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Les compounds : des gated communities à l’égyptienne ?

1. Quels types de quartiers pour quelle(s) clientèle(s) ?

1.2. Un essai d’évaluation de la clientèle visée

Avant de s’intéresser aux motivations des habitants ou des clients potentiels qui viennent vivre ou qui achètent des logements dans les compounds, il faut s’interroger sur leur profil socioéconomique. Comme l’écrit G. Capron dans l’introduction de l’ouvrage collectif Quand la ville se ferme, l

a

représentation commune veut que ce soient de nouveaux riches. Mais est-ce vraiment le cas ? En fait, la clientèle visée par les promoteurs immobiliers est plus variée que cela. Les promoteurs classent les clients potentiels selon des catégories A, B ou C, avec pour chacune des subdivisions (A+, A-, B+, etc.). Dora Group, un des grands groupes immobiliers présents sur le marché des compounds, notamment au Caire, construit ainsi des programmes immobiliers tant pour les catégories les plus aisées que pour les classes moyennes. Le directeur marketing nous a d’ailleurs appris qu’à chaque catégorie de clients correspondait une catégorie de compound et une manière de faire de la publicité.25 Si le projet immobilier s’adresse aux classes moyennes, donc la catégorie B, le message publicitaire portera sur les prix peu élevés. Par contre, si le programme immobilier est en direction de la catégorie A, avec des prix pour une villa atteignant parfois les 3 à 5 millions £E, l’accent sera mis sur les nombreux services proposés aux clients. Pour donner un élément de comparaison, la branche

spécialisée dans l’immobilier de la société Mena propose des compounds pour des clients appartenant aux catégories A+ et A-26. Les prix d’achats pour une villa vont ainsi de 2 à 4 millions £E, et les prix d’un appartement au m² sont compris entre 5 et 6 000 £E, sachant qu’en moyenne un appartement a une surface de 200 m², soit un prix à l’achat allant de 1 000 000 à 1 200 000 £E.

Cependant, nous n’avons pas pu collecter de chiffres précis auprès des promoteurs immobiliers rencontrés. Mais un des moyens d’évaluer visuellement la ou les clientèles visées par les programmes de construction et les compounds sont entre autre le luxe des quartiers fermés, la quantité de services proposés, la présence d’un club ou non, et enfin le type de logements proposés. Ainsi, dans le quartier de Katameya Heights, un des plus huppés, ne sont proposées à la vente que des villas, souvent de plusieurs centaines de m² habitables, tandis que le quartier de Rehab mélange maisons de ville ou indépendantes et petits immeubles, ce qui montre que les populations visées appartiennent plutôt à la classe moyenne, voire la classes moyenne supérieure.

Parmi cette clientèle d’Egyptiens plus ou moins riches, on trouve aussi des Egyptiens expatriés dans des pays du Golfe ou des pays occidentaux et qui achètent une résidence pour leur retour au pays, ou comme résidence secondaire. Ainsi, lors d’une visite dans le compound de Dreamland, nous avons pu rencontrer un couple d’Egyptiens parfaitement anglophones qui vivent en Hollande et qui ont acheté une villa à Dreamland. Enfin, un dernier type de clientèle très représentée est celle des expatriés d’origine européenne ou américaine. Ces expatriés sont loin d’être tous propriétaires, la plupart occupant un logement loué par leur compagnie, comme en témoigne l’interview réalisée par le journal Business Today auprès de directeurs de la compagnie Al Ahly Real Estate Development, ainsi que d’un directeur de la Coldwell Banker Egypt :

“The rental market in Katameya Heights has been very profitable and stable from the onset” […]. Katameya Heights is now the rental property of choice for many of high profile expat clients. “Most of the big multinationals rent villas in Katameya Heights for their foreign executives who are now preferring Katameya to Ma’adi, because they can lead pretty much the same lifestyle here as they would in their home countries […] Shell Oil Company alone rents around 15 villas.”

[…] Abu Talib believes that the next phase of development has to cater to foreigners. “It’s foreigners who are buying in Dubai. Even if they are not looking to have a home in the Emirates, it’s a great investment. With the prices that we have in Egypt and the exchange rate to the dollar, our real estate market is a fantastic investment opportunity for both foreign and Arab buyers.” 27

Tout est fait pour favoriser l’accession à la propriété pour toutes ces catégories de population. En effet, chaque promoteur propose à ses clients des modes de paiement adaptés. Ainsi, une habitante d’Al Rehab interrogée a payé son appartement en cinq fois, après avoir déboursé une première somme

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Entretien réalisé le 2 avril 2008 avec le responsable en marketing et communication George Edward. 27

« Le marché de la location à Katameya Heights a au début permis d’importants profits et a été stable. Katameya Heights est désormais une propriété à louer de choix pour de nombreux clients expatriés très en vue. La plupart des grandes multinationales louent des villas à Katameya Heights pour leurs directeurs étrangers qui préfèrent maintenant Katameya à Ma’adi, car ils peuvent y mener pratiquement le même style de vie ici que celui qu’ils auraient dans leur pays d’origine. La Compagnie pétrolière Shell loue à elle seule 15 villas. » Abu Talib pense que la prochaine phase de construction devra compter avec les étrangers. « Ce sont des étrangers qui actuellement achètent à Dubaï. Même s’ils ne recherchent pas une maison dans les Emirats, c’est un grand investissement. Avec les prix que nous pratiquons en Egypte et le taux d’échange du dollar, notre marché immobilier est une fantastique opportunité pour investir tant pour les acheteurs étrangers que pour les Arabes. » Hadia Mostafa, « Gold Rush », Business Today, novembre 2004 (traduit par les soins de l’auteur).

à la signature du contrat (17 000 £E)28. Le groupe Mena quant à lui demande 20% de la somme de l’appartement ou de la villa lors de la signature du contrat, le reste est versé pendant les trois années suivantes.29

Ainsi la clientèle visée n’est pas uniforme, et il existe plusieurs types de populations qui désirent investir dans les compounds cairotes, même s’il s’agit nécessairement des catégories de populations les plus aisées du pays, car il n’est pas donné à tous de pouvoir débourser autant d’argent sur le court ou le moyen terme. Comme l’indiquent M. Séjourné et E. Denis (Denis, Séjourné, 2003), « la région du Grand Caire ne compte pas plus de 315 000 familles dont les dépenses courantes sont supérieures à 2 000 £E par mois », c’est-à-dire le décile le plus aisé de la population.