nier ce qui est conforme à la loi, et juger ce qui lui semble l’équité » en la

revêtant d’un aspect juridique.357 En effet, a l’inverse du syllogisme classique358, les juges « commencent par poser la décision concrète qui leur parait humainement

désirable et s’efforce de remonter ensuite jusqu’à la règle de droit ».359 Il s’agit du syllogisme régressif. De manière fréquente, le juge peut prendre l’initiative de partir de la solution qui lui apparait de manière intuitive, comme juste.

Carbonnier souligne que « ces choses ont toujours dû se passer ainsi, depuis des

millénaires qu’il y a des juges et qui pensent ».360Nier ce processus psychologique serait de « prêter au droit une rigidité qui n’est pas dans les faits ».361 Cet objectif d’équité est bel et bien présent dans l’esprit de juges. Selon la formule retenue par un ancien premier président de la Cour de cassation, de « puissants arguments d’équité » peuvent motiver certaines décisions prononcées par le Cour suprême.362 Philippe Blondel, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, s’interroge si la Cour de cassation, juge du droit, en donnant un très vaste champ à l'équité des juges, n'est- elle pas l'alliée de l'équité ?363

Le lien de l’équité, quoique officieux, avec la solution finalement adoptée par le juge démontre « bien le caractère manifestement illusoire de la prétendue rigueur du

syllogisme judiciaire traditionnel », et de manière plus générale, la place cachée de

l’équité dans le système de droit français364.

357 CARBONNIER J., Op.cit. [9] p.35 358 Selon le syllogisme classique, le juge doit prendre en compte d’abord la règle de droit pour aboutir à la décision concrète. 359 CARBONNIER J., Op. cit. [9] p.35 360 CARBONNIER J., Op.cit. [9] p.36 361 CARBONNIER J., Op.cit. p.36 : « L’équité, même non expressément formulée, est pourtant bien là, car le juge, après avoir pris une décision conforme à ce qu’il considère d’équitable, retient un fondement juridique qui devra réduire les risques de censure par la juridiction supérieure ». 362 BELLET P., Le juge et l’équité, Mel. Rodiere, 1984, Dalloz, p.9 363 « L'équité ou les équités » (Journées juridiques franco-libanaises, Paris, 3-4 octobre 2002). In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 55 N°1, Janvier-mars 2003. pp. 214-229. 364 ALBIGES C., « ‘Équité’ dans Répertoire de droit civil » Dalloz, septembre 2011, §28.

Cela n’est pas sans risque comme le montre l’arrêt du 4 décembre 2013, rendu par la première chambre civile de la cour de cassation365. Chenédé souligne dans son commentaire que la cour de cassation s’est elle-même référer à l’équité pour valider un mariage illégal relevant les dangers que cela peut présenter. Il affirme que le recours à l’équité, qui normalement doit intervenir selon certaines circonstances « n'étaient nullement réunies en l'espèce »366.

En conclusion, l’équité est en droit civil français à la fois nulle part et partout. Le recours à l’istihsan par les juristes musulmans répond lui à une logique juridique rigoureuse et raisonnée.

§2 Le recours des juristes musulmans à l’istihsan : rigueur et raison

L’istihsan est une méthode rationnelle utilisée par les juristes musulmans afin d’adapter le fiqh aux nouveaux environnement. C’est un outil de l’ijtihad (B). Pour comprendre l‘istihsan, il est important de saisir qu’il n’existe pas de système judiciaire tel que nous l’entendons en France ou au Royaume-Uni. Le système judiciaire musulman est un système sui generis où se superposent différentes fonctions judiciaires (A).

A) Un système judiciaire sui generis : l’existence de différents juristes