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CHAPITRE 1: DÉMARCHE DE TERRAIN

CHAPITRE 4: L’ACTION MUNICIPALE EN IMMIGRATION

4.3 Recension des typologies des politiques publiques

4.3.2 Typologies de l’action municipale

En ce qui concerne les études sur les rôles des villes dans l’intégration des immigrants et des minorités ethnoculturelles et racisées, elles restent moins nombreuses dans la littérature. Dans un ouvrage sur les villes interculturelles, Patrice Allard (2018) opte pour une présentation de quatre rôles et responsabilités de la municipalité. Premièrement, la ville a le mandat d’offrir des services à sa population et donc facilite son inclusion. Deuxièmement, la ville a aussi un rôle de médiation à jouer, surtout dans la gestion de l’espace public. Troisièmement, la ville agit comme facilitatrice, notamment de la participation citoyenne. Quatrièmement, la ville, en tant qu’employeur, doit s’assurer que l’accès à l’emploi est équitable pour tous ces citoyens et d’avoir des employés qui soient représentatifs de la population (Allard, 2018). La typologie en quatre éléments proposée par Allard est un bon point de départ pour la recension de l’action

municipale en matière d’intégration des immigrants et de gestion de la diversité, mais ne semble pas représenter toutes les dimensions du travail effectué par la ville dans ce domaine. En effet, Allard fait fi de la concertation qui apparaît essentielle pour la ville à plusieurs égards, que ce soit dans l’octroi du financement ou dans l’adaptation des services municipaux aux besoins des usagers. De plus, la dimension administrative de la ville n’apparaît pas non plus chez Allard alors qu’il s’agit de l’outil principal que l’institution a pour mener ses projets et pour assurer une bonne gestion du financement sur le territoire.

Joe Mihevc, élu à la Ville de Toronto, a recensé six rôles que les municipalités peuvent jouer. Selon lui, elles sont des facilitatrices, elles financent les organismes ethnoculturels et les agences de services sociaux, elles sont les représentantes des immigrants vis-à-vis des autres paliers de gouvernements, les élus municipaux sont présents dans la communauté et dans les événements à caractère ethnoculturel afin qu’ils sentent qu’ils sont importants, elles encouragent l’intégration des immigrants sur le marché du travail et elles font la promotion de leurs contributions au développement économique et finalement, elles sont des prestataires de services (Good, 2009: 96). Bien évidemment, la réalité des villes en Ontario est différente de la réalité des villes au Québec ce qui fait que Toronto n’a pas tout à fait les mêmes mandats et les mêmes ressources à l’interne que les villes québécoises. Par exemple, au Québec, les villes ont des programmes de financement pour leurs organismes reconnus, mais ne financent pas les agences de services sociaux qui sont plutôt financés par le gouvernement provincial. De plus, la grande majorité des villes au Québec, bien qu’elles contribuent à la vitalité économique de leur territoire, n’ont pas de service ou de division pour le développement économique au sein

de leur secteur. Selon l’article 11 de la loi sur les compétences municipales, « toute municipalité locale peut constituer un organisme à but non lucratif dont le but est de fournir un soutien technique à une entreprise située sur son territoire » (L.R.Q., c. C-47.1, article 11). Il 53

s’agit effectivement d’organismes paramunicipaux qui en ont le mandat. Malgré tout, le modèle de Mihevc est intéressant puisqu’il introduit la collaboration dynamique que la ville a avec le milieu. Par contre, contrairement à Allard, Mihevc n’aborde pas le rôle que la ville joue dans la participation citoyenne ni dans l’exemple qu’elle doit donner en établissant et en respectant les politiques d’accès à l’emploi.

Kristin Good (2009), dans sa comparaison des villes de Toronto, de Mississauga et de Vancouver, relève aussi certaines actions et politiques que la ville peut mettre sur pied dans le but d’inclure et d’assurer une bonne gouvernance des enjeux reliés aux relations interethniques. Sa typologie en neuf points, basée sur celle de Wallace et Frisken (2000), comprend : la possibilité pour les villes de créer une unité séparée pour gérer les questions reliées à la diversité, le financement des organismes communautaires par les villes, le support qu’elles peuvent offrir et les recherches qu’elles peuvent faire sur les besoins des communautés, la mise en place de politiques d’intégration des immigrants, la mise en place d’initiatives pour l’équité en emploi, l’établissement de mesures pour encourager la participation des minorités ethnoculturelles dans la prise de décisions et ainsi être plus inclusive, l’adaptation des services municipaux afin de les rendre plus accessibles, la mise en place d’initiatives antiracisme, la possibilité pour les municipalités de se créer une image plus

C’est notamment le cas de Promotion Saguenay.

inclusive et le support que les municipalités peuvent offrir pour des fêtes multiculturelles (Good, 2009: 53-54). Ce que nous offre Good, loin d’être une typologie, est plutôt une liste d’exemples d’actions que la ville peut accomplir. Elle mélange ainsi l’organisation interne, le politique et la prestation de services, ce qui n’aide pas le lecteur dans sa compréhension de l’action municipale.

Enfin, Icart et al. (2005) proposent aussi une grille d’analyse des pratiques municipale en matière de gestion de la diversité. Cette grille, reprise de Labelle et al. (1996), est en trois temps et vise à distinguer 1) la ville comme organisation, 2) la ville comme communauté et 3) la ville comme garante de l’ordre public (2005: 51-53). Les pratiques mises sous la ville comme organisation sont par exemple les programmes d’équité en emploi, la formation du personnel, l’adaptation des services municipaux, etc. Les activités de rapprochement interculturel, le travail en partenariat et le financement d’organismes entrent dans la catégorie ville comme communauté. Et enfin, sous la ville et l’ordre public entrent le travail avec le service de police, la prévention de la radicalisation, la lutte aux comportements discriminatoires. Ce modèle est à mon avis le plus complet et le plus efficient même si je trouve les catégories trop vagues. Mon bémol est plutôt face à la catégorie la ville et l’ordre public. Créée dans l’optique des enjeux de la discrimination raciale, la troisième catégorie est certes importante, mais bien qu’étant un enjeu important, dans le cadre de la cohésion sociale au sens large il me semble que l’accent n’est pas réellement mis à ce niveau. L’analyse de plan d’action au début du chapitre appuie ces propos.

Tableau 4: Synthèse des typologies d’action municipale

Auteurs présentés/ Éléments de comparaison

Allard (2018) Mihevc (2009) Good (2009) Icart et al. (2005)

La prestation de

service Prestataire de services pour faciliter l’inclusion

Prestataire de services Adapter les services municipaux

Mesures en

emploi Employeur Encourager l’intégration en emploi des immigrants et faire la promotion de leur contribution au développement économique Initiatives en équité en emploi Rôle dans la participation citoyenne Facilitateur (de participation citoyenne) Participation citoyenne dans les conseils municipaux Sentiment

d’appartenance Accroitre le sentiment d’appartenance (en étant présent en tant qu’élu)

La ville comme communauté Représentent les intérêts

des immigrants auprès des gouvernements supérieurs Financement des organismes et des activités sur le territoire

Financent les organismes et les agences de

services sociaux

Financement des organismes + support pour des recherches sur les besoins des

communautés Support des festivals multiculturels Administration

interne de la ville

Création d’une unité séparée/organisation interne spécifique de l’administration La ville comme organisation Image inclusive de la ville Politique d’intégration des immigrants Cohésion sociale/sécurité publique Médiateur/ gestion de l’espace public

Initiatives anti-racisme La ville comme garante de l’ordre public

Gouvernance

En regardant de plus près ces quatre suggestions, deux éléments reviennent de manière unanime: la reconnaissance de la capacité de la ville à adapter ses services afin de faciliter l’inclusion des immigrants et le rôle de la ville dans l’emploi des immigrants et minorités ethnoculturelles et racisées. La transcendance de ces responsabilités municipales peut s’expliquer si l’on regarde premièrement l’adaptation des services municipaux. Il est dans l’ADN des municipalités d’offrir des services à l’entièreté de leur population, qu’on pense aux bibliothèques municipales, aux centres communautaires et de loisirs, aux parcs, mais aussi à tout ce qui est service à la clientèle pour les taxes, les contraventions, et toute autre aide au citoyen. Contrairement à un organisme communautaire qui est financé pour des dossiers spécifiques (immigrants, handicapés, aînés, jeunes, etc.), la ville doit s’assurer que ses services sont accessibles à tous. Il n’est donc pas surprenant que cet aspect se démarque aussi unanimement. Deuxièmement, le rôle que la ville joue dans l’emploi des immigrants et des minorités ethnoculturelles et racisées est très variable au sein des villes canadiennes, particulièrement parce que les villes au Québec n’ont pas de mandat en employabilité, contrairement à d’autres provinces. Cependant, la loi sur l’accès à l’égalité en emploi oblige une grande partie des villes québécoises à mettre en place des mesures d’embauche des minorités ethnoculturelles et racisées. Cette loi devient donc une responsabilité municipale concernant l’employabilité des immigrants.

La moitié des typologies présentées dans cette section furent développées par des professionnels et non par des chercheurs. Cette situation vient appuyer l’hypothèse selon laquelle les chercheurs se sont penchés davantage sur l’étude des politiques plutôt que sur l’action municipale. Afin de bien cerner l’action municipale, il est préférable d’avoir un

contact avec les acteurs qui sont au premier rang. Or, dans le cas présent, ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont créé leur typologie en fonction de ce qu’ils font. Bien qu’il soit intéressant d’avoir le point de vue direct des professionnels sur leur travail, le biais qu’occasionne la proximité entre l’objet et l’acteur doit être pris en compte. Il est alors important de valider les informations avec d’autres typologies, d’autres travaux sur le sujet pour contourner ces biais. Plusieurs facteurs peuvent aussi expliquer les disparités entre les différents auteurs. Soulignons principalement le fait que tous ne s’attardaient pas au même niveau. Dans le cas de Allard, par exemple, il a développé une typologie bien axée sur les responsabilités du fonctionnaire. De plus, il ne s’agit pas de n’importe quel fonctionnaire, mais d’un fonctionnaire de la Ville de Montréal. L’idéologie mise de l’avant par la ville, de même que l’organisation interne de l’administration, joue pour beaucoup dans la définition des rôles des fonctionnaires (Massana, 2018). En comparaison, Mihevc, en tant qu’élu, a une autre vision de l’action municipale et cela transparaît dans sa recension de l’action municipale. Enfin, c’est en m’appuyant sur les éléments relevés plus haut ainsi que mes observations empiriques que j’ai construit le modèle d’organisation de l’action municipale qui se trouve à la fin de ce chapitre (voir Tableau 5).