• Aucun résultat trouvé

Quelle typologie adopter ?

3.5. Vers une classification des contraintes

3.5.1. Quelle typologie adopter ?

Il est désormais temps de proposer une typologie des contraintes ludiques, qui permettra de donner des pistes d’analyses pour celles-ci. Notre première approche consistera à reprendre la méthode de classement des contraintes que proposent les oulipiens dans leurs travaux.

Dans l’Atlas de littérature potentielle, Raymond Queneau effectue, en 1974, une classification des contraintes selon deux axes. D’un côté, le niveau de l’élément sur lequel la contrainte va porter (une

41 Une récente refonte du système du Pact of Punishement le rend désormais nécessaire pour acquérir certains éléments du jeu ; cependant, cette refonte n’invalide pas ce que l’on peut dégager de la version où il ne récompensait le joueur que par plus de points de darkness.

lettre, une syllabe, un mot, un paragraphe, etc.), de l’autre le caractère de cet élément qui sera affecté (la longueur, le nombre, l’ordre et la nature). Ainsi, il effectue une classification allant du plus petit au plus grand, en partant d’un élément minimal littéraire (OuLiPo, 1988 : 74-77). Si son tableau part de la lettre ou du signe typographique comme plus petite unité, ce tableau pourrait également être développé pour débuter au phonème, puis au morphème, et ainsi de suite jusqu’à arriver au texte, voire plus haut : comme il est illustré au sujet de la boule de neige, les oulipiens envisagent que leurs contraintes peuvent aussi toucher des œuvres ou des collections entières (1988 : 202).

Pour réaliser une typologie similaire, il nous faut d’abord voir s’il est possible de subdiviser les jeux vidéo en unités plus petites qui serviront à former des ensembles, à l’image des morphèmes qui formeront les mots puis les phrases. Cette question de l’établissement d’une structure du jeu vidéo a déjà fait l’objet de nombreux travaux et tentatives, que l’on peut faire remonter jusqu’à Chris Crawford en 2005 (Hansen, 2019 : 15). Dans le cadre de notre travail, nous nous focaliserons sur les théories de Damien Hansen, qui, après avoir effectué un tour d’horizon des différentes propositions précédentes sur le sujet, tente de donner une définition du ludème, une unité minimale de jeu (2019 : 48).

Selon Hansen, le ludème est un élément combinant un graphème (une forme visuelle), un acoustème (un son associé) et un mécanème (une propriété mécanique régissant l’interaction que le joueur peut avoir avec l’élément ainsi que ses usages potentiels ; 2019 : 51). De telle manière, le saut de Mario dans Super Mario est caractérisé par une apparence graphique (l’animation de saut), un son associé et enfin un fonctionnement mécanique (le fait d’appuyer plus ou moins intensément sur le bouton B), de même qu’un goomba possède un graphème, un acoustème, et un mécanème (son contact blesse Mario et sauter dessus le fait disparaître). De là, Hansen propose de considérer que le niveau supérieur, qui équivaudrait à une phrase dans la langue ou à un énoncé, pourrait être un niveau, une carte ou une salle dans un jeu, soit un ensemble fermé composé d’un assemblage de ludèmes (2019 : 63).

Si cette approche semble fonctionnelle, elle soulève cependant de nombreuses questions. Prenons le cas d’une arme à feu dans un jeu de tir : celle-ci est composée d’une apparence, d’une mécanique (tirer, recharger) et d’un son, et l’on pourrait la considérer comme un ludème. Cependant, cette arme pourrait être décomposée en l’action de tirer — qui est elle-même dotée d’une apparence physique, d’un son et d’une mécanique — et celle de recharger ; un chargeur ou une munition pourrait constituer un nouveau ludème. Dans ce cas, l’arme elle-même ne serait pas véritablement un ludème, mais bien une unité de niveau supérieur. Ensuite, comment classer ces ludèmes, les

catégoriser ? Ces questions sont déjà posées dans le travail de Hansen, sans pour autant trouver de réponse claire (Hansen, 2019 : 57-61).

Si une structure du jeu vidéo est en cours de construction, celle-ci demande à être développée par de futurs travaux, et il nous semble encore trop tôt pour que ce premier travail de classement de la contrainte ludique se base dessus. Un deuxième point entrave une telle approche dans le cadre de ce travail, à savoir la pertinence même d’une typologie ainsi organisée. En effet, notre but premier sera d’analyser les effets que la contrainte produit sur le jeu et sur le joueur, et l’on pourrait se demander si cet effet n’est pas tant produit par le niveau de l’élément sur lequel porte la contrainte que sur le type d’opération qu’effectue la contrainte sur cet élément. Si l’on prend l’exemple d’une contrainte dans le jeu Borderlands, qui se manifesterait par le fait de n’utiliser que des fusils de précision comme arme, l’important est-il le fait de restreindre une arme en particulier, ou l’intérêt de cette contrainte se porte-t-il plus sur la restriction en elle-même ?

Un raisonnement similaire apparaît sous la plume de Thierry Groensteen lorsqu’il tente d’effectuer un premier recensement des contraintes de l’OuBaPo. Se voyant dans l’impossibilité de produire une typologie basée sur l’unité affectée par la contrainte ou sur le paramètre ciblé, celui-ci propose de classer les contraintes applicables à la bande dessinée selon « la nature des opérations affectées, en spécifiant, autant qu’il paraîtra nécessaire, les différents effets qu’on peut attendre selon les unités ou paramètres élus (OuBaPo, 1997 : 17) ». Nous nous inspirerons donc la méthode de classification de Groensteen afin de proposer une première typologie des contraintes ludiques dans le jeu vidéo. Pour ce faire, nous présenterons d’abord les différents types d’opérations que peuvent revêtir les contraintes, avant de nous attacher à une analyse plus poussée des effets dégagés par celles-ci dans la seconde partie de ce travail.