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Les mécanismes d’action du NO au cours de la symbiose et notamment dans l’induction de la sénescence des nodules sont inconnus et leur découverte demeure un réel challenge. Le NO agit notamment en induisant des modifications post-traductionnelles de protéines. Ces modifications NO-dépendantes sont divisées en 3 types : i) la S-nitrosylation, ii) la tyrosine nitration et iii) la métal-nitrosylation. Récemment, ces 3 types de modifications post-traductionnelles ont été identifiés dans les symbioses fixatrices d’azote. Cependant, une seule étude a caractérisé le rôle biologique de cette modification dans les nodules. Il s’agit d’une étude conduite en 2011 qui a montré que la glutamine synthétase (GS1a) végétale, une enzyme clé de l’assimilation de l’azote par les plantes, est tyrosine nitratée dans les nodules de M. truncatula (Melo et al., 2011). Cette modification entraîne une inhibition de cette enzyme et serait nécessaire pour stimuler les réponses anti-oxydantes (Silva and Carvalho, 2013). En effet, le substrat de la GS1a, le glutamate, est aussi le précurseur de la synthèse du glutathion, un anti-oxydant.

Les résultats présentés dans cette thèse montrent que la proportion de GS1a tyrosine nitratée est plus importante dans les nodules induits par les mutants hmp ou nnrS1 par rapport aux nodules WT. Cette augmentation de la tyrosine nitration de la GS1a s’accompagne d’une diminution de l’activité de cette enzyme. Par ailleurs, nous montrons que la surexpression de hmp conduit à une diminution du taux de GS1a tyrosine nitratée qui est corrélée avec une augmentation de l’activité de cette enzyme. Par conséquent, les protéines bactériennes impliquées dans la dégradation du NO ne sont pas seulement dédiées à la protection de protéines bactériennes (par exemple la nitrogénase), mais jouent aussi un rôle majeur dans le contrôle de l’inhibition par le NO de protéines végétales. Cette conclusion soulève 2 points : le premier est la notion de compartimentation cellulaire. En effet, les protéines NnrS1 et Hmp sont prédites pour être localisées respectivement dans la membrane et le cytosol du bactéroïde et la GS1a est présente au niveau du cytoplasme de la cellule végétale. Ainsi le rôle de NnrS1 et Hmp n’est pas restreint au compartiment « bactéroïde ». Ceci peut s’expliquer par le fait que le NO est une molécule qui traverse facilement les membranes biologiques. Le deuxième point à soulever est le rôle des hémoglobines de plantes. En effet, bien que les hémoglobines

de plante soient localisées dans le même compartiment cellulaire que la GS1a, nous montrons ici qu’elles ne sont pas suffisantes pour protéger la GS de l’inhibition par NO. Les hémoglobines végétales et les protéines bactériennes impliquées dans la dégradation du NO peuvent avoir un rôle additif ou à l’inverse les protéines bactériennes pourraient être plus efficaces que les hémoglobines de plante. Ainsi, il serait intéressant d’étudier l’effet de la diminution d’expression des hémoglobines non-symbiotiques de M. truncatula sur la tyrosine nitration et l’activité de la GS1a. Une stratégie RNAi serait plus judicieuse étant donné qu’il existe 3 gènes codant pour les hémoglobines non symbiotiques et qu’il est possible qu’elles aient des fonctions redondantes.

Le cas de la glutamine synthétase comme protéine végétale protégée par des protéines bactériennes qui dégradent le NO n’est pas le seul. En effet, dans les nodules de soja (en symbiose avec B. japonicum), il a été montré que le taux de leghémoglobines métal- nitrosylées est plus important dans des nodules formés par le mutant nor que dans les nodules WT, particulièrement lors d’un stress de submersion (Sànchez et al., 2010 ; Navascues et al., 2011).

Une hypothèse serait que l’inhibition de la GS1a par tyrosine nitration est à l’origine de l’induction de la sénescence des nodules. En effet, il est souvent observé que des nodules formés par des mutants déficients dans la fixation ou l’assimilation de l’azote sénescent prématurément. De plus, l’étude du transcriptome de nodules de M. truncatula a révélé que l’inhibition de la GS par le phosphinothricine conduit à l’induction de la transcription de gènes impliqués dans la mise en place de la sénescence des nodules tels que les gènes codant pour les cystéines protéases (Seabra et al., 2012). Cependant, les nodules issus de lignées transgéniques de M. truncatula sous-exprimant GS1a montrent une diminution de la fixation d’azote mais aucun signe de sénescence (H. Carvalho, communication personnelle) suggérant que l’inhibition de la GS1a n’est pas le principal facteur de l’induction de la sénescence des nodules. Nous pouvons émettre l’hypothèse que c’est l’inhibition par tyrosine nitration d’une ou plusieurs autre(s) protéine(s) bactérienne(s) et/ou végétale(s) qui est à l’origine de la mise en place de la sénescence. Ainsi, nous avons réalisé des profils de protéines tyrosine nitratées de nodules formés par différentes souches bactériennes. Dans les nodules accumulant du NO (nodules induits par les mutants nnrS1, hmp ou norB), les profils sont similaires et montrent des différences par rapport aux nodules WT. Curieusement, nous avons observé la disparition de plusieurs bandes. Ce résultat est en accord avec le fait que, dans les nodules mutants nnrS1 et hmp, nous avons observé une diminution de la quantité de GS1a par rapport aux nodules

WT (données non montrées). En outre, une étude menée sur les nodules de soja a montré que le taux de leghémoglobine tyrosine nitratée diminue lors de la sénescence des nodules (Sainz et al., 2015). Une hypothèse serait que dans certains cas, la tyrosine nitration constitue un signal d’adressage au protéasome. Un étude a montré que la tyrosine nitration en positions 46 et 48 du cytochrome c induit sa dégradation (Díaz-Moreno et al., 2011).

Pour avoir plus facilement accès aux protéines bactériennes et ne pas être limité en quantité de matériel, nous avons simplifié le système en ne travaillant que sur des cultures bactériennes. Nous avons mis en évidence par Western blot anti-nitrotyrosine que suite à un traitement des cultures avec un donneur de NO, au moins 2 protéines, une proche de 38 kDa et l’autre d’environ 42 kDa sont tyrosine nitratées. Pour identifier ces protéines, nous avons découpé les zones autour de 38 et 42 kDa sur le gel SDS-PAGE et les protéines extraites ont été analysées en spectrométrie de masse. Nous avons établi une liste de 15 et 33 protéines potentiellement tyrosine-nitratées contenues respectivement dans la bande à 42 et 38 kDa. La plupart de ces protéines sont impliquées dans le métabolisme carboné et dans le transport des sucres. Parmi elles, se trouve la fructose biphosphate aldolase qui est une enzyme de la glycolyse. De façon intéressante, cette protéine a déjà été identifiée comme étant tyrosine nitratée lors de la mise en place des réactions de défense chez A. thaliana, cependant aucun effet biologique n’a été associé (Cecconi et al., 2009). Une autre protéine, la glutathion synthétase, qui catalyse la synthèse du glutathion, est particulièrement intéressante. En effet, en présence de NO, nous pouvons envisager un mécanisme de protection des bactéries contre le NO qui consisterait à activer la glutathion synthétase par tyrosine nitration permettant ainsi la production de glutathion, un piégeur de NO. A ce jour, aucun exemple d’activation d’une protéine par tyrosine nitration n’a été démontré. Pour valider notre liste de protéines potentiellement tyrosine nitratées, il faudrait être en mesure de pouvoir détecter en spectrométrie de masse, le spectre correspondant à la nitration d’une tyrosine. A ce jour, nous n’y sommes pas parvenus. L’identification des protéines tyrosine-nitratées constitue un réel challenge dû principalement au fait que seule une faible proportion d’une protéine donnée est tyrosine nitratée (environ 1 %). Par conséquent, il est nécessaire d’avoir une technique d’enrichissement des protéines tyrosine-nitratées performante pour espérer augmenter le pourcentage des protéines tyrosine-nitratées par rapport à l’ensemble des protéines. Ainsi, nous poursuivons nos travaux et essayons de trouver de nouvelles techniques d’enrichissement de protéines tyrosine-nitratées notamment en séparant les protéines par des gels bidimensionnels.

GS

Hmp

NorB

NnrS1/2

NO

NO

hémoglobines végétales

SENESCENCE bactéroïde cellule végétale

?

?

Figure 53: Contrôle du niveau de NO et sénescence des nodules: un modèle

La sénescence des nodules pourrait être déclenchée suite à la tyrosine nitration et inhibition de la GS mais aussi suite à la modification par le NO d’une ou plusieurs autre(s) protéine(s) végétale(s) ou bactérienne(s).

Au cours de cette thèse nous nous sommes focalisés sur l’étude de la tyrosine nitration de protéines dans le processus symbiotique et notamment lors de l’induction de la sénescence des nodules. Ce choix a été effectué sur 2 critères. Le premier est basé sur le fait que le seul exemple connu d’effet d’une modification post-traductionnelle dépendante du NO dans les nodules concerne la tyrosine nitration d’une protéine. Le deuxième point est lié au fait que la tyrosine nitration est une modification stable, ce qui en facilite son étude.

En conclusion, l’ensemble de ces travaux de thèse nous a permis d’établir un modèle présenté en Figure 53. Les protéines bactériennes NnrS1, NnrS2, Hmp et NorB, en synergie avec les hémoglobines de plante, contrôlent le niveau de NO dans le cytosol de la cellule végétale empêchant ainsi l’inhibition de la GS par tyrosine nitration. Il serait vraiment intéressant par la suite de découvrir le mode d’action du NO dans l’induction de la sénescence des nodules. Des résultats préliminaires suggèrent que ce n’est probablement pas l’inhibition de la GS par tyrosine nitration qui est responsable du déclenchement de la sénescence des nodules. Cependant ce résultat nécessite d’être confirmé. Pour cela, il faudrait suivre la cinétique d’apparition des nodules sénescents de lignées RNAi de la GS. Il serait aussi intéressant de tester si la surexpression de la GS conduit à un retard dans l’apparition de la sénescence des nodules pour des plantes inoculées avec la souche WT ou les mutants nnrS1, hmp et norB. L’identification des autres protéines tyrosine nitratées dans les nodules reste un réel challenge dont l’étude mérite d’être poursuivie. En effet, en plus de nous permettre de peut-être découvrir le mode d’action du NO dans l’induction de la sénescence, cette étude permettrait de mieux comprendre les mécanismes d’action du NO qui sont à ce jour peu décrits chez les plantes. Par ailleurs, il serait intéressant d’étudier les 2 autres types de modifications post-traductionnelles induites par le NO, à savoir la S-nitrosylation et la métal- nitrosylation. En effet, des enzymes clés de la symbiose telles que la nitrogénase bactérienne ou la leghémoglobine végétale sont respectivement S-nitrosylée et métal-nitrosylée dans les nodules (Puppo et al., 2013 ; Navascués et al., 2012; Igamberdiev and Hill, 2004). Enfin, la caractérisation fonctionnelle des protéines NnrS est loin d’être terminée. Dans un premier temps il faudrait construire le mutant de surexpression de nnrS2 et tester si cette protéine possède une activité NO réductase. Par ailleurs, NnrS1 et NnrS2 présentent plus d’homologie avec des oxydases respiratoires. Ainsi, il serait intéressant de tester si ces deux protéines sont aussi impliquées dans la respiration.

MATERIELS ET METHODES