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Les compounds : des gated communities à l’égyptienne ?

2. Une forme urbaine révélatrice de la recherche d’un nouveau mode d’habiter

2.1. De nouveaux modes d’habiter

2.1.4. La création de nouveaux espaces de sociabilités

Ces nouvelles pratiques d’un espace semi-public témoignent de la création d’un nouvel espace social par excellence, le club, à la fois lieu d’activité et lieu de rencontre entre les habitants. Il est intéressant de noter que ce lieu n’est pas un lieu public ni semi-public, comme pourrait l’être le réseau de rues des compounds.

Traditionnellement, les clubs privés « occupent un rôle prépondérant dans l’organisation sociale au Caire » (Gillot, 2002). Il s’agit de lieux qui par les prix qu’ils pratiquent concernant l’adhésion, garantissent à leur clientèle de privilégiés un certain entre-soi. Dans le passé, ces clubs privés, largement inspirés des clubs de sociabilités anglais fondés sur l’entre-soi par la cooptation qui est nécessaire à tout nouveau membre, étaient exclusivement réservés aux hommes. Des clubs historiques existent au Caire depuis le XIXe siècle, comme par exemple le Gezira Sporting Club, situé au beau milieu du quartier de Zamalek, et possédant un immense parc privé, pour ne citer qu’un exemple significatif.

Ces clubs prennent de nouvelles formes dans les compounds. Ils proposent en effet des activités sportives à leur clientèle et s’adressent tant aux hommes qu’aux femmes, aux adultes comme aux enfants. Wadia est membre du club de son compound, afin surtout de bénéficier l’été de la piscine avec ses amis et ses enfants, et des cours de sport proposés, notamment dans le gymnasium du club. Il y a aussi des activités pour les enfants : piscine, basket-ball, etc. Mais c’est également pour pouvoir recevoir ses amis venus du Caire la visiter : « ils aiment beaucoup venir à Al Rehab : cela les sort du

quotidien du Caire, ils apprécient les jardins et la facilité qu’ils ont pour s’y rendre. Cela a un autre goût, il règne dans le quartier une autre atmosphère [sous-entendu par rapport au Caire] »45.

Ainsi, pour preuve de l’importance sociale de ce lieu, le club sportif est souvent accompagné d’un club house à l’anglaise, dans lequel les habitants peuvent recevoir leurs amis et bénéficier de restaurants ou de cafés. Il est souvent possible aux habitants qui ne sont pas membres du quartier de pouvoir fréquenter malgré tout le clubhouse, à l’image de Sherin qui, malgré son salaire de professeur à l’American College de Ma’adi et le salaire de son mari, haut fonctionnaire au ministère de l’Agriculture, ne peut s’offrir, à l’exemple des expatriés, les droits d’entrée au club peut profiter entre autre des restaurants à l’intérieur du clubhouse.

Une autre preuve de l’importance de cet espace social est l’installation d’une antenne du Sporting Club d’Héliopolis dans la ville nouvelle de Shorouk, au milieu même des quartiers fermés et des grandes villas de luxe. Le club est allé s’installer là où ses membres achetaient une nouvelle propriété à l’extérieur du Caire dans les compounds. Mais il en a aussi décidé certains à venir s’installer autour, à l’image de Nayer et de sa femme Dina. Ce couple est membre à vie du club d’Héliopolis. Désirant partir du Caire et s’installer dans un compound, ils ont choisi Shorouk entre autre à cause de la nouvelle installation du club. Les quartiers fermés situés autour de l’antenne d’Héliopolis ne semblent d’ailleurs pas proposer de club social à leurs habitants, car il semble aller de soi que les nouveaux habitants seront membres de ce club, malgré les prix d’entrée très élevés. Nayer nous a ainsi dit que, désormais, le prix pour être membre à vie du Sporting Club était de 10 000 €.

Il semblerait donc, d’après ce que nous ont dit les habitants de ces quartiers fermés, que les prix pour être adhérent à ces clubs privés aient beaucoup augmenté depuis ces dernières années. La fréquentation d’un club privé, héritage de la présence anglaise, a toujours été une caractéristique de la bourgeoisie égyptienne. Cependant il semblerait qu’à présent, l’appartenance à un club privé aille de pair avec l’achat d’une résidence dans un compound. Nous ne pouvons pas l’affirmer pour le moment car nous n’avons pas pu obtenir de chiffres précis auprès des promoteurs. Mais c’est une hypothèse qu’il faudrait vérifier.

Quoiqu’il en soit, cette appartenance à un club privé créé des subdivisions sociales à l’intérieur de ces quartiers qui pouvaient sembler à première vue relativement homogènes. L’entre-soi est plus subtil qu’il ne le laisse paraître. En effet, à l’intérieur de l’espace privé qu’est le compound, le club est un lieu encore plus exclusif car il exige de la part des habitants de payer des droits, qui ne sont pas forcément compris dans le prix d’achat des logements.

Par exemple, pour l’entrée au club de Katameya Heights, c’est-à-dire pour pouvoir jouer au golf et bénéficier de l’accès aux piscines olympiques, il faut débourser 100 000 £E pour être membre à vie et payer ensuite 2 300 £E par an de droits d’entrée. Il existe aussi une inscription à l’année qui s’élève à 1 400 £E par personne, mais qui ne proposent pas les mêmes options. Chaque quartier qui comprend un club sportif propose en général à sa clientèle deux modalités d’inscription : soit une inscription à vie, soit une inscription renouvelable chaque année. A Al Rehab, qui est un quartier beaucoup moins

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huppé que Katameya Heights, pour pouvoir être membre à vie du club, il faut payer actuellement 23 000 £E, contre 3 à 4 000 £E au début de la construction du compound, à la fin des années 1990. Cette pratique exclut bel et bien de ce lieu éminemment social les personnes qui ne peuvent pas s’offrir les droits d’entrée au club, et il s’agit souvent des locataires. Ainsi, Hamida, qui loue son appartement familial à Rehab n’est « malheureusement » pas membre car c’est trop cher pour elle. De plus, comme elle ne sait pas si elle va rester définitivement à Al Rehab, elle ne peut pas prendre un abonnement à l’année.

Ainsi, le nouvel espace social par excellence est le lieu le plus « privé » des quartiers fermés. Il semblerait donc que le principal ressort de la fermeture de ces quartiers soit un argument exclusivement économique, car l’accès à ces clubs dépend non de la qualité sociale de la personne mais de sa réussite économique donc sociale, hypothèse que nous allons vérifier par la suite. Etre membre du club privé devient un signe extérieur de richesse par lequel on exprime sa réussite sociale à l’intérieur même de son quartier.