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CHAPITRE 3 : LA CONSTRUCTION DE LA DÉMARCHE DE MODÉLISATION :

31. Un paysage simplifié à la physionomie des parcelles agricoles

Les premiers regards portés sur un paysage, dans le but de mener une analyse paysagère, relèvent principalement des méthodes de la géographie (DEFFONTAINES J.P., 1985; MICHELIN Y., 2000b). Ils ont pour objectif d’identifier les différentes composantes de cette image du territoire, de comprendre la façon dont elles sont assemblées et de distinguer leur participation, active ou passive, aux différentes dynamiques observées. Ils peuvent conduire à deux façons de considérer le paysage :

8 Le paysage comme assemblage vertical, c’est-à-dire comme une superposition de couches7

. Il est en premier lieu façonné par le relief et les réseaux hydrographiques. Ce socle, peu mobile, puisqu’il dépend de phénomènes à l’œuvre sur des milliers ou des millions d’années, est le réceptacle de

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La notion de couche de paysage peut sembler peu scientifique. Elle fait écho à l’utilisation récurrente du “shape”, terme anglophone extrait de la terminologie des logiciels de cartographies, définissant une couche d’informations d’un Système d’Informations Géographiques (SIG).

multiples couches de différentes natures, que l’on peut imaginer superposées. On peut citer, par exemple, une couche arable d’épaisseur variable présentant des potentialités agronomiques plus ou moins élevées, une couche végétale de hauteur, de densité et de diversité variables et/ou une couche de structures humaines plus ou moins organisée et concentrée. Chacune de ces couches peut être caractérisée selon des typologies permettant de classer ses composants (nature des sols, faciès végétaux, classement des formes et des organisations des structures humaines…) et selon sa propre dynamique, fonction de processus généralement continus (évolutions des sols, dynamique végétale spontanée, extension d’une cité urbaine, tracé des voies de communication…).

8 Le paysage comme un assemblage horizontal, c’est-à-dire un puzzle d’éléments variés imbriqués les uns avec les autres. Si l’on se déplace de façon horizontale au sein du paysage, on rencontre des éléments qui appartiennent tantôt à l’une des couches mentionnées ci-dessus, tantôt à une autre. Selon l’observateur et son filtre psychosociologique, tous les éléments rencontrés ne susciteront pas le même niveau d’attention. Ainsi, les géographes identifieront des modules paysagers, les pédologues s’intéresseront aux limites des pédopaysages, les écologues seront attentifs aux faciès végétaux… De la même façon, les processus retenus par le regard de l’agronome seront particuliers. Par exemple, les écologues identifieront les phénomènes biologiques à l’origine de la rareté ou de l’abondance d’une espèce, tandis que l’agronome recherchera les processus agricoles, c’est-à-dire les pratiques agricoles, ayant produit les formes observées.

Dans le cadre de ce travail, principalement orienté par la lecture de travaux d’agronomes8 et de géoagronomes (DEFFONTAINES J.P., 1977; INRA et ENSSAA, 1977; DEFFONTAINES J.P., 1986; LOISEAU P. et DE MONTARD F.X., 1986; BALENT G. et al., 1993; MICHELIN Y., 2000a), l’observation des paysages des territoires ruraux herbagers sensibles conduit à identifier et retenir deux couches principales : une couche de végétation et une couche de structures agraires, chacune observée selon le point de vue particulier de l’agronome et selon l’angle de questionnement donné par la question initiale de ce travail.

311. La simplification de la couche de végétation

Les territoires ruraux herbagers ont été définis auparavant comme de grandes étendues herbagères, imbriquées avec quelques zones boisées et urbanisées. La carte de la commune de Ceyssat dans le département du Puy-de-Dôme, présentée au sein de la Figure 3.2, est issue d’une analyse des différentes

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La plupart des travaux agronomiques traitant de la question paysagère ont été menés à partir de zones de polyculture-élevage, souvent en conditions de sous-chargement (Vosges, Massif central…). Les approches développées sont très fortement influencées par le point de vue des zootechniciens, considérant la végétation comme un élément naturel dynamique que l’on peut maîtriser par la gestion du troupeau. Bien entendu, en zone de céréaliculture, cette approche est inadaptée. Néanmoins, le paysage peut aussi être considéré comme le résultat des interactions entre une dynamique végétale artificielle, constituée de cultures annuelles ou

composantes d’un paysage rural (NOTE P., 2005) ; elle permet de préciser les principaux éléments constituant une couche de végétation représentative des territoires ruraux herbagers. Elle illustre la nette prédominance surfacique de deux composantes : les Surfaces Toujours en Herbe (STH) et les surfaces boisées.

Les autres éléments (haies, arbres isolés…) ne représentent qu’une faible proportion de la surface du territoire. De plus, en considération de la question traitée, ils représentent des pratiques agricoles spécifiques (plantation, arrachage et/ou taille de haies et d’arbres isolés, entretien de talus…), parfois relativement déconnectées des pratiques de production courante des systèmes de production agricole9. Ainsi, bien que leur impact sur le paysage soit important du point de vue de la visibilité, ils ne sont pas intégrés à la démarche de modélisation mise en œuvre dans ce travail pour plusieurs raisons :

8 La modélisation mise en œuvre s’intéresse plus précisément aux surfaces agricoles utilisées pour la réalisation de la production agricole, c’est-à-dire aux parcelles agricoles.

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Des travaux agronomiques ont montré l’intérêt, pour l’agriculteur, de l’entretien des éléments paysagers ponctuels ou linéaires (haies, bosquets, arbres…) pour le maintien en état des parcelles agricoles (lutte contre la dissémination des fronts pionniers) et/ou pour faciliter le travail de l’agriculteur (surveillance des animaux dans les exploitations allaitantes limousines). Mais, contrairement à certaines anciennes pratiques, comme la taille des frênes pour l’affouragement estival des animaux, les pratiques d’entretien actuelles ne concourent plus aussi directement à la production agricole. Elles ne sont donc pas considérées comme des pratiques de production courante, c’est-à-dire indispensables à la réalisation de la production, au sein de la démarche de modélisation menée.

8 Ces éléments linéaires et ponctuels, aux formes très variées, sont très visibles au sein du paysage ; ils sont beaucoup trop liés à la dimension sensible du paysage et, d’un point de vue plus général, à la considération environnementale (conservation des paysages traditionnels de bocage, préservation de la biodiversité…)(BAUDRY J. et al., 1998).

8 L’intégration de ces éléments dans le modèle impliquerait un niveau de détail très élevé, tant des composantes élémentaires du paysage à intégrer, que des pratiques agricoles à décrire ; face à la complexité engendrée et à l’incertitude ajoutée aux règles de fonctionnement du modèle, il est peu probable que cet enrichissement représente un réel apport de connaissance et/ou de compréhension de l’interface étudiée.

Les surfaces boisées présentent la même problématique. Leur dynamique, calée sur des pas de temps plus longs que celle des surfaces en herbe, ne dépend pas des pratiques de production des systèmes de production agricole. Certes, certaines parcelles boisées peuvent être gérées par des agriculteurs, mais cette gestion n’est pas intégrée dans le modèle, trop éloignée de la question initiale et du fonctionnement habituel du système de production agricole.

Finalement, le modèle ne prend en compte que les surfaces en herbe. La diversité et la variabilité des physionomies de ces surfaces en herbe constituent les éléments de la dynamique du paysage du modèle. La variation de la physionomie des surfaces en herbe est la principale variable étudiée.

312. La simplification de la couche des structures agraires

Les surfaces en herbe des territoires ruraux herbagers sont la ressource obligatoire des systèmes de production agricole. L’évolution de leur état physionomique est étroitement corrélée à l’intensité et aux types de pratiques agricoles qu’elles reçoivent (LOISEAU P. et DE MONTARD F.X., 1986; LANDAIS E. et BALENT G., 1993). Les travaux agronomiques traitant du paysage, présentés plus avant, ont montré qu’il était difficile de distinguer les systèmes de production agricole au sein du paysage (DEFFONTAINES J.P., 1995). En outre, la parcelle agricole est considérée comme l’unité élémentaire de contraste la plus facilement repérable (DEFFONTAINES J.P., 1986). Elle est définie comme la composante élémentaire de la couche des structures agraires, homogène du point de vue des objectifs de production qui lui sont assignés (GRAS R., 1989; CAMACHO O., 2004) et homogène du point de vue de l’application d’un itinéraire technique particulier. Au regard de la question traitée, cette échelle spatiale, par sa position particulière au sein du fonctionnement des systèmes de production agricole, est privilégiée. Les éléments linéaires et ponctuels du paysage n’étant pas pris en compte dans le modèle, la parcelle agricole est le plus petit élément spatial sur lequel est étudié le raisonnement de l’agriculteur.

La parcelle agricole est un objet central du modèle. Échelle pivot de la simultanéité des regards entre le champ, espace fonctionnel d’application des pratiques agricoles, et le territoire, étendue nécessaire à l’observation du paysage (SÉBILLOTTE M., 2002), elle représente le facteur de décision de l’agriculteur, en tant que contributrice de l’opportunité des pratiques agricoles qui lui sont appliquée (LANDAIS E. et DEFFONTAINES J.P., 1988), la variable modifiée et une pièce élémentaire du puzzle du paysage représenté par le modèle.

Finalement, l’association de l’intérêt particulier de ce travail pour les territoires ruraux herbagers et de l’orientation de la question traitée conditionne fortement le regard porté sur le paysage. Le modèle construit représente une simplification du “Grand Paysage”10, dépouillé d’une grande partie de ses éléments. Le paysage du modèle est uniquement composé de surfaces herbagères, composante principale des territoires ruraux herbagers et la plus susceptible de transformations physionomiques sous l’effet des pratiques agricoles courantes des systèmes de production agricole. Il est organisé sous la forme d’un puzzle de parcelles agricoles, niveau d’organisation spatiale élémentaire de ces pratiques agricoles. La Figure 3.3 illustre cette simplification majeure : le paysage vu d’une portion du territoire Chadrat,, commune du département du Puy-de-Dôme utilisée comme support d’illustration de la modélisation menée, est simplifiée sous la forme d’un puzzle de parcelles agricoles imbriquées les unes aux autres, les autres éléments paysagers n’étant pas intégrés au modèle. Le paysage du modèle peut être caractérisé de paysage agricole.

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Dénomination extraite du site Internet “Le site de l’indicateur du Paysage” signifiant le paysage dans son ensemble, c’est-à-dire considéré avec sa complexité naturelle, sans restriction géographique, ni disciplinaire.

32. La sensibilité au paysage de l’agriculteur, une clé des formes paysagères