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a. Représentations des médecins

Dans le plan de lutte nationale de lutte contre le VIH et les autres IST 2010-2014, il est

observé que « le dialogue autour de la sexualité avec les professionnels de santé est difficile. Les

patients ont peu recours aux professionnels de santé lorsqu'ils rencontrent des difficultés dans leur

vie sexuelle. Les généralistes sont les plus sollicités dans ce cas. […] Ainsi le plus souvent ces

professionnels ont une réponse médicalisée aux demandes des patients, sans prendre en compte les

enjeux individuels psychologiques et relationnels de la sexualité qui peuvent être déterminants dans

le risque d'exposition aux IST. » (4)

L'abord de la sexualité est peu enseigné. Une étude sur des internes de médecine générale à

Saint-Étienne montre qu'une majorité des futurs médecins a rencontré des patients ayant une plainte

sexuelle. Le plus souvent, ils n'ont pas été à l'aise pour y répondre. Dans plus de 90% des cas, ils

ont ressenti un besoin de formation pour prendre en charge ces plaintes. La méconnaissance du sujet

et le manque de formation prédominaient sur l'aspect tabou ou « gêne ». Plus de 80% des internes

estimaient ne pas avoir bénéficié de formation universitaire ou extra-universitaire sur ce thème alors

qu'ils terminaient leur cursus. Les attentes de formation concernaient essentiellement le domaine

psychologique, sexologique et thérapeutique. Aucun interne n'a répondu que la plainte sexuelle ne

faisait pas parti du champ médical (43).

A la faculté de médecine Paris V – Paris Descartes, les futurs médecins généralistes ont deux

heures d’enseignement leur permettant de découvrir la sexologie lors de leur troisième cycle. C’est

une première approche utile pour sensibiliser les futurs praticiens, mais l’abord de la sexualité est

un sujet complexe qui nécessiterait surement une formation plus approfondie.

Selon Alain Giami, chercheur à l’INSERM (U822), qui a consacré de nombreux écrits à la

sexualité, « l'abord de la sexualité s'inscrit de façon sélective dans le cadre de la pratique actuelle

de la médecine générale et cette sélectivité est fondée sur des critères psychosoc iaux - donc des

critères non médicaux – plus que sur des critères de rationalité médicale ou de santé publique.

Cette sélectivité peut être construite à partir de différentes postures qui vont de l'évitement, ou au

moins de l'expression de réticences à aborder la sexualité, à l'obtention d'une formation dans ce

domaine, en passant par des modes d'investissement intermédiaire. » (44)

Une enquête qualitative réalisée auprès de médecins généralistes (44), visant à explorer leurs

représentations de la sexualité, a été réalisée entre 2002 et 2004. 35 médecins généralistes étaient

interviewés dans trois régions : Île de France, Pays de Loire et Normandie. L'analyse des entretiens

permet d'identifier quatre postures qui renvoient à des ensembles d'attitudes professionnelles et

personnelles, de représentations médicales, scientifiques ou de sens commun des médecins

généralistes à l'égard de la sexualité :

- L'évitement de l'abord de la sexualité

Les médecins attribuent leur évitement de la prise en charge des problèmes liés à la sexualité, à leur

ignorance, leur absence de formation et aux difficultés liées à leur gêne pour aborder ces questions.

- Entre appropriation médicale des problèmes de la sexualité et évitement relatif

Les médecins traitent les problèmes liés à la sexualité selon le modèle de l’appropriation médicale,

à partir de l’approche par la nosographie et les traitements médicaux.

- Une approche « globale », « holistique » des problèmes de la sexualité

Les médecins abordent la sexualité en prenant en compte la dimension psychologique et

relationnelle.

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- Devenir sexologue : quel type de spécialisation ou de spécialité ?

Un petit groupe de médecins place la sexualité au centre de leur pratique en médecine générale et

considère qu’elle constitue une dimension du bien-être. Dans ce groupe, les médecins ont suivi des

formations de sexologie et montrent un intérêt poussé pour la psychologie en général.

Ces différentes postures constituent des modes de construction de l’activité professionnelle

en réponse à des problèmes et des situations pour lesquels les médecins généralistes n’ont pas reçu

de formation universitaire. Pour justifier leur absence d’intérêt pour l’abord des problèmes de la

sexualité, les médecins déclaraient avoir focalisé leur activité sur d’autres spécialisations,

notamment la pédiatrie ou la gériatrie. On reviendra sur cette étude dans la discussion.

Une étude américaine a évalué dans quelle mesure les médecins interrogeaient leurs patients

sur la sexualité. 416 médecins d'Atlanta (médecin généraliste, gynécologue, interniste, pédiatre) ont

été questionnés sur leurs habitudes à se renseigner sur l'histoire sexuelle de leur s patients : 79% se

sentaient à l'aise pour poser ces questions, 58% posaient la question de l'activité sexuelle en

consultation de routine, mais 12% seulement posaient des questions sur les composants de la vie

sexuelle. 76% posaient des questions sur la vie sexuelle s'ils estimaient que cela relevait de la

plainte principale. Finalement l'histoire sexuelle des patients en routine ou en médecine préventive

était peu abordée par les médecins. (45)

b. Représentations des patients

Une étude américaine a été publiée en 1990 sur les attentes des patients concernant leur santé

sexuelle auprès des médecins généralistes. Selon cette enquête le médecin généraliste est le

professionnel le plus adapté pour aborder ces sujets. Les 62 hommes interrogés attendent

professionnalisme, empathie et confiance de la part de leur médecin. 97% ont déjà eu un trouble

sexuel, 19% en ont discuté avec leur médecin. Les patients préfèrent que ce soit le médecin qui

initie la discussion. (46)

Dans une étude allemande sur les problèmes sexuels masculins en médecine générale, des

questionnaires ont été distribués aux médecins et aux patients. (47)

- Chez les patients : 93% ont déjà eu un trouble sexuel occasionnel, tel que la baisse de la libido

(73%) ou l’éjaculation prématurée (66%). La moitié pense que ces problèmes sont causés par le

stress, par exemple l’anxiété de performance (28%), ou des problèmes de couple (19%). Pour 13%

les troubles résultent des comorbidités et pour 9% ils sont causés par un traitement médicamenteux.

Sont également évoquées des inhibitions résultant d'une éducation stricte ou la pression résultant

d’attentes externes (8%). Les conséquences de ces plaintes sexuelles sont importantes puisque 18%

présentent des symptômes dépressifs, 14% des troubles du sommeil et 14% des difficultés

relationnelles dans leur couple.

84% considèrent qu'il est important de parler avec leur médecin généraliste de leur difficulté

sexuelle. 45% préfèrent que ce soit le médecin qui initie la discussion et 2/3 aimeraient que leur

médecin signale son ouverture d'esprit en demandant directement s'il y a des troubles sexuels

pendant la consultation. Uniquement 12% ont déjà consulté pour un problème sexuel, se montrant

alors satisfaits de la prise en charge (56% à l’issue d’une simple discussion, 29% ont reçu une

prescription médicamenteuse et 24% ont été adressés à un spécialiste).

- Chez les médecins : différentes situations donnaient l’opportunité aux médecins d'initier la

discussion sur la sexualité : devant des symptômes psychosomatiques (84%), dans le cadre du

planning familial (53%), lors de questions sur le VIH (47%), lors d’une consultation pour un

diabète (79%), ou une hypertension artérielle (63%). Devant un trouble sexuel, les médecins vont

35

changer le traitement de leur patient à 79% et adresser leur patient à un urologue dans 74% des cas.

La moitié des médecins pensent que l'arrivée du sidenafil a motivé des consultations pour troubles

sexuels.

Pour les médecins, les raisons de ne pas aborder la sexualité sont le manque de temps et le

manque de connaissances. 17 médecins sur 19 pensent qu'un sentiment de honte empêche les

patients d'en parler (47).

IV. Étude qualitative

1. Objectifs

L’un des principaux objectifs de cette étude est de confronter l’ensemble des données

théoriques abordées dans la première partie de cette thèse, à une certaine « réalité du terrain »,

telle qu’exprimée par 18 médecins généralistes d’Ile de France.

Cette confrontation permettra notamment de réaliser un état des lieux des pratiques

concernant l’abord de la sexualité par les médecins généralistes, dans le contexte de la prévention et

du dépistage du VIH. A cet égard, on essaiera d'approfondir la compréhension des différentes

représentations des médecins généralistes dans ces domaines et de révéler dans quelle mesure les

difficultés à aborder la sexualité constituent un obstacle au dépistage du VIH.

Plus que d'étudier sur le terrain les problématiques de mise en œuvre des recommandations

d'experts en ce qui concerne le dépistage VIH, il est surtout intéressant d'entendre la perception du

médecin sur son rôle dans le dépistage en tant que médecin de famille et acteur de santé publique.

L'abord de la sexualité est le plus souvent nécessaire pour parler à un patient d'une infection

sexuellement transmissible comme le VIH, mais la manière d'aborder (ou de ne pas aborder) la

sexualité dépend surtout de la personnalité du médecin et de ses représentations.

L'étude s'appuie sur deux types de population de médecins généralistes, une partie des

entretiens étant réalisée à Saint-Denis en Seine-Saint-Denis (93) et l'autre à Paris (75), dans les

6

ème

, 7

è me

, et 15

è me

arrondissements. Un autre objectif de l'étude est donc d'étudier l'impact de la

précarité et des origines sociales et culturelles sur la prévention et le dépistage VIH dans l'abord

de la sexualité au cabinet.

2. Méthodes