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E. En pratique : comment aider les médecins à améliorer la prise en charge des patients en

VII. Annexes

3. Retranscription des entretiens

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N°1 : le 13/10/2010

Dr Fantasio

6 ème arrondissement Paris

Contexte : C’est mon premier entretien (entretien préparatoire), il s’agit d’un médecin généraliste travaillant dans le 6° arrondissement, que je con- nais, il accepte donc sans difficulté de réaliser l’entretien. Il travaille dans un cabinet de groupe, avec une secrétaire, une salle d’attente simple (pas d’affiche ni brochure), je le vois en fin de journée après ses consultations vers 19h30, il est fatigué, avec une grosse rhino-pharyngite. Le téléphone portable sonne 3 fois pendant l’entretien. L’entretien dure au total presque une heure (43:04).

Les questionnaires lui seront déposés plus tard (ils ne sont pas tout à fait finis…)

Camille : Bonjour. Pour débuter j’aimerais que vous vous présentiez professionnellement et personnelle- ment : depuis quand êtes-vous installé, avez-vous eu d’autres activités avant, quel mode d’exercice. Dr F. : Alors je fais de la médecine générale depuis 37 ans puisque je me suis installé à Paris dans le 14° ar- rondissement le 01/11/1973 et j’ai actuellement 66 ans. J’arrive donc au bout de 37 ans de médecine générale à Paris après avoir changé de cabinet 3 ou 4 fois, d’avoir commencé dans le 14° et fini dans le 6°, voilà. C : Et avez-vous eu d’autres activités en parallèle de la médecine générale ?

Dr F : Pas beaucoup, je suis plutôt monomaniaque, mis à part entre les années 80 et 90, 10 années de participa- tion active associative à la création de médecin du monde.

C : Pourquoi l’installation dans le 14° et 6° ? Pourquoi avez-vous choisi ces quartiers ? Par hasard ? A côté de chez vous ?

Dr F : Je me suis installé dans le 14° à l’époque où il n’y avait pas beaucoup d’installations dans Paris, même très peu, on s’installait comme on voulait, il n’y avait pas grand monde, je rentrais du service militaire, avec ma femme et deux enfants, une famille. J’ai voulu demeurer à Paris pour rester dans une mouvance intello du moment. Voilà, en gros c’est ça.

C : J’ai vu que vous étiez en consultation sur rendez- vous, vos dossiers sont –ils informatisés ?

Dr F : Non, ils ne sont quasiment pas informatisés, je suis resté au dossier papier, l’informatique me sert pour la gestion de la compta et comme machine à écrire. C : Une estimation de combien de consultations par jour ?

Dr F : 17- 18 environ.

C : Avez-vous une pratique de gynéco de ville, frottis, contraception ?

Dr F : J’en ai fait pendant longtemps, mais je n’en fais plus.

C : De manière plus générale, la prévention : mammo, hémocult, frottis, PSA ?

Dr F : Je fais mon devoir de généraliste qui fait tant qu’il peut le faire, stimule autant qu’il peut stimuler :

du dépistage du cancer du sein, hémocult, comme tout le monde, pas avec une motivation particulièrement agitée.

C : Vous appartenez à des réseaux ?

Dr F : Oui, aux réseaux Ensemble, Memorys et je crois même appartenir au réseau Quiétude, réseau de soins palliatifs sur Paris et une forme de réseau qui est la garde médicale de Paris.

C : Et vous êtes maître de stage à Paris 5.

C : Et où avez-vous fait vos études de médecine ? Dr F : A Lille.

C : On va rentrer dans le sujet, on va parler du dépis- tage VIH notamment. Vous travailliez dans les années 80, quelle perception du SIDA à ce moment-là ? Quel impact sur votre vie professionnelle ?

Dr F : Le premier souvenir que j’en ai, ça date de l’année 78 à peu près. Les toxicomanes que l’on voyait à l’époque, même si j’étais pas spécialement branché toxico, mais enfin j’en voyais évidemment, on était assez étonné de voir qu’ils avaient beaucoup de gan- glions cervicaux et axillaires, on comprenait pas bien pourquoi, et je me souviens en avoir envoyé 2-3 à l’hôpital avec de la fièvre. En fait c’était des SIDA, mais le lien n’était pas encore repéré et après on a compris : ah mais oui, mais bien sûr c’était des sida et à partir de là on a commencé à faire du dépistage comme tout le monde, j’en n’ai pas fait plus que… en fait l’activité qu’on avait à MDM dominait un peu tout ça, après quand on a découvert le virus du sida, dans les années 80, ce dont je me souviens c’est que avec Deloche le chirurgien cardiaque qui était président de MDM, un des premiers après que Bernard (K) ait quitté la présidence, il disait c’est quand même incroyable, insupportable on fait des greffes cardiaques, des acro- baties de chirurgie et ça fait 3 malades qu’on perd du sida et puis c’est complètement con, comment se fait-il qu’on ramasse du sang sur le bd St Michel auprès des volontaires sans même les dépister, on avait repéré à ce moment-là déjà, suspecté fortement l’ineptie pour la transfusion sanguine avant que n’éclate le scandale de l’époque. Et comme on était des grandes gueules et qu’on avait tout un tas de copains journalistes avec qui on partait dans des missions dans le monde, qui étaient prêts à l’ouvrir comme nous, on s’était dit il faudrait quand même le leur dire et soulever ce lièvre car on sentait bien qu’il y avait un lièvre là. Quelque chose dont on ne parlait pas et dont on ne voulait pas parler, et je me souviens qu’on s’est autocensuré en se disant que si on faisait ça, ça allait désorganiser tout le circuit d’approvisionnement du sang, on n’a pas assez d’argument, donc on a rien dit. Et finalement on a découvert que… Après coup on a regretté, enfin moi j’ai beaucoup regretté, on aurait dû l’ouvrir. Je pense qu’à l’époque tout le monde était très désemparé, très désorienté.. Voilà pour parler du dépistage de l’époque. Et dans les cabinets on faisait du dépistage comme tout le monde, dans le mien comme dans les autres, sauf qu’on avait commencé à initier à MDM le dépistage anonyme et gratuit, on était les premiers à organiser des consultations anonymes et gratuites

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C : Parfait, et récemment avez-vous eu l’occasion

d’aborder la prévention ou du dépistage avec un patient, avez-vous un exemple ?

Dr F : Oui, le dernier que j’ai dépisté c’était il y a 2 ans à peu près. Dans le type de bassin de population où je suis, c’est pas franchement la préoccupation pre- mière, je n’ai pas beaucoup d’homosexuels dans ma clientèle, même très peu, ils ont toujours tendance à aller dans des cabinets assez orientés sur le thème et puis assez peu de toxicomanes, encore que, enfin…. C : Et pour vous donc s’il fallait définir un portrait- robot, à qui faudrait-il proposer un dépistage ? Donc les homosexuels, les toxicos ?

Dr F : Oui, c’est ça, essentiellement les homosexuels et les toxicomanes et ceux qui voyagent aussi en Afrique, enfin maintenant tout le monde fait tellement gaffe que bon, oui les cadres supérieurs qui voyagent en Afrique font gaffe quand même, ceux qui font pas gaffe, ils la ramènent pas… rires. Donc je n’en ai pas dépisté beaucoup.

C : Et de proposer un dépistage, même dont le résultat est négatif, par mois ça vous arrive d’en proposer com- bien ?

Dr F : De moins en moins, parce que c’est vrai que dans ce type de bassin de population, le profil du 6° arrondissement c’est des cadres moyens ou supérieurs et généralement ils sont au courant.

C : Effectivement, je vais faire mes entretiens à Paris mais aussi dans le 93…

Dr F : Ah oui dans le 93, vous aurez plus de clients dans ce coin-là. Pour dépister les VIH il doit y en avoir d’avantage je pense, c’est pas sûr !

C : Juste une petite question sur la prévention : qu’est- ce qui est le plus performant pour informer, avertir les gens, c’est plutôt ce qui est médias, internet, ou c’est plutôt le médecin, les brochures que l’on peut voir dans les salles d’attente…

Dr F : C’est tout ça la prévention, c’est une tarte à la crème, on fait de la prévention toute la journée, quand on met une angine à streptocoque sous oracilline on fait de la prévention contre le rhumatisme articulaire aiguë, quand on traite une cystite on fait de la préven- tion des pyélos, on en sort pas, c’est un concept tarte à la crème qui a tendance à m’agacer. Bien bouffer à midi c’est faire de la prévention, ne pas fumer c’est faire de la prévention, on fait de la prévention toute la journée sans le savoir, le tout c’est d’en faire un peu plus sérieusement et de manière plus solennelle qu’on nous le dit !

C : Avez-vous déjà été dans une situation où un patient venait vous voir juste après un rapport sexuel non pro- tégé dans une situation d’urgence ?

Dr F : Oui ça arrive souvent.

C : Qu’est-ce que vous conseillez dans ces cas-là ? Dr F : Bah, ça dépend un peu de la situation, généra- lement ils se font des frayeurs pour pas grand-chose, des ruptures de préservatifs ou des choses comme ça. Je leur explique qu’on essaye d’évaluer la nature pos- sible du risque qui est la plupart du temps extrêmement faible, c’est pas la même chose que d’avoir une rupture de préservatif avec un partenaire occasionnel que d’avoir une activité avec de multiples partenaires sans

se préserver du tout. Encore une fois chez les cadres moyens que l’on voit par ici, généralement ils font gaffe.

C : Et vous avez été dans la situation où il fallait poser l’indication d’un traitement en urgence ?

Dr F : Oui ça m’est arrivé en maison médicale de garde, parce que les gens arrivent affolés un samedi ou un dimanche, mais ici en cabinet… ça m’est peut-être déjà arrivé… Dans ce genre de problème j’envoie di- rectement aux urgences de Cochin, parce qu’ils ont des kit tout prêts et c’est très rassurant et dédramatisant plutôt que de faire ça à la sauvette et d’aller chez le pharmacien… Généralement je fais ça, d’autant plus que je n’ai pas mémorisé les protocoles et les schémas thérapeutiques…

C : Et il existe des nouveaux tests de dépistage qui raccourcissent les délais après un rapport à risque, vous connaissez un peu les délais ?

Dr F : Non.

C : Maintenant c’est 6 semaines de délais au lieu de 3 mois avec les nouveaux tests combinés entre le rapport à risque et la réalisation du test. Et dans votre patien- tèle, il y a environ combien de patients infectés par le VIH ? A peu près ? Une estimation ?

Dr F : Oui pas beaucoup… Une dizaine je dirais. C : Et ils sont suivis dans quel hôpital ?

Dr F : Surtout Pompidou ou Cochin essentiellement. C : Et vous avez un bon retour des équipes hospita- lières, vous recevez les CRH, vous êtes bien informé ? Dr F : Oui, mais on sent qu’ils ont tendance à s’isoler un peu dans leur pratique dans les services de VIH, on les comprend bien.

C : Mais ils travaillent avec vous ? Ils vous appellent s’ils ont des problèmes avec vos patients ?

Dr F : Pas vraiment, mais ça m’a pas posé de problème majeur, d’abord les gens qui sont VIH depuis plusieurs années ils sont parfaitement au courant de tout, le géné- raliste lambda qui n’est très branché VIH comme moi, il sert un peu comme ça au coup par coup de suivi de dépannage. J’en ai un ou deux un peu lourds que je vois beaucoup…

C : Si je vous pose toutes ces questions, c’est parce que l’HAS a proposé des recommandations il y a un an, car il y a un nombre important de personnes qui vivent avec le VIH sans le savoir qui est estimé à 40 000 et qu’il y a des conséquences néfastes du dépistage tardif que cela soit au niveau individuel bien sûr, mais aussi au niveau collectif car ils contaminent beaucoup de gens sans le savoir. Et ils ont proposé un dépistage systématique de toute la population et qui devrait se faire notamment par le médecin généraliste. Avez-vous déjà entendu parler de ça et qu’est-ce que vous en pen- sez ? De la faisabilité, de comment l’organiser… ? Dr F : Oui j’ai lu ça dans la presse. D’abord ça dépasse largement la pratique dans un cabinet, c’est une déci- sion d’en haut, un peu citoyenne, qui concerne l’ensemble de la population française. Donc ce n’est pas à nous d’instrumentaliser cette décision.

C : Et s’ils proposent de dépister tout le monde, vous le sentez comment ?

Dr F : Moi je veux bien, mais si je dis aux gens : « Dites donc vous, vous n’avez pas fait votre test, bon

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je vous le mets sur le bilan ». Je le propose souvent

dans un bilan quand il y a des nécessités… Oui ça m’arrive souvent quand je prescris un bilan je leur demande vous voulez un test ? Certains répondent oui, non, certains sont très contents qu’on leur pose la ques- tion car ils n’osaient pas en parler, d’autres ça ne sert à rien du tout parce que tatata…. Je veux dire moi je ne suis pas contre ça mais c’est une décision politique, nationale, qui suppose une pédagogie au niveau de la population, qui soit bien faite, c’est pas facile, car je pense que ça doit toucher une certaine catégorie de populations sur lesquelles il ne faut surtout pas discri- miner, car si on commence à dire que tous les maliens doivent aller faire leur test, j’imagine pas le bordel que ça va être, le problème il est là.

C : C’est bien pour ça que le dépistage va être proposé systématiquement à toute la population, car le dépis- tage ciblé ça ne suffit pas.

Dr F : Donc tout Neuilly, St Cloud, le 16° vont être priés d’aller se faire dépister, comme tout le monde ! C : Et dans ce cadre-là, il y a aussi de nouveaux tests rapides qui sont en train d’être développés, il s’agit de prendre une goutte de sang en capillaire et de la dépo- ser sur un réactif et on lit immédiatement : un trait négatif ou une croix positif, est-ce que vous vous voyez faire ça en cabinet ?

Dr F : … Oui je me vois le faire, mais c’est comme pour le dépistage du cancer colo-rectal ou le sein, on a besoin d’une explication politique, qu’il y ait des spots à la télévision qui encouragent les gens à le faire, qu’on leur explique correctement.

C : Et il faut que les médecins soient également for- més ? Car si un patient découvre sa séropositivité de- vant vous il faut savoir réagir aussi…

Dr F : Oui ça suppose une formation des médecins, du corps médical. Sur le principe moi je ne suis pas contre. C : Et du fait de tout ce dont on vient de parler, les maliens, la sexualité… C’est un sujet un peu tabou, est- ce que ça vous est déjà arrivé d’avoir envie de poser la question de faire le test et finalement vous ne l’avez pas fait, parce que ça ne passait pas avec la personne ou…

Dr F : Vous savez dans les bourges du 6° arrondisse- ment, les gens sont au courant.

C : Mais est-ce qu’ils sont vraiment au courant les bourges ?

Dr F : Peut-être pas chez les plus jeunes, les lycéens et les adolescents, alors là d’accord, mais sur les gens qui ont 20,30 ans 40 ans, qui ont une activité sexuelle, la plupart du temps… Ce qui serait vraiment intéressant c’est qu’on ait une information sur quelles catégories socio-professionnelles sont plus ou moins à risque. Les homosexuels ça d’accord

C : Encore faut-il savoir qu’ils sont homosexuels… Dr F : Ah oui, mais est-ce que les africains sont vrai- ment à risque ou pas est-ce qu’ils importent beaucoup de VIH ? Mais moi j’en vois pas beaucoup des afri- cains ici. C’est comme toutes ces campagnes de pré- vention ou de dépistage, ou comme les check up de la sécu, quand c’est fait de manière systématique et aveugle la rentabilité du dépistage est très faible, et ça coûte cher pour des résultats bon… mais si on cible sur

les populations à risque ou sur des « suspicion- diagnostic » ou autres, bah oui on aurait envie de voir ça comme ça, mais vous voulez mon avis je vous le donne, mais je ne suis pas ministre de la santé ! C : Est-ce que vous trouvez que ça prend du temps d’aborder le sujet du VIH, de la sexualité en cabinet, est-ce chronophage ? Ou bien est-ce que quand ils ne viennent pas pour ça c’est délicat ?

Dr F : Encore une fois ça dépend à qui on a affaire, il n’y a pas de réponse systématique. Quand on s’adresse à des ados ou des pré-ados, c’est à cet âg- là que ça me semble utile de les informer, bon c’est pas évident en cabinet, leur parler de ça bon surtout quand il y a une salle d’attente qui pousse, on n’y arrivera pas. Les adolescents 16-17-18 ans déjà un peu plus mais encore, et c’est pas la même chose en Seine saint Denis que dans le 6°…

C : Et par exemple une jeune fille qui vient pour faire son Gardasil® ? Son vaccin contre HPV ? Vous en profitez pour caser un petit mot par exemple ? Dr F : C’est pas évident, franchement, s’il n’y a pas une demande. En plus moi je suis un homme face à une jeune fille de 14-15 ans, c’est pas forcément évident de s’entendre parler de sexualité, c’est plus facile avec une médecin maman qu’avec un médecin papa me semble- t-il. Avec des garçons c’est plus facile bien sûr. C : et avec des personnes âgées ?

Dr F : ça dépend de quoi on veut parler.

C : Si on veut parler plus de la sexualité en général, en quittant le VIH ?

Dr F : Il faut qu’il y ait une demande encore une fois, je ne vais pas leur tomber dessus en leur disant tiens on va causer sexualité, alors ça va ?

C : ça dépend, par exemple il y a une étude américaine, une petite étude sur 80 hommes d’âge moyen, qui re- trouvait que 97% des hommes avaient envie de parler sexualité avec leur médecin et qu’il n’y en avait que 19% qui osaient le faire et qu’ils disaient que c’était au médecin d’aborder le sujet en premier…

Dr F : Ouais ouais, d’accord…

C : Donc finalement est-ce que c’est le médecin qui est le plus gêné d’en parler en premier et qui dit c’est pas mon rôle si on ne m’en parle pas ou alors les patients sont tellement mal à l’aise pour parler de ça que c’est au médecin de tendre une perche pour voir si la per- sonne a envie de parler.

Dr F : Oui on a un rôle social par rapport à ça, comme les enseignants, les parents, les journalistes…

C : Donc ce n’est pas plus au médecin…

Dr F : S’il y a un sujet c’est par rapport à la contracep- tion, ça dépend de ce qu’on met dans la sexualité, si c’est leur difficulté à savoir comment faut faire etc ou si c’est ce qui concerne la contraception ou les mala- dies sexuellement transmissibles, là bien entendu que c’est le rôle du médecin.

C : Et quand ils viennent pour demander du Cialis® ou du viagra® ?...

Dr F : Oui mais les sexagénaires qui viennent chercher du Cialis® qui ont 40 ans de vie sexuelle débridée der-