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CHAPITRE 5 MON CHEMIN MARCHÉ 2 E ANNÉE : DEVENIR L’HÉROïNE DE

5.2 S UBIR MA VIE OU EN DEVENIR L ’ HÉROÏNE

On nous avait demandé d’explorer l’écriture spontanée pour dresser notre avancée de recherche. J’avais fait des dessins enfantins - des bonhommes allumette - pour décrire les étapes clefs. Je me souviens avoir été surprise par cet élan, car je ne me trouvais pas sérieuse de faire de tels dessins à l’université. J’ai tout de même accepté de faire confiance

à cette impulsion. Mon enfance entrait officiellement dans mon parcours conscient. Pour la première fois dans cette démarche universitaire, j’abordais la mort de mon père et la portée de cet événement dans nos vies. Voici ce texte :

J’ai l’âge de la petite enfance.

Mon père est gravement malade, il sait qu’il va mourir (mais personne n’en parle ouvertement).

Je suis le bébé, la plus jeune de six enfants. J’ai cinq ans.

Arrive la mort de mon père. Et la perte d’un deuxième mari par le cancer pour ma mère.

Le silence est la voie choisie par ma mère afin de nous éviter une trop grande peine dans nos vies. Si on n’en parle pas, on ne pleurera plus.

Seulement, ce silence a, pour ma part et aussi de ce que j’observe, coupé le lien avec mes frères et sœurs. Voilà 45 ans que mon père est décédé et jamais nous ne l’avons évoqué ouvertement ensemble.

Dès lors, je porte à l’intérieur les mots et les questions. Je les ressens. Ils s’animent à l’intérieur de moi.

Mais mon corps et ma voix, après quelques expériences vaines, ne servent plus à exprimer ces choses-là. Je les oublie, et j’oublie aussi mon père.

Je grandis. S’ensuit une longue quête en solitaire : Qui suis-je ?

Dans ce chemin, je choisis professionnellement d’accompagner les gens dans l’actualisation de leur propre potentiel. (Cela m’anime encore et toujours).

Et au fil des expériences diverses, j’en arrive à réaliser que sans m’en rendre compte, je porte un flambeau à la main : celui qui rappelle que « Tout se dit ».

On se souvient qu’à l’automne 2014, j’avais pris conscience que je possédais un savoir-faire professionnel jusque-là non vu par moi-même. Une année plus tard, c’est cela qui commençait à se révéler : je savais accompagner les gens avec confiance dans ces lieux moins fréquentés porteurs de non-dits et de tabous. Cette prise de conscience était importante mais elle n’apparaissait pas seule. Je conscientisais aussi que, même si j’étais à l’aise et en possession de mes moyens pour entrer dans ces espaces de non-dits en relation d’aide, je ne l’étais toujours pas au sein de ma fratrie.

Est arrivé le moment où j’ai compris que j’avais le choix de mettre en place un espace intérieur et extérieur afin de créer le lien vers moi et vers l’autre, ou non. J’ai donc accepté de m’ouvrir avec confiance, car je souhaitais si fortement donner la Voie et la Voix à mon savoir pratique dans toute sa richesse et sa lumière. Voici comment les choses se sont déroulées :

Suite à ma présentation, Jeanne-Marie m’a ramenée au début de la première année où j’exprimais ma difficulté à ouvrir aux autres et mon hésitation à revenir au prochain cours. (Ça rigolait dans la classe). Elle s’était alors demandé de quelle famille je venais pour avoir une telle difficulté à faire confiance au groupe. Une collègue avait alors ajouté que j’étais devenue consciente de la peine de ma mère, et que j’avais compris que je devais la protéger. Une certaine maturité avait été acquise grâce à cet événement-là.

J’ai exprimé au groupe que j’en arrivais au point où je comprenais que le silence avait cristallisé quelque chose au sein de ma famille. L’idée proposée par un pair d’écrire à mon père a semé une certaine peur en moi. Voici des extraits tirés de l’enregistrement de ma présentation du 19 décembre :

Oh, mon Dieu, j’ai le droit ? Ça rejoint la légitimité de mon vécu. Ça ne fera pas mourir personne si je nomme des choses avec lesquelles ma fratrie ne sera peut- être pas d’accord ou simplement par le fait de prendre la parole. J’ai voulu pour tout le monde mais ça ne marche pas, Je vais le faire pour moi. Je me fous un peu des autres dans le sens de Réveillez-vous et en même temps, je comprends chacun de vos chemins.

Jeanne-Marie :

Il y a quelque chose qui est beau chez toi et c’est la compétence particulière que tu as développée. Elle relève de ce que tu as vécu comme étant un trauma dans ta famille. Et de ce trauma-là, tu as développé une compétence. Il y a comme une espèce de remerciement particulier que tu dois faire à ton trauma. Honorer ton chemin de vie qui t’a amenée à ce savoir pratique.

Tu accompagnes les familles dans l’apprivoisement de la mort, cette affaire-là que vous n’avez pas su apprivoiser.

Une collègue a ajouté :

Quelque chose dans le non-dit. Il y a quelque chose dans ton être, dans ta présence, dans ton pouvoir intérieur qui est agissant dans le lien et qui dépasse la parole et qui permet la parole de l’autre après.

Jeanne-Marie :

La mort de ton père et le silence de ta mère ont donné chez toi ce fruit juteux où tu mets tout en œuvre. Tu as développé des pratiques pour que l’on puisse dire et qu’on ne vive pas la même chose que ce que tu as vécu.

Elle a souligné que j’avais le choix de souffrir du taire de ma famille ou devenir l’héroïne de mon histoire. De ce second lieu, je pouvais voir ce que mon âme était venue faire ici. J’avais eu besoin de ce terreau du silence pour dire. Ça libérait et honorait ma famille et ne la condamnait pas. Ma génération, ma culture avait besoin de ce que j’avais à dire en lien avec la mort, le silence et les non-dits. Ça me permettait de mettre en mots ce que j’avais développé et appris. Jeanne a ajouté :

On n’accompagne pas la mort avec des mots.

Qu’est-ce qui a eu d’autres, en amont de ce pathos-là, qui fait que tu n’es pas brisée totalement ?

Moi :

Une mère résiliente. Jeanne-Marie :

Elle a dû se taire pour se reconstruire et être là pour ses six enfants et cela ne nie en rien tout ce qui t’a manqué.

[…] Tu viens de quelque part, tu l’as transmuté dans ta vie professionnelle, mais tu n’as pas été capable, encore, de le transmuter dans ta vie intime.

Je dis :

Si je réussis ici dans le groupe, j’ai confiance que je peux réussir auprès de ma famille.

Suite à ma présentation, j’ai noté ces trois idées le 18 décembre :

Mon intuition est que je n’aurai d’autres choix que de parler du deuil. Ce qui ne va pas est toujours ce qu’on ne dit pas. (Leloup)

La relation à soi, à l’autre, au monde est le but de la maîtrise.

À ce stade-ci, ma question de recherche devenait : Comment le terrain des non-dits permet l’émergence d’une pratique juste et sensible face à la mort et la maladie grave ? Je voulais savoir ce que je faisais et qui permettait la connexion avec l’autre dans ma pratique professionnelle.

Face au silence absolu depuis la mort de mon père, je m’étais finalement engagée à écrire à mon père afin de l’informer de ce qui s’était passé depuis son départ.