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CHAPITRE 2 ASPECTS ÉPISTÉMOLOGIQUES

2.4 L’ AUTOFORMATION OU LA FORMATION PAR PRODUCTION DE SAVOIRS

Je m’inscrivais aussi dans une autoformation existentielle, car ma recherche se posait sur un horizon ayant l’amplitude de la vie elle-même (Galvani, 2010). Une telle démarche vise à comprendre comment on se forme tout au long de sa propre vie.

L’autoformation désigne alors l’acte par lequel le sujet (auto) prend conscience et influence son propre processus de formation (Galvani, 2010). « L’autoformation, c’est la construction permanente de mon pouvoir d’exister, la reprise de mon pouvoir d’agir, mais dans la relation aux autres. » (Lhotellier, 1995, p. 237).

Pineau, dans Galvani (2010), parle d’autoformation existentielle dans le sens d’un processus d’appropriation par le vivant de son pouvoir de formation déjà détenu par les autres et les choses. Le processus d’appropriation désigne le phénomène de ramener à soi quelque chose que l’extérieur a en ses mains ou que l’on croit que l’autre a et que l’on n’a pas. Cela décrit bien le processus que ce mémoire relate du début à la fin, c’est-à-dire le revirement de posture où au lieu d’attendre de l’extérieur que l’on m’enseigne ce qui me

composait, je devenais celle qui possédait ce savoir et qui allait à sa rencontre. Jean-Marc Pilon (2016) parle d’une manière différente de regarder le renouvellement des savoirs en plaçant « le praticien comme l’acteur principal du renouvellement de son savoir et de sa pratique professionnelle » (p. 12). Il cite aussi Schön pour sa définition de l’autoformation en tant que réflexion sur l’action (2016, p. 12).

2.4.1 Un Je dans une coopérative de production de savoirs

Dans les prises de notes, les réflexions et les écrits phénoménologiques, il n’y avait que moi qui étais en mesure de relater ce qui se passait en moi-même. Je pouvais être confrontée, encore une fois, au sentiment d’être seule comme si souvent je l’ai senti dans ma vie. Soutenue par les enseignants et un groupe de pairs, j’étais entrée, en intégrant la maîtrise, dans une coopérative de production de savoirs. Le groupe me permettait de sortir des ornières de ma vie dont je parlais un peu plus haut.

Le groupe me permettait donc d’avoir accès à des informations qui m’auraient échappé si j’avais été seule, car situées dans mes angles morts. J’ai pu expérimenter consciemment une confiance partagée au sein de ma cohorte, me permettant ainsi de dépasser plusieurs limites auparavant subies au sein d’autres relations. J’ai pu aussi voir et expérimenter consciemment ma propre contribution au sein du groupe. Les données tirées de ces vécus ont été importantes.

Desroche, dans sa définition de l’étude des pratiques dans Galvani (2014), parle du chercheur en première personne comme d’une personne-projet. À l’instar de Moustakas, cette personne-projet se penche sur sa propre expérience et devient son propre objet de recherche. Toutefois, Desroche dans Galvani (2014) s’intéresse à l’apport du groupe de formation qui accompagne cette personne-projet et qu’il nomme la coopérative de production de savoirs. J’aime cette image qu’il fait de la recherche-formation en première personne et qu’il qualifie d’autoformation assistée telle une voiture ayant des freins assistés, mais où le conducteur est réellement au volant de sa voiture et en contrôle de la pédale de frein. Le groupe de la maîtrise m’assistait et était le frein assisté en cas de besoin.

Ce frein a été nécessaire à quelques reprises dans mon parcours pour sortir de certaines ornières.

L’autoformation dans laquelle je m’étais engagée représentait un accouchement de soi par un processus de conscientisation des créativités présentes au cœur de l’expérience pratique (Galvani, 2014). Il ne s’agissait pas de simplement parler de soi. La production d’un savoir sur un objet de recherche précis en était le résultat. Deux éléments essentiels de cette maïeutique sont pour la personne-projet 1) l’autobiographie raisonnée afin de pouvoir opérer un retour réflexif sur son expérience et 2) la coopérative de production de savoirs pour permettre la compréhension de l’expérience en dialogue. (Galvani, 2014).

Pour arriver à mener à terme cette recherche et ses multiples étapes liées à la production de données et à l’écriture, j’ai eu autour de moi les membres de ma cohorte qui m’ont offert leur réflexivité et leur constante présence. À chaque instant, il n’en revenait qu’à moi de prendre ou non ce qu’ils m’offraient. J’ai choisi de saisir à pleines mains ce que cette coopérative me tendait. À plusieurs reprises dans les trois années de cours, j’ai tout de même eu à rechoisir de ne pas faire « seule ensemble ». Cela a exigé un dépassement de moi constant.

Voici ce que Galvani (2006) énonce en lien avec la portée des échanges entre pairs : « L’accompagnement méthodologique des professeurs et la coformation du groupe de pairs s’inscrivent au croisement des perspectives phénoménologiques et herméneutiques qui nourrissent la quête de savoirs, de compétences et de sens. »

Mon mémoire s’est écrit au fil de ces frottements d’idées et de vécus. C’est la résonance de l’autre et ma propre résonance sur l’autre qui a permis que ce projet se concrétise. J’aime la manière dont Morin l’illustre alors qu’il résume l’écriture du deuxième tome de « La méthode ». Il disait que son livre n’était pas son produit. Le livre l’avait fait comme il avait fait le livre. Il fait l’analogie avec un accouchement d’une part en lui qui attendait de pouvoir se dire, mais qu’il ne connaissait pas encore : « Pendant que je

tente de l’accoucher, il tente de faire accoucher une vérité virtuelle, encore sans forme, qui attendait en moi. » (1980, p. 458).

J’avais aussi ce sentiment envers mon mémoire. Mon processus réflexif révélait quelque chose qui dépassait ma capacité initiale à conceptualiser le produit fini. Cela grâce aux dimensions heuristique et herméneutique de cette recherche.