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CHAPITRE 1 : POURQUOI S’INTÉRESSER AUX ÉVOLUTIONS DES PAYSAGES DES

21. Un ensemble de territoires ruraux herbagers sensibles

Les territoires ruraux sont habituellement étudiés et caractérisés par les géographes ruraux. L’objectif n’est pas ici une discussion académique concernant les définitions, les critères de classification ou les typologies de territoires. Il s’agit seulement de présenter les grandes caractéristiques de ce type de territoires.

Selon les définitions, le territoire représente une étendue de terres, plus ou moins nettement délimitée, qui présente une certaine unité ou un caractère particulier. Par exemple, cette unité peut être le fait de l’homogénéité des composantes matérielles pour la géographie physique, des composantes faunistiques et floristiques pour les écologues. Du point de vue de la géographie rurale, le territoire représente un espace où s’est établie une collectivité humaine bornant celui-ci de frontières, le soumettant à une autorité politique ou lui imposant une activité particulière (TLFI, 2005).

À partir de ces éléments, le territoire rural peut être considéré comme un espace, que la nature et les activités humaines ont façonné (BRUNET P., 1984). Dans le cas des évolutions des paysages des territoires ruraux, la nature est représentée par la dynamique de végétation spontanée et les activités humaines principalement par les pratiques agricoles mises en œuvre au sein des systèmes de production agricole et forestière.

Inscrit au sein d’une démarche agronomique, ce travail se focalise sur l’étude des évolutions des paysages liées aux activités agricoles.

211. Des territoires herbagers : une ressource fourragère obligatoire

S’intéresser au rôle des activités agricoles dans les évolutions des paysages implique que ces activités constituent un facteur important, voire majeur, de la modification de l’espace rural. Elles doivent représenter une emprise spatiale recouvrant la majeure partie du territoire étudié (JANIN C., 1995). Si tel n’était pas le cas, les modifications des paysages dues aux activités agricoles seraient minimes, peu visibles. Elles n’expliqueraient guère la dynamique paysagère.

Cette contrainte a porté l’intérêt de ce travail vers des territoires dont la couverture est à dominante herbagère, considérée comme une ressource fourragère obligatoire des systèmes de production agricole. Le Massif central, dont plus de 60% de la SAU sont composés de Surfaces Toujours en Herbe (STH) (INSEE, 2002), se présente comme un terrain d’étude adéquat. La couverture végétale prédominante de

ses espaces est constituée d’étendues prairiales. Deux types de prairies se rencontrent principalement : (i) les prairies temporaires dont la composition floristique est définie, choisie et semée par l’agriculteur ; (ii) les prairies permanentes9 dont la composition floristique dépend de la combinaison du substrat, de son histoire agro-écologique et des conditions pédoclimatiques. La physionomie de ces prairies varie selon la pression de prélèvement exercée par les pratiques de pâturage et de récolte mises en œuvre au sein des systèmes de production agricole. Il existe une large gamme de physionomies, dont la palette peut varier de couverts homogènes et ras à des couverts très hétérogènes résultant d’un assemblage plus ou moins dense de zones rases et de zones buissonnantes. Cet aspect physionomique est intéressant du point de vue de l’étude des formes du paysage. Il confère une diversité d’éléments paysagers, dont les variations physionomiques peuvent être rapides et visibles.

212. Des territoires sensibles : l’importance du paysage

La notion de “sensibilité” des territoires ruraux apparaît au début des années quatre-vingt-dix, remplaçant progressivement celle de “fragilité”. Cette transformation du vocabulaire tend à modifier le message transmis par la société à l’égard de ces territoires ; elle illustre un changement de perception de ces espaces par les populations.

2121. Un cercle pernicieux : banalité et fragilité

Jusque récemment, les géographes ruraux définissent les territoires ruraux de moyennes montagnes, dont le Massif central, comme des espaces soumis à de nombreux handicaps : contexte pédoclimatique difficile et peu muable, exode rural, isolement des populations, difficulté de transport, faible niveau de vie et agriculture en crise. Déjà tributaires d’une image négative abondamment relayée au sein de la société10, ces territoires subissent ce pessimisme jusque dans les années quatre-vingt. VITTE constate les difficultés à développer les activés touristiques sur des territoires considérés comme banals et sans intérêt face à l’attractivité des Alpes. FEL remarque une évolution instable et imprévisible de l’agriculture : d’abord handicapée par les contraintes physiques, l’âge des agriculteurs et la faiblesse des résultats techniques, elle semble cantonnée dans une agriculture paysanne ; puis elle s’engage fortement dans la modernisation et la recherche d’une meilleure productivité, et finalement aujourd’hui, au même titre que celle des autres territoires ruraux, elle subit la crise (CERAMAC, 1990). Ces éléments illustrent l’instabilité et la fragilité

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Selon la définition officielle de l’INSEE, les prairies permanentes sont “les terres consacrées à la production d’herbe,

ensemencée ou naturelle, qui ne font pas partie du système de rotation des cultures de l’exploitation depuis 5 ans ou davantage”.

Elles gardent leur statut lors de resemis, s’il y a continuité herbacée dans l’année. Par défaut, les autres prairies sont des prairies temporaires.

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Un exemple de l’image des territoires ruraux relayée par la littérature “…dans ce monde rural où tout est le prix de la sueur, où

le cœur s’endurcit comme les mains, à force de peiner, les grands-parents, le père et la mère même deviennent à charge (…) eux- mêmes se sentent inutiles.” (Extrait du “Livre de raison” de Joseph de PESQUIDOUX, romancier français du début du siècle).

des territoires ruraux de moyennes montagnes, souvent considérés comme l’archétype des problèmes de développement et d’aménagement.

2122. Un équilibre sensible basé sur l’esthétique

Dans le courant des années quatre-vingt, sous l’effet de la réussite économique du massif du Jura, de la crise subie par les territoires ruraux alpins et des évolutions des sociétés citadines présentées précédemment, les territoires ruraux de moyennes montagnes sont redécouverts sous un autre angle de vue : grands espaces verts, accueillants, parsemés d’une multitude de patrimoine bâti, ils peuvent être le cadre d’un tourisme doux et reposant (PERRIER-CORNET P., 2003). De plus, dans un contexte marqué par les préoccupations environnementales, ces territoires deviennent des espaces à protéger des actions de l’homme : espaces naturels, cours d’eau, habitats d’espèces animales emblématiques, paysages remarquables… Ils deviennent des territoires dits “sensibles”. Cette dénomination, moins catastrophiste, ne change néanmoins pas la réalité. Selon la typologie des campagnes de la DATAR, les territoires ruraux herbagers sensibles correspondent à la “campagne sensible”. Il s’agit de “territoires à processus

complexes de marginalisation avec un appauvrissement économique, social, démographique et spatial et une très forte diversification des activités” (DATAR, 2003).

Cette notion de sensibilité véhicule deux idées : (i) ces territoires sont un ensemble de ressources à protéger ; (ii) la sauvegarde de ces territoires repose sur un équilibre instable entre activités agricoles, aménagement du territoire et tourisme, autant de secteurs dont les évolutions sont peu prévisibles au sein d’espaces où les contraintes s’exercent fortement. DIRY, concluant un ouvrage collectif sur l’Auvergne rurale, souligne cet aspect, signifiant que deux scénarios opposés de l’évolution des territoires ruraux sensibles auvergnats sont autant envisageables l’un que l’autre (CERAMAC, 1990) :

8 Un scénario optimiste : l’activité agricole parvient à entretenir l’ensemble des finages, encourageant le développement des activités touristiques et économiques. Ceci permet le maintien, voire la relance, du dynamisme du tissu rural.

8 Un scénario pessimiste : l’incapacité de l’agriculture rurale à s’insérer dans une économie de marché conduit à la disparition de la plupart des structures agraires, plongeant les territoires dans une dynamique d’enfrichement. Ce dernier phénomène diminue l’attractivité des territoires, conduisant à un processus de désertification.

Au-delà de la notion d’instabilité, ces deux scénarios rappellent la persistance du poids de l’agriculture dans le développement socio-économique des territoires ruraux sensibles. Néanmoins, si les territoires ruraux ont longtemps été pensés et organisés autour des activités agricoles, certains estiment aujourd’hui que “l’agricole ne fait plus le rural” (PERRIER-CORNET P., 2001). La légitimité d’un soutien à

encore largement dominante tant du point de vue de la propriété que de l’usage11, elle est l’acteur principal de l’évolution de l’occupation des sols, composante majeure de l’équation des évolutions des paysages et de l’attrait esthétique des territoires ruraux herbagers sensibles.