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Un cadre multidimensionnel d’analyse des données

PARTIE II. LA METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

5.5. Un cadre multidimensionnel d’analyse des données

Le cadre d’analyse permet au chercheur de traiter les données recueillies au travers d’indicateurs qu’il aura explicitement présentés et justifiés en fonction de ses questions et objectifs de recherche. De l’application de ces filtres d’analyse sur le corpus préalablement construit (cf. points précédents) découlent des résultats qui permettent de répondre au questionnement posé. En ce qui concerne notre recherche, cette dernière tente de répondre à trois questions qui rendent compte plus largement d’une réflexion sur la didactisation, en français langue étrangère, d’un élément fondamental, complexe et protéiforme de la langue française : le verbe.

Question 1 : Quelles dimensions du verbe sont activées en classe de français langue étrangère ?

Lesquelles prédominent ?

Question 2 : Quelles démarches, quels modes d’intervention utilisent les enseignants pour faire

exister et faire avancer les éléments formels et conceptuels du verbe en classe ?

Question 3 : Quels obstacles rencontrent les enseignants face à la transmission des

caractéristiques du verbe ?

Le tableau ci-dessous résume la démarche d’analyse élaborée et appliquée à notre corpus de données multiples. Nous reprenons et développons plus bas chacune des étapes de la démarche qui associe plusieurs approches méthodologiques, ces dernières relevant toutes de l’étude des pratiques enseignantes dans le champ de la didactique du français.

147 Dans la lignée des travaux du GRAFE, notre traitement des données allie deux formats d’analyse complémentaires : d’un côté une analyse macro (ou grand angle) qui se base sur l’outil support du synopsis et d’un autre côté une analyse micro, davantage resserrée qui s’appuie sur la transcription des interactions didactiques et des verbalisations produites en autoconfrontation.

Dans un premier temps, nous avons considéré la séance de classe dans sa globalité et avons examiné l’enchaînement des dispositifs didactiques mis en œuvre, ces derniers étant entendus comme « une série de situations et de supports à des fins didactiques qui instaurent un espace sémiotique au service de l’objet et de ses significations » (Sales Cordeiro & Schneuwly, 2007, p. 7299). Il s’agit ici de décrire les différents milieux didactiques dans lesquels le verbe prend place. Dans un second temps, nous nous sommes focalisée sur les modes d’intervention de l’enseignante qui permettent au verbe d’une part d’exister dans le milieu didactique et d’autre part d’évoluer dans l’échange avec les apprenants. Cette distinction relève de ce que B. Schneuwly appelle la « double sémiotisation » des outils d’enseignement qui permet ainsi à l’apprenant de faire et d’apprendre : « il s’agit (…) de ceux [les gestes] qui assurent la rencontre de l’élève avec l’objet et de ceux qui assurent le guidage de l’attention100 » (2000, p. 23). A ce stade, nous sommes sur le premier niveau de la double sémiotisation en ce que nous examinons les dispositifs didactiques qui assurent la rencontre du verbe et de ses diverses dimensions avec les apprenants. Ainsi, nous portons précisément notre regard sur les formes, les contenus et les fonctionnalités de chacun des dispositifs didactiques de la séance, ce qui consiste à observer l’étayage de nature globale.

Pour ce qui est du deuxième niveau de la double sémiotisation, il s’agit de quitter la vue grand angle du synopsis pour adopter dans un troisième temps un zoom resserré sur les échanges entre enseignante et apprenants. Après avoir traité du geste de mise en œuvre des dispositifs, nous examinons à présent les gestes de régulation et d’institutionnalisation. L’étude des régulations consiste à « décrire des formes interactives à l’intérieur d’activités scolaires, et leur contribution à la construction à la fois d’un objet d’enseignement et les manières communes d’en parler à la classe » (Schneuwly & Dolz, 2009, p. 110). Nous regardons plus précisément les stratégies de réajustement de l’enseignant face à des incompréhensions soulevées par les apprenants ou face à des obstacles liés à l’objet-verbe lui-même. Concernant le geste d’institutionnalisation, il vise à « fixe[r] de manière explicite et conventionnelle le statut cognitif d’un savoir pour construire un apprentissage » (ibid., p.111). Nous chercherons donc à relever, dans le discours de l’enseignante,

99 Du point de vue de la théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 1985), ce premier stade de l’analyse équivaut à la mise au jour du processus de la mésogenèse entendue comme l’aménagement du milieu didactique par l’enseignant.

100 On peut aussi établir un parallèle avec les « modalités d’étayage » définies par J.-S. Bruner (1983) en ce que les deux outils au sens de B. Schneuwly, constituent des ressources sur lesquelles peut s’appuyer l’apprenant pour combler un manque dû à la relation asymétrique du didactique.

148 les dimensions du verbe considérées comme des significations nouvelles à acquérir. A ce niveau, notre analyse permet de recenser les gestes didactiques de l’enseignante (mise en œuvre des dispositifs, régulation et institutionnalisation) qui aboutissent ainsi à une cartographie des dimensions du verbe activées en classe de FLE.

Enfin, à l’instar de D. Bucheton et O. Dezutter (2008), nous considérons que le croisement du point de vue du chercheur (analyse externe) et de celui produit par l’acteur-enseignant (analyse interne) est essentiel pour saisir l’action didactique dans ses moindres fondements. De ce fait, la quatrième et dernière étape de la démarche éclaire et ajuste dans la mesure du possible les diverses interprétations initiales du chercheur, et cela par la prise en compte des « catégories signifiantes » (Blanchet, 2011) de l’enseignant lui-même. Pour cela, nous empruntons la typologie d’analyse des verbalisations élaborée par Cicurel (2011b) qui lui permet de décrire l’agir professoral des enseignants. Le filtrage des verbalisations se réalise au travers de des catégories suivantes : « une action

- obéissant à des contraintes de temps - qui tisse un lien éducatif

- dans laquelle la langue a une place privilégiée

- qui demande que soit assurée l’intercompréhension101 - susceptible de provoquer des émotions

- soumise à des normes sociales

- qui demande une médiation matérielle » (ibid., p. 143).

Etant donné que nous avons pour objectif de décrire les pratiques grammaticales des enseignantes et plus précisément de décrire la transmission d’un objet grammatical complexe, nous avons sélectionné en priorité les critères d’analyse portant sur la langue et sur l’intercompréhension en ce que nous cherchons à saisir d’une part les motifs sous-jacents aux pratiques de transmission du verbe et d‘autre part les obstacles pouvant interférer dans la mise en œuvre de ces pratiques.

101 L’intercompréhension est ici à entendre comme la compréhension réciproque entre enseignant et apprenants.

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Synthèse du chapitre 5

Dans ce chapitre, nous avons mis au jour les soubassements de notre méthodologie de recherche qui s’inscrit dans le paradigme des recherches qualitatives, écologiques et

compréhensives. En effet, nous tentons de saisir l’enseignement du verbe en FLE dans un

contexte spécifique, sous le prisme de divers cadres interprétatifs : ceux du chercheur prenant appui sur un cadre théorique exposé dans la première partie de la thèse et ceux des enseignantes-participantes prenant appui sur « leur répertoire didactique » alors composé de leurs représentations sur l’enseignement grammatical, de leurs expériences passées, de leur vécu d’apprenant, de leurs formations, etc. (Cicurel, 2011b).

Nous avons présenté les outils de recueil de données qui nous ont permis de collecter des pratiques grammaticales attestées en ayant accès à leur versant émergé (observation) et immergé (autoconfrontation). Pour exploiter ces données multimodales, l’outil du synopsis (Schneuwly & Dolz, 2009) a permis de les regrouper et de réduire les séances observées afin de faciliter leur analyse et d’étudier le déploiement grand angle du temps verbal. Quant à la transcription des interactions didactiques dans les extraits significatifs (des observables filmiques), elle a favorisé un examen fin et précis du discours grammatical ainsi que des gestes didactiques des enseignantes pour faire exister le temps verbal (mise en œuvre des dispositifs) et pour attirer l’attention des étudiants sur les caractéristiques du fonctionnement verbal (institutionnalisation et régulation). Enfin, les discours réflexifs des enseignantes ont contribué à une meilleure compréhension des pratiques observées par l’émergence des motifs sous-jacents et des obstacles rencontrés in vivo.

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Partie III. Le traitement du verbe en