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CHAPITRE 1: DÉMARCHE DE TERRAIN

CHAPITRE 4: L’ACTION MUNICIPALE EN IMMIGRATION

4.1 L’immigration et les relations interculturelles dans la structure municipale

4.1.1 Les structures administratives

Dans la plupart des cas étudiés, l’immigration est placée avec le développement social et communautaire, ce qui correspond à l’idée que les immigrants tout comme les minorités ethnoculturelles et racisées sont des citoyens possédant des spécificités que la Ville doit prendre en considération. Selon le Conseil de la santé et du bien-être,

le développement social fait référence à la mise en place et au renforcement, au sein des communautés, dans les régions et à l’échelle de la collectivité, des conditions requises pour permettre, d'une part, à chaque individu de développer pleinement ses potentiels, de pouvoir participer activement à la vie sociale et de pouvoir tirer sa juste part de l’enrichissement collectif, et, d’autre part, à la collectivité de progresser, socialement, culturellement et économiquement, dans un contexte où le développement économique

s’oriente vers un développement durable, soucieux de justice sociale. (CSBE, 1998)

On y retrouve dans cette division les dossiers relatifs aux aînés, aux jeunes, l’accessibilité universelle, etc. C’est le cas des villes de Montréal, Québec, Sherbrooke, Laval, Longueuil et Brossard (voir tableau 1). Pour la plupart des fonctionnaires rencontrés, le fait d’avoir mis l’immigration et les relations interculturelles dans le développement social ou encore la vie communautaire prend tout son sens au chapitre de la transversalité. « La réponse qu’on donne je pense qu’elle est plus complète. Elle est plus globale. Elle vient plus que répondre à la préoccupation immigration simplement » (Entrevue 3). En plus d’inclure l’environnement plus large de la personne immigrante dans le développement de projets ou dans l’approche des problématiques en immigration, le développement social permet aussi un travail d’équipe et une meilleure sensibilisation de chaque enjeu comme le souligne ici un des fonctionnaires:

C’est plus facile quand tu passes d’un plan d’action à l’autre parce que, veux veux pas, chaque plan d’action est interrelié. Ce n’est pas comme si on parlait des communautés culturelles et ça devient une seule population, on parle des aînés et ça devient une seule population. Il y a de l’intersectionnalité dans les préoccupations (Entrevue 13).

De plus, les restructurations administratives au sein de la ville sont fréquentes et semblent affecter la plupart du temps les divisions sociales et communautaires. Par exemple, la Ville de Québec a eu pendant plusieurs années un Commissariat des relations internationales qui s’est transformé, par la suite, en un Bureau des relations internationales (BRI) dans lequel était traité le dossier immigration. Suite à l’abolition du BRI, les différents dossiers qui en faisaient partie ont été réinsérés dans d’autres services de la Ville. C’est là, en 2015, que l’immigration s’est retrouvée au sein de la division de la vie communautaire et sociale. Ceci est un défi

puisque ces changements organisationnels ont aussi un impact sur l’idéologie, ainsi que sur les pratiques municipales (Massana, 2018).

On peut aussi observer ce phénomène à la Ville de Montréal. Contrairement aux autres municipalités étudiées qui voient, avec le temps, une plus grande place accordée au dossier de l’immigration et des relations interculturelles, la Ville de Montréal se retrouve dans une position où, depuis la fin des années 80, ce dossier est en perte graduelle de pouvoir (idem). La métropole a effectivement eu un Bureau interculturel de Montréal (BIM), qui relevait de la Direction générale de la Ville. Ensuite, le BIM fut aboli pour faire place à la Direction des affaires interculturelles (DAI). En 1992, cette direction fut incorporée dans un service municipal: la Direction du développement social. Finalement, le statut de direction fut retiré pour se retrouver, depuis 2013, avec une division dans le Service de la diversité sociale et des sports (SDSS) (idem). Avec la mise sur pied du Bureau d’intégration des nouveaux arrivants de Montréal (BINAM) en 2016, le SDSS s’apparente aux divisions communautaires et sociales que l’on peut y retrouver dans les autres villes.

À la Ville de Drummondville, le dossier immigration avait été mis auparavant dans les arts et la culture. L’immigration était alors vue dans la diversité des cultures, donc dans un volet plus artistique et folklorique que communautaire. À la suite d’une restructuration, l’immigration a été dirigée au service de la vie citoyenne. Selon leur Site Internet,

les Services à la vie citoyenne ont pour mission la mise en œuvre de services directs et indirects à la population dans les créneaux suivants : le transport en commun, le stationnement, le contrôle réglementaire, l’accessibilité universelle, la famille, les aînés, le développement social, la revitalisation

urbaine intégrée, l’immigration et le logement social (Drummondville, 2018).

La Ville de Gatineau aussi a opté pour une approche dans laquelle l’immigration est dans le service des arts, de la culture et des lettres. D’ailleurs, leur politique porte le nom de politique en matière de diversité culturelle et non d’intégration des immigrants comme on peut le voir ailleurs. Cette décision organisationnelle est, dans les faits, plutôt étonnante puisque la vision adoptée par les membres de l’équipe et les actions qui en découlent dépassent largement la promotion des cultures et s’apparente davantage à la vision globale du développement social. Un autre cas de figure qui mérite d’être souligné est celui de la Ville de Rimouski. L’immigration, qui était auparavant reliée au service des loisirs, de la culture et de la vie communautaire - principalement dû aux demandes d’accommodements dans les camps de jours l’été - est maintenant dans les fonctions du directeur général adjoint à la suite de son changement de poste. Peu de temps s’est écoulé depuis l’attribution de ce mandat à ce poste ce qui fait en sorte que peu d’informations sont disponibles quant aux répercussions de cette décision sur le rôle de la ville en matière d’immigration et des relations interculturelles. À première vue, la transversalité de l’interculturel, qui semble être une préoccupation partagée par bon nombre de fonctionnaires, pourrait être envisageable dû au mandat de la direction générale. Cependant, il est aussi possible que ce dossier, souvent considéré comme non prioritaire, soit vite laissé de côté, faute de temps et d’argent.

Enfin, la Ville de Saguenay a opté pour un tout autre modèle. C’est à son organisme de développement économique, Promotion Saguenay, qu’elle a donné le mandat de créer une politique d’intégration et de rétention des immigrants et de la mettre en place. La création d’un

service d’immigration d’affaires au sein de Promotion Saguenay a par la suite engagé les actions dans une logique d’accompagnement personnalisé . Ceci se rapporte plus au rôle d’un 47

conseiller en immigration ou à ce que l’on peut voir dans les organismes communautaires d’accueil des immigrants. Cette manière de concevoir l’immigration par l’entremise du développement économique n’est pas propre à la Ville de Saguenay. En effet, on peut voir le même phénomène à Trois-Rivières qui a mandaté Innovation et Développement économique Trois-Rivières pour s’occuper des questions relatives à l’intégration des immigrants et de la rédaction de leur Politique d’accueil, d’intégration et de rétention socioéconomique des nouveaux arrivants . La nouvelle instance de la Ville de Montréal, le BINAM est aussi dans 48

cette logique où l’emploi est au centre de l’intégration des minorités ethnoculturelles et racisées.

Tableau 1: L’immigration dans la structure municipale

Développement

social Loisirs, culture et vie communautaire

Organisme développement

économique

Direction

générale Arts et culture Service à la vie citoyenne

Montréal Longueuil Saguenay Rimouski Gatineau Drummondville Laval Québec Trois-Rivières

Brossard Sherbrooke

Au moment de l’étude, Promotion Saguenay avait le mandat de l’immigration, cependant, suite au changement

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à la mairie, le dossier fut rapatrié au sein de la Ville.

Cette politique municipale fut adoptée en 2014. Elle est disponible ici:

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http://www.idetr.com/Fichiers/b14a2afc-9852-e611-80ea-00155d09650f/Sites/ff8cd75f-9a52- e611-80ea-00155d09650f/Documents/Politique-d-accueil-des-nouveaux-arrivants.pdf

Plusieurs idéologies existent par rapport à l’immigration. La vision des villes québécoises à cet égard n’est pas monolithique. Au contraire, plusieurs possibilités s’offrent selon la conception que l’institution se fait de l’immigrant. Ces idéologies peuvent avoir un impact sur l’endroit dans lequel les villes situent le dossier de l’immigration dans leur structure administrative. En regardant de plus près les services dans lesquels les villes ont mis l’immigration (voir Tableau 1), on peut déduire trois principales tendances idéologiques, soit 1) l’immigrant comme être culturel (folklorique), 2) l’immigrant comme citoyen possédant ses spécificités et 3) l’immigrant comme potentiel de développement économique.

Bien qu’une tendance générale se dessine - celle d’ancrer l’immigration dans une logique de développement social - la pluralité des structures organisationnelles et des mandats que se sont donnés les villes est un défi pour quiconque souhaite généraliser le rôle et les actions de celles- ci. Cependant, cette pluralité vient faire écho à la thèse de Fourot selon laquelle les villes auraient une capacité discursive qui leur permet de répondre aux besoins de leurs populations selon leur propre conceptualisation (Fourot, 2013). C’est pourquoi la typologie présentée dans ce chapitre a comme objectif de regrouper les différentes implications de la ville sans en être pour autant une liste exhaustive.