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CHAPITRE 5 MON CHEMIN MARCHÉ 2 E ANNÉE : DEVENIR L’HÉROïNE DE

5.4 L ETTRE À MON PAPA

Au début décembre 2015, mon groupe m’avait proposé d’écrire à mon père. Durant le temps des Fêtes et pour la première fois de ma vie, j’ai exprimé à mes frères et sœurs que je voulais rencontrer papa dans l’année à venir. Mon vœu a pris une forme que je n’aurais jamais imaginée.

La correspondance écrite avec mon père s’est déroulée du 4 janvier au 9 février. Je l’ai intitulée Lettre à mon papa. Elle se voulait quotidienne mais je me suis assise à vingt moments différents pour lui écrire. Je m’étais imposé de ne pas me relire durant la rédaction afin de ne pas teinter ma spontanéité et de pouvoir ressentir l’effet de la vue d’ensemble lorsque je me lirais.

Dans ces écrits, où le but premier était de lui relater tout ce qui s’était passé dans ma vie et celle de notre famille depuis son décès, un échange s’est installé au fil des jours. Pendant les huit premières journées, je lui parlais et parfois le questionnais mais sans réponse de sa part. Le 12 janvier, je lui ai demandé conseil et il m’a spontanément répondu. Six jours plus tard, j’ai eu le courage de lui dire que j’avais eu peur lorsqu’il avait répondu à ma question.

Le 18 janvier, à notre septième rendez-vous, je lui ai posé cette question : « Crois-tu que je puisse t’intégrer ainsi dans ma maîtrise ? » Il m’a répondu ceci :

Pourquoi pas ? Si tu as cette ouverture, ce don de communication avec l’invisible, pourquoi le cacherais-tu encore ? Je te regarde, tu sais. Je te vois. Je t’ai vue de tous âges. J’ai vu ta flamme intérieure s’éteindre, s’amenuiser. Je t’ai vue travailler très fort pour la retrouver, la reconquérir, l’animer. Souffler dessus.

Avoir tellement peur de te retrouver dans le néant, le noir, de n’être plus rien. Je t’ai trouvée courageuse, je t’ai soufflé de persévérer, de continuer. Tu n’étais pas seule, jamais. Et tu ne l’es toujours pas. Sache-le.

Je lui ai exprimé que j’avais souvent eu l’impression que mon passé était un gros morceau de ma vie, LE morceau. Je lui ai dit :

Peut-être y a-t-il une clef demandant à être trouvée ? Peut-être suis-je interpelée par cela ? Peut-être que les couches doivent se soulever délicatement les unes après les autres afin de ne rien brusquer, afin que je ne referme pas le tout à double tour encore une fois ? Saurai-je aller vers ce passé ? Je le souhaite papa, car tant de choses m’appellent dans la vie, dans ce présent. Mais je crois que le passé détient une voie vers mon futur. Et que je ne suis pas bien loin de la trouver cette voie…

Je lui ai écrit le19 janvier, mais ne l’ai pas questionné. Le 20 janvier :

[…] ce qui est certain est que tu es mort alors que je n’avais que cinq ans et que le chemin a été long sans toi. Je dirais surtout celui de l’enfance. Tu peux me parler, tu sais ! Ça me fait un peu peur mais tu peux le faire.

Et lui de me dire :

D’accord. Une chose est certaine Jocelyne, l’Amour est. Il ne se laisse pas impressionner par la mort, par la vie. Il est. Présent dans un corps ou présent sans corps, l’Amour est au rendez-vous toujours.

À ce moment, je lui ai dit que les larmes que je pleurais étaient celles d’une très petite fille, celles qui n’ont pu être pleurées. Dans cet échange, j’ai pris conscience que ce n’était pas tant sa mort qui fut choquante mais le fait qu’il ait vécu les derniers mois de sa vie sans qu’on puisse vraiment le voir. Il était vivant mais inaccessible.

Le 27 janvier, j’étais en mesure de considérer que mon père n’était pas resté en arrière comme je l’avais longtemps cru : je réalise en écrivant que cela repose sur une perception, sur une croyance. Et si tu avais toujours continué d’être là près de nous ?

Nous as-tu aimés ? – Plus que tu ne peux te l’imaginer. (Ça y est, je recommence à pleurer…)

Qu’as-tu aimé le plus dans ta vie papa ? – Vous avoir. J’ai aimé chacun d’entre vous. Pour moi vous releviez du miracle, car je n’espérais plus cela de la vie. (Il s’est marié avec ma mère à 36 ans).

[…]

J’ai un père ! Je me sens plus entière, c’est fou, non ? Tu es vraiment une partie de moi et tu ne l’étais pas avant que je commence à t’écrire. […] Mon cœur est apaisé. Enfin ! As-tu quelque chose à me dire ?

- Crois en toi. Fais-toi confiance. Tu portes une lumière unique à ce que tu es. Ne la sous-estime pas. Elle éclaire ton chemin, tes pas, à chaque instant. Tu es ma fille. Je te re-connais. Je sais qui tu es. Ne l’oublie plus. J’ai quitté ce plan en sachant que j’avais aimé mes enfants. Et l’Amour ne meurt jamais. Il est. Tu ne peux saisir qu’une parcelle de ce qui se passe entre nous deux. […] Je peux saisir au-delà de ces mots qui se tracent, au-delà du fait que tu ne veuilles rien relire de ces écrits afin de pouvoir voir le Big picture quand tu le feras. Fais-moi confiance. Tu me permets de revenir dans ta vie. Comme je l’ai espéré cet instant. Je devine ta fermeture tout près et toute prête à te protéger à nouveau. Seulement, cette fois-ci, il y a conscience, désir et volonté. […] Tu me permets de récupérer aussi des fragments de cette vie, de m’harmoniser même en étant sur un autre plan.

Comme à toutes les fois où des prises de conscience survenaient, je tardais à y revenir pour les relire et/ou j’oubliais qu’elles avaient réellement eu lieu. Lorsque j’ai lu ces écrits à la fin de la correspondance, j’ai été touchée mais je les ai tout de même mis de côté20.

Me positionner, me permettre de me définir, de prendre ma place, d’assumer ma posture et de légitimer cet acte. (Journal du chercheur, 11 mars)

AVRIL

J’avais terminé cette deuxième année de cours depuis février. Mon thème jusqu’alors avait porté sur l’expérimentation d’un pouvoir intérieur ressenti en relation, dans la maladie grave. Il m’était apparu clairement durant cette dernière période de mon bloc recherche que

20 Je suis retournée lire cette correspondance très tard dans mon processus, en novembre 2018, dans les derniers pas avant mon dépôt initial. Je ne pouvais omettre ces données.

même si plusieurs thèmes émergeaient et que je voyais se dessiner une problématique plus claire, je n’avais pas encore trouvé le fil rouge, plus fin encore que celui que j’avais alors entre les mains et que je croyais définitif. Je continuais à chercher ce qui bloquait : me taire, taire ce canal, me tasser (Notes de cours, 6 avril).

En ce début du mois, je me suis entretenue avec Danielle, ma directrice. Elle était d’accord elle aussi pour dire qu’il n’y avait pas encore de problème d’identifié. Elle m’a demandé ce qui m’achalait et ce qui m’avait fait m’inscrire au programme de maîtrise. Elle m’a demandé d’y réfléchir.