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CHAPITRE 3 ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES

3.1 R EMARQUES GÉNÉRALES DE MA MÉTHODOLOGIE

3.1.2 Mon processus de production des données

C’est durant la deuxième année des cours que j’ai installé la structure actuelle de mon mémoire. Tout y était de la page de présentation à la bibliographie. Il m’était facile d’y insérer au fur et à mesure mes écrits, mes idées, des citations ainsi que les commentaires de ma directrice et des enseignants suite à nos échanges.

9 Jean-Philippe Gauthier, Notes de cours PPS-650-98, Récit autobiographique, Université du Québec à Rimouski.

C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à écrire mon chapitre des données sous la forme présente, soit en chronologie de mon parcours universitaire : année après année, cours après cours, weekend après weekend. À ce moment, je ne savais pas que je conserverais cette structure. Lorsque j’ai réalisé que ce que j’avais besoin de nommer était mon processus de conscientisation, j’ai compris que cette manière d’avancer était la meilleure pour moi.

Durant la troisième année de cours, j’ai aussi eu besoin de dresser la chronologie de ma vie et des moments qui m’apparaissaient importants. Cette chronologie s’est bonifiée au fil de l’écriture. Cette feuille a été sur le coin de mon bureau pendant toute la période où émergeaient des morceaux de ma vie et par la suite, pendant la rédaction.

Comme je ne savais pas ce que je cherchais, j’ai compris au fil de cette méthodologie, que le but de mon mémoire était justement de relater mon processus de conscientisation lié au fait de me voir ou de ne pas me voir. Afin de mieux voir ce qui se jouait, car beaucoup d’informations émergeaient de plusieurs endroits, j’ai fait une carte sémantique sur une feuille d’environ 1 mètre par 75 cm. On retrouvait chaque année, les thèmes et les moments clefs vécus pour chacune des trois années. C’est ainsi que j’ai pu saisir l’importance des données en lien avec le groupe. J’ai pu ainsi identifier un thème principal par année.

En première année, j’ai saisi que Je ne savais pas me voir, en deuxième, que J’avais choisi de devenir l’héroïne de ma vie et en troisième, que J’avais transféré consciemment vers l’intérieur, là où se trouve mon propre potentiel, l’attente d’être reconnue par l’extérieur. À ce moment, j’ai compris que j’étais en mesure de voir et reconnaître mon potentiel. Grâce à ces informations synthétisées sur une grande affiche, j’ai pu avoir un portrait visuel de l’ensemble. En travaillant debout, je l’ai annotée, j’y ai fait des recoupements, je l’ai séparée en moments clefs. Finalement, j’ai pu en extraire et y écrire littéralement ma conclusion. Cette méthodologie m’a permis de faire ressortir le fil herméneutique de ma recherche. Comme elle était située à l’entrée de mon bureau de travail, je la voyais et la parcourais donc quotidiennement de manière intentionnelle ou non.

C’est donc graduellement que s’est construit mon chemin. Lorsque les pans passés de ma vie émergeaient, soit par un moment vécu en classe ou à l’extérieur, je les notais et fréquemment, j’écrivais sur ce moment. J’ai retranscrit à l’ordinateur tous les récits manuscrits de mes notes de cours. J’ai ainsi construit une banque de récits mis à part de mon mémoire. C’est là que j’ai pu puiser ceux les plus parlants pour mon parcours.

J’ai compris au fil de ces années que c’était bien au cœur de mon essence que la maîtrise me conviait. Le sentiment que cela créait était exaltant, car ce qui m’habitait pouvait enfin s’exprimer. Pourtant, cela a représenté un défi de chaque instant. Ayant une propension naturelle à m’arrêter pour contempler la phrase que je venais d’écrire ou l’image que je venais de saisir, je me suis dressée en chien de garde face à l’incarnation de mon essence.

En troisième année de cours alors que mon mémoire prenait forme graduellement, j’ai écrit sur une feuille et je l’ai collée sur le mur à côté de mon écran d’ordinateur afin de m’aider à rendre matérielle ma pensée : Ce travail n’est pas l’œuvre de ma vie, c’est un travail universitaire. J’y ai ajouté ce proverbe chinois, trouvé au « hasard » : Ne crains pas la lenteur, crains l’arrêt. Comme je connaissais l’arrêt pour l’avoir expérimenté pendant des années, je ne tenais nullement à revivre cela.

Je me suis imposé des délais, des tâches, des rendez-vous d’écriture et de lecture. J’ai eu aussi à me souvenir qu’un processus de création est aussi soutenu par des phases d’incubation, et à faire la distinction entre l’arrêt justement et cette période où le travail se fait par en dessous. De parler de ma démarche et des résultats qui en découlaient a aussi été important. Malgré l’inconfort du bafouillage des premiers temps, j’ai persévéré à en parler. J’en suis arrivée à articuler une narration plus fluide et compréhensible pour l’extérieur.

Je savais que si je ne me tenais pas par la main, il serait facile de me retirer en moi- même ou de tomber dans une sorte de contemplation. J’aspirais trop à rendre matérielles toutes ces parts de moi muselées pour en finir là. Je l’avais déjà trop fait dans ma vie. Je me

reconnais dans ces propos de Rugira10 : « Il y a des œuvres qui ne se réalisent jamais, car la

personne tombe en amour avec l’essence et se refuse à la matérialisation, par peur de perdre la pureté de l’essence. On devient alors nostalgique de l’absolu. Il n’y a pas de création. Le temps passe. » Il me fallait donc aussi apprendre à aimer l’inachevé et l’imparfait de mon parcours.

L’écriture de ce mémoire ne s’est pas faite de manière linéaire. Les chapitres se sont construits de manière détachée au départ et en interrelation au fil des découvertes et des prises de conscience. Encore là, à travers ces prises de conscience, de multiples couches se sont soulevées. L’image de la spirale heuristique et herméneutique décrit bien ce processus. Je suis montée vers la réflexion pour descendre dans mon vécu, pour ensuite revenir à la réflexion et ainsi de suite. Les liens et les niveaux de compréhension se sont produits en de multiples moments, et ce, jusqu’à la toute fin de la rédaction.

Ma stratégie pour traverser les tumultes d’une telle recherche, car il y en a eu de nombreux, fut de faire ce que je faisais depuis plusieurs années déjà : quand j’en avais assez d’avoir peur et de m’opposer à ce qui me tirait vers le bas ou le haut, je m’arrêtais et j’accueillais. Ce fut dans ces moments que j’ai pu aller à la rencontre de la vulnérabilité que je portais, de celle qui sait, etc.

J’ai marché ce chemin tantôt sereine et devinant le but à atteindre, tantôt dans les méandres d’une forêt dense et sans visée précise. Malgré la peur de ne pas arriver à déposer mon mémoire, j’ai porté tout au long de ce processus la détermination que j’y arriverais. Je me suis souvent dit et redit que j’avais ici un privilège auquel j’avais aspiré toute ma vie pour enfin dire et me dire. Je ne pouvais faire faux bond. Pas cette fois-ci.

10 Jeanne-Marie Rugira, Notes de cours PPS-650-98, Récit autobiographique, Université du Québec à Rimouski.