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CHAPITRE 1: DÉMARCHE DE TERRAIN

CHAPITRE 5: MUNICIPALITÉS ET GOUVERNANCE DE PROXIMITÉ

5.2 La concertation comme pratique professionnelle de l’institution municipale

5.2.1 La situation post CRÉ

Comme je l’ai exposé précédemment, la disparition des CRÉ a été un tournant pour les Villes. À l’exception de quelques grandes villes qui avaient déjà mis en place une équipe responsable du dossier, le développement social était conçu à l’échelle régionale et non locale. Dans un article analysant les récentes réformes provinciales de 2014 concernant le développement des territoires, Chiasson et al. (2014) avancent l’idée que la suppression du palier régional - par la suppression des instances de concertation régionales (telles que les CRÉ et les CLD) - constitue un changement de modèle de développement et profite désormais davantage aux élus des grandes villes québécoises. Très critiques envers les nouvelles réformes en matière de développement territorial, les auteurs ajoutent leurs voix à celles des acteurs du milieu qui dénoncent la disparition d’un modèle typiquement québécois; celui des instances de concertation régionales (Chiasson et al. 2014). Selon eux, l’abolition des CRÉ et la révision du pacte fiscal des villes doivent être perçues comme une « municipalisation du développement » (Simard et Leclerc, 2008 cité dans Chiasson et al. 2014). Les villes ont plus de pouvoirs en ce qui concerne le développement des territoires, mais semblent avoir moins de moyens puisque

pariant sur l’esprit de finesse des paramètres financiers, le présent gouvernement privilégie la désinstitutionnalisation pour impulser un mouvement d’agrégation des dynamiques territoriales autour des seuls acteurs qui disposent d’une légitimité politique et à qui l’on demande de dépasser par leur leadership les contraintes de l’austérité. (Chiasson et al, 2014: 77)

En effet, les élus municipaux se retrouvent au coeur de ce nouveau modèle de développement territorial (UMQ, 2017). La redéfinition du rôle de la municipalité, désormais seule institution

mandatée pour s’occuper de ces questions , favorise surtout les élus des villes qui ont les 62

moyens politiques, institutionnels, techniques et administratifs pour le faire. Si l’on compare rapidement avec l’ancien modèle de concertation régionale, les ententes en immigration étaient aussi signées avec des contributions financières de 50% du MIDI et 50% par les CRÉ. Or, la ville était un partenaire parmi d’autres et donc le montant que celle-ci mettait était finalement moindre qu’aujourd’hui. Comme un fonctionnaire l’explique, ceci peut désormais être un frein pour les plus petites municipalités à qui il revient d’assumer le leadership dans le dossier:

de toute façon, on n’aurait pas été prêt à faire un projet de 250 000$. On n’est pas structuré comme ça ici. La table immigration de la MRC s’est remise en action ça fait un an, un an et demi à peu près. On est encore en train d’apprendre à se connaître, les différents organismes. Ce qui fait qu’avant de trouver une action qui va correspondre aux besoins de tout le monde, on est un peu loin (Entrevue 4).

La gouvernance locale peut ainsi devenir un moyen de contourner cette réalité pour les petites et moyennes villes.

Un autre élément sur lequel Chiasson et al. (2014) expriment leur inquiétude a trait à la disparition de la concertation qu’ils associent à la CRÉ. Il faut dire que le travail par la concertation fait partie de la culture institutionnelle au Québec. Lévesque en parle d’ailleurs comme d’un « modèle québécois » d’innovation et de transformation sociale par la concertation (Lévesque, 2001 cité dans Klein et al. 2014). Selon lui, la gouvernance par la concertation serait un élément favorisé par les différentes instances et les composantes de la

Le gouvernement du Québec peut mandater des tables ou des comités sectoriels pour certains dossiers comme

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les Alliances pour la solidarité ou encore le Fonds d’appui au rayonnement des régions, mais en termes d’institutions, les municipalités sont maintenant les seules à interagir directement avec les ministères.

société civile depuis les années 1980 (Klein et al. 2014). Du temps de la CRÉ, les municipalités étaient déjà parties prenantes de la concertation en immigration (même les villes qui détenaient des ententes bipartites complémentaires à celles de la CRÉ). Elles n’étaient donc pas étrangères au processus de concertation et de travail en partenariat en immigration. De plus, il faut savoir que plusieurs villes (dont certaines de la grande région montréalaise) ont rapatrié d’anciens employés de la CRÉ suite aux fermetures des bureaux. Comme dans plusieurs régions, l’expertise en immigration se situait plutôt à l’échelle régionale et communautaire, plusieurs villes ont eu le réflexe d’intégrer non seulement les mandats de la CRÉ, mais aussi ses anciens employés.

Quand la CRÉ a été dissoute, il y a eu une volonté de la ville d’intégrer les mandats de la CRÉ. Je pense que ça rentrait aussi dans toute la mouvance de gouvernance de proximité, changements au niveau des lois et tout. Dans cette volonté de la ville de rapatrier les mandats, il était également question de ne pas perdre cette expertise-là. Parce que la ville n’avait pas cette expertise, elle était dans d’autres choses, on était dans les mandats oui, mais il fallait rapatrier l’expertise qui allait avec. (Entrevue 1)

Cette culture de la concertation qui régnait avec les CRÉ s’est ainsi intégrée aux pratiques de 63

la ville grâce aux individus. En effet, à plusieurs moments j’ai été témoin de remarques telles que « quand on engage un ancien de la CRÉ, il faut s’attendre à du collaboratif », ou encore « ayant travaillé longtemps pour la CRÉ, la concertation c’est ma méthode de travail ». Ces commentaires sont souvent émis à la blague par les fonctionnaires pour justifier leurs démarches concertées qui sont parfois plus longues à mettre en oeuvre.

Bien que certaines CRÉ étaient vues comme problématiques (voir section 3.4.3), la CRÉ était reconnue comme

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En outre, un des obstacles à la gouvernance locale est souvent le manque de financement adéquat qui rallie les acteurs autour d’une même cause (Wilson dans Denters et Rose, 2005). Un rapport sur le Fonds de développement régional (FDR) géré par les CRÉ démontrait en 2012 que la CRÉ réussissait à mobiliser les acteurs et que la concertation était bien réalisée grâce au FDR qui était « un levier de concertation important pour les régions » (Lamari et al. 2012: XII). Jumelées aux ressources humaines et aux infrastructures déjà existantes au sein des municipalités, les ententes PMD signées entre les villes et le MIDI, bien que largement moins importantes comme enveloppes budgétaires, peuvent avoir ce même levier de concertation que le FDR.