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L’impact des caractéristiques de l’apprenant et de son environnement

PARTIE I. UNE EPISTEMOLOGIE PLURIDIMENSIONNELLE DU VERBE

2.2. L’impact des caractéristiques de l’apprenant et de son environnement

La langue première de l’apprenant

Plusieurs études réalisées sur les interlangues d’apprenants de FLE avec des langues premières (L1) différentes, montrent que ces dernières influent sur l’acquisition du verbe aux niveaux morphologique et conceptuel47. Du point de vue morphologique, il apparaît que les apprenants de FLE suédois marquent tardivement l’accord verbal en raison entre autres de l’absence d’accord verbal dans leur L1 (Agren, 2005). En effet, en suédois, c’est le pronom personnel qui porte les marques de la personne. A l’inverse, les apprenants de FLE allemands intègreraient rapidement cette marque étant donné qu’on retrouve un fonctionnement similaire au français (pronom personnel + forme verbale) (Granget, 2005). Qu’en est-il de la langue chinoise pour laquelle les variations morphologiques n’existent pas ? Le marquage de l’accord est effectivement facilité si l’apprenant a déjà appris, avant le français, une langue dont les formes varient morphologiquement (Leung, 2003).

Du point de vue conceptuel, l’étude des interlangues d’apprenants débutants de FLE polonais (Paprocka, 2003) a montré que des formes idiosyncrasiques apparaissaient dans leurs discours. Rappelons que la langue polonaise est une langue aspectuelle en ce que les verbes polonais sont morphologiquement porteurs d’une marque qui indique le caractère imperfectif (non borné) ou perfectif (borné) du procès. Les étudiants avaient en effet recours de manière surabondante à la tournure périphrastique commencer à, ce qui avait pour finalité d’indiquer une situation non terminée.

Par ailleurs, la L1 des apprenants aurait aussi une influence sur le rythme d’acquisition des temps verbaux. En effet, il semblerait que le passé composé soit formellement attesté dans les productions d’apprenants anglophones et polonophones après 80h de français mais ne serait adéquatement utilisé qu’après 280h de français pour les premiers et 650h pour les seconds (Véronique, 2009, p. 200). On constate donc que la proximité ou l’éloignement de la langue-source par rapport à la langue-cible, influence l’appropriation du temps verbal.

L’environnement homoglotte

L’environnement homoglotte renvoie à une situation où la langue-cible apprise par le locuteur-apprenant est également la langue du pays dans lequel il réside. Plusieurs éléments sont à mentionner concernant l’acquisition du verbe dans cet environnement. Tout d’abord, ce dernier favoriserait la prise de risque discursive des locuteurs-apprenants en ce qu’ils utiliseraient davantage de verbes irréguliers. De plus, l’accord verbal serait davantage marqué et entendu à

52 l’oral – par la variation de la base – qu’en contexte hétéroglotte. Un séjour en immersion soutient aussi le développement acquisitionnel au niveau des marques temporelles en ce que l’imparfait serait porté non seulement par des auxiliaires mais aussi par des verbes lexicaux. Nous avions alors vu qu’en début d’acquisition, l’imparfait était plus facilement appliqué à des verbes d’état ou auxiliaires. L’input apparaît donc plus riche en contexte homoglotte (Véronique, 2009), ce qui faciliterait un usage plus diversifié des verbes et des tiroirs verbaux.

Le milieu guidé

Au vu des caractéristiques de notre terrain de recherche, nous allons à présent regarder l’impact du milieu guidé sur l’acquisition des formes verbales du français. Nous préférons parler de milieu guidé plutôt que de milieu scolaire en ce que notre recherche ne prend pas place dans un établissement scolaire mais dans un établissement universitaire qui accueille des adultes.

Mentionnons d’abord qu’il existe des similitudes entre une situation d’acquisition guidée et une situation d’acquisition naturelle. On constate effectivement que les locuteurs-scripteurs, apprentis et apprenants, ont recours à des chunks qui sont des formules de la langue-cible intégrées d’un seul bloc ; par exemple [sɛpa] ou [ʃepa] pour je ne sais pas ou [kõprãpa] pour je ne

comprends pas (ibid.). Par ailleurs, l’absence d’une morphologie verbale adéquate dans les

discours est à relever pour les deux types de locuteurs-scripteurs.

Néanmoins, il semblerait que le guidage enseignant soit bénéfique pour plusieurs raisons. En effet, il permettrait d’accélérer le rythme acquisitionnel de l’apprenant, d’augmenter le degré de contrôle de ce dernier – l’autocorrection en serait une trace visible – et d’atteindre un plus haut niveau de maîtrise que celui qui n’aurait connu que l’acquisition naturelle (ibid.). Dans une situation d’immersion, l’input reçu par le locuteur-apprenti allophone est logiquement plus dense et par conséquent plus complexe à traiter que dans une situation de classe. Les messages qu’il reçoit dans les diverses situations de la vie quotidienne, lui parviennent la plupart du temps sans aménagement pouvant faciliter sa compréhension, notamment la segmentation du flux oral.

A l’inverse, les particularités du milieu didactique et de ses interactions sont telles qu’elles favorisent la réception de l’input. Par exemple, il est communément établi que l’enseignant adapte son discours au niveau de son groupe. Un autre élément facilitateur réside dans le découpage des éléments de la langue cible. Il ne s’agit pas de dire que les progressions adoptées dans les programmes ou manuels favorisent obligatoirement l’acquisition, preuve en est l’indicatif présent qui est souvent un des premiers temps enseignés et appris mais difficile à maîtriser dans sa morphologie, et cela même par un apprenant de niveau avancé. Néanmoins le découpage des contenus de la langue-cible est souvent connu des apprenants tel que le montre l’extrait suivant issu de notre corpus d’interactions didactiques :

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7 C (…) alors donc la semaine dernière on a parlé des souvenirs d'enfance notamment + d'accord donc on a parlé du passé + et on avait étudié un des temps du passé qui s'appelle + l'imparfait + (…)

L’enseignante expose clairement aux étudiants un élément de la langue-cible, le temps verbal de l’imparfait, qui a été enseigné la séance précédente. Il nous semble que la verbalisation du contenu linguistique permet aux étudiants de mieux cibler ce qui doit être appris et donc acquis.

Du point de vue des temps verbaux qui apparaissent dans l’input de la classe, il semblerait que le passé composé soit davantage utilisé que l’imparfait, ce qui expliquerait entre autres que le passé composé intervienne plus tôt dans les interlangues des apprenants. On peut également supposer que le passé composé soit un temps fréquemment attesté dans les usages du quotidien. Les commentaires évaluatifs plus généralement appelés feedbacks, constituent une autre spécificité du milieu didactique. A ce sujet, D. Ayoun (2001) a montré que des explications métalinguistiques sur la construction et l’emploi du passé composé et de l’imparfait favoriseraient l’appropriation morphologique des deux temps mais que dans l’usage par les apprenants, cela ne serait bénéfique que pour le passé composé qui serait alors adéquatement utilisé. Pour ce qui est de l’imparfait, l’étude a dévoilé que des feedbacks incluant des explications sur son fonctionnement, ne permettaient pas d’élargir l’usage de l’imparfait à des verbes autre que des auxiliaires en début d’apprentissage. Pour que l’imparfait s’étende à une plus grande diversité de verbes, il semblerait alors que des reformulations correctives implicites soient préférables, sans recourir à des commentaires explicatifs.

Suite à ces constats, D. Véronique préconise de créer des dispositifs d’enseignement qui s’appuient sur les types de discours au travers desquels le verbe et sa morphologie sont traités dans des situations discursives (2014, p. 40). A cet égard, il tient compte des récents ancrages méthodologiques (approche communicative, perspective actionnelle) et propose la progression suivante :

Modules Contenus

1 Verbes modaux (falloir, devoir, pouvoir), présentatifs (c’est) au présent 2 Accord en nombre dans les verbes réguliers et irréguliers

3 L’opposition temporo-aspectuelle : présent vs antérieur 4 La référence futur

5 L’imparfait et le passé composé dans les textes narratifs

Tableau 18 : Une progression d'enseignement du verbe fondée sur les recherches acquisitionnistes (Véronique, 2014, p. 41).

Il s’agit alors d’exposer l’apprenant à la modalisation qui permet à l’apprenant dès les prémisses de son apprentissage d’avoir accès à des intentions de communication et à des effets de sens divers et variés. Du point de vue formel, ce sont des verbes très usuels dont on suppose

54 que l’utilisation favorisera l’appropriation de leurs variations lexicales. Ensuite, on retient que l’accord en nombre précède le marquage temporel (tel que l’ont montré les recherches acquisitionnistes susmentionnées) et que pour la temporalité, c’est la charge aspectuelle de l’accompli qui est traitée avant « la référence futur » et le dyptique imparfait/passé composé à l’intérieur de récits.

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Synthèse du chapitre 2

Dans ce chapitre, nous avons mis au jour les résultats d’études sur l’acquisition du verbe et de ses caractéristiques morphologiques et conceptuelles. Nous avons vu que plusieurs facteurs influencent l’appropriation du verbe et de ses temps telles que la fréquence ou la télicité du verbe, la L1 de l’apprenant ou encore la nature du milieu dans lequel celui-ci se trouve. Que faire de ces constats pour l’enseignement ? De manière générale, ces résultats questionnent non seulement les choix didactiques des enseignants mais plus largement aussi les prescriptions et certifications institutionnelles. Prendre en considération les facteurs d’acquisition précédemment exposés, pourrait faciliter l’enseignement/apprentissage du verbe en FLE.

D’abord, il faut préciser que s’intéresser au fonctionnement du verbe dans la L1 de l’apprenant fournit de précieuses indications sur les liens que ce dernier pourra opérer afin d’intégrer le fonctionnement du verbe français. Plus largement ensuite, des connaissances sur le processus acquisitionnel du verbe peuvent orienter la programmation des contenus ainsi que leur évaluation. Indépendamment de celle mise en place par l’institution (évaluations sommatives et certifications peu compatibles avec la prise en compte du développement acquisitionnel de l’apprenti-locuteur), les études acquisitionnistes montrent l’intérêt des évaluations formatives qui assurent à l’enseignant un diagnostic du stade d’acquisition (on peut imaginer en début d’apprentissage de vérifier si l’accord verbal est acquis avant de passer aux marques temporelles) et d’autre part, elles questionnent la nature et l’objet des feedbacks de l’enseignant.

Avant de passer au chapitre suivant sur la didactique du verbe, il convient de mentionner que le linguiste acquisitionniste émet des hypothèses quant à l’origine des écarts constatés, à un instant t, entre les productions du non natif et celles du natif et n’a pas pour projet de rapprocher leurs niveaux de compétence linguistique. On voit bien ici la distinction majeure entre l’acquisition et la didactique : la description versus l’intervention autrement dit, la fonction diagnostique de l’acquisition et la fonction formative de la didactique. Toutefois, dans une visée de préconisation, les enjeux d’enseignement du verbe appellent une transversalité des perspectives ; c’est pourquoi, à l’instar de D. Véronique, nous pensons que :

les études en acquisition sont susceptibles d’orienter l’action enseignante. Elles peuvent leur fournir quelques repères, en montrant que des phénomènes verbalisés par des formules comme « ils [les apprenants] sont lents », « ils n’apprennent pas », « ils ne savent pas leur leçon », « ils ne connaissent pas leurs règles », peuvent être envisagés en termes de rythme de développement, de procéduralisation des connaissances déclaratives, et qu’ils sont en grande partie indépendants de la volonté des individus. (2009, p. 323)

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La didactique du verbe

Comme l’indique M.-E. Damar, « si la maîtrise grammaticale ne constitue pas la seule condition à la production d'une langue, elle n'en reste pas moins un élément fondamental » (2009, p. 13). Certes, il n’est pas nécessaire d’avoir connaissance de la grammaire d’une langue étrangère pour être capable de communiquer (preuve en est le recours aux gestes ou les quelques mots utilisés par le touriste) et qui plus est, la seule connaissance du fonctionnement grammatical ne garantit pas toujours un usage efficient de la langue (si l’on omet le contexte situationnel de l’interaction par exemple). Toutefois, il faut bien admettre qu’il paraît difficile de faire abstraction des lois profondes régissant le fonctionnement de la langue étrangère si l’on souhaite se conformer aux usages des locuteurs de cette langue (Besse & Porquier, 1991, p. 72).

Pour S. Lepoire-Duc et D. Ulma, « il est communément admis que l’enseignement de la grammaire représente un point d’achoppement de la didactique du français, que ce soit en langue étrangère ou en langue de scolarisation » (2010, p. 9) et à l’intérieur de l’enseignement grammatical, le verbe constitue « un problème central (…) et un point de cristallisation de problèmes didactiques » (2012, p. 43). Dans un premier temps, nous commencerons par caractériser ce que recouvre théoriquement l’enseignement grammatical en langue étrangère afin d’exposer ensuite comment il se réalise concrètement en classe. Dans un second temps, nous nous focaliserons sur l’enseignement de la catégorie verbale en appliquant les principes d’une « grammaire à double entrée » (Chiss, 2002) puisque nous exposerons d’une part le traitement morphologique et d’autre part le traitement conceptuel.

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