PARTIE 2 . LA FONCTION SYMBOLIQUE
IV. Le trouble du raisonnement
1. Quelques définitions
Tout d’abord, nous souhaitons apporter des précisions concernant les termes employés
dans notre étude.
Nous abordons le sujet du déficit de la fonction symbolique. Les difficultés d’accès à la
symbolisation, dans sa terminologie piagétienne, sont en lien avec les « troubles de la
structuration du raisonnement logico-mathématique », préférés au terme de « dyscalculie »
par certains auteurs.
La nomenclature générale des actes professionnels des orthophonistes
56emploie les termes
de « bilan de la dyscalculie et des troubles du raisonnement logico-mathématique » et
« rééducation des troubles du calcul et du raisonnement logico-mathématique ».
D’après le Dictionnaire d’orthophonie (2011), « la dyscalculie concerne des enfants, des
adolescents ou des adultes qui, dans la majorité des cas, ne présentent pas de déficit
intellectuel, mais qui ont soit des troubles électifs en mathématiques, soit des troubles
scolaires globaux mais plus aigus en mathématiques, soit des troubles du langage liés à
55
« Jeu et langage en développement : entre fonction sémiotique et théorie de l’esprit », E. VENEZIANO (2010),
p. 41
une construction insuffisantes des structures de pensée »
57. Le langage et la pensée
sont ainsi liés, c’est donc dans ce cadre que s’inscrit notre étude sur la fonction symbolique.
2. L’approche constructiviste (s’appuyant sur les travaux de l’association Cogi’Act)
i. Les enfants « en panne de raisonnement »
Dans l’approche constructiviste proposée par les orthophonistes membres de Cogi’Act,
l’analyse des conduites logiques et langagières de l’enfant peut mener l’orthophoniste à
constater « des pannes dans la mise en œuvre du processus de symbolisation »
58. Cela
signifie que l’enfant reste comme bloqué dans une pensée dite « figurative », trop attaché à
se baser sur des indices perceptifs, et dans une évocation dite « immédiate », sans faire de
lien de causalité ou temporel. A l’inverse, une pensée dite « opérative » permet à l’enfant
« de prendre en compte les transformations qui sont solidaires des schèmes d’action ou
d’opération »
59. Il peut ainsi faire des liens de causalité et temporel, anticiper les
événements, argumenter son discours, ordonner le monde qui l’entoure, coordonner
différents points de vue, construire des « invariants » (comme lors de la conservation de la
matière ou du poids) et la notion de « nombre ». Face à un enfant « en panne » dans ces
différentes compétences, l’orthophoniste va lui proposer un « espace à penser », où il pourra
créer ses propres symbolisations. Le but est de l’aider à se séparer du contexte, d’utiliser
son « connu » pour aller vers l’inconnu par le biais de situations ludiques.
ii. Le trouble de la fonction sémiotique
1) Les manifestations
Morel parle de « trouble du raisonnement logico-mathématique articulé à un trouble de la
fonction sémiotique »
60. Le patient atteint de ce trouble présente alors une incapacité à
envisager les objets sous un autre aspect que celui « perceptif ». Par exemple, il peut
classer des objets mais ne peut pas déterminer les critères qui ont conduit à cette
classification. La comparaison n’est pas possible. De même, les notions de conservation ne
57
« Dictionnaire d'orthophonie », F. BRIN-HENRY, C. COURRIER, E. LEDERLÉ & V. MASY (2011), p. 83
58Les approches thérapeutiques en orthophonie – Tome 2 p. 130
59Les approches thérapeutiques en orthophonie – Tome 2 p. 129
60« Le bilan ERLA : ouverture vers des questions concernant l’accès à la symbolisation et la construction de
sens », L. MOREL (2013), p. 240
sont pas acquises : la pensée n’est pas réversible, le patient reste dans un état
d’immédiateté. Il ne peut pas envisager plusieurs points de vue.
Au niveau du langage, les mots se réfèrent à l’objet mais ne permettent pas de créer des
liens et de donner du sens car le lien entre signifiant et signifié n’est pas vraiment établi.
Cela renvoie à un défaut d’utilisation de la fonction symbolique du langage, à l’impossibilité
d’utiliser « les savoirs en outils ». L’accès aux concepts est difficile, ce qui entrave
l’élaboration des connaissances. On note également des imprécisions au niveau lexical et
syntaxique. Le langage est aussi figé dans un état d’immédiateté : le patient ne parvient pas
à faire la différence entre ce qu’il perçoit et ce qu’il sait. Ainsi, il reste persuadé que « quand
il ne voit pas, il ne peut pas savoir ». Un objet renvoie à telle signification, mais lui attribuer
une fonction différente n’est pas envisageable. Il n’y a donc pas de sa part de réélaboration
mentale des situations car il est impossible de faire des retours en arrière et donc de modifier
son point de vue. Cela renvoie également à l’incapacité de la fonction pragmatique du
langage. Effectivement, l’implicite se base sur le contexte d’énonciation dont il faut tenir
compte : la signification du mot est dépendante du contexte dans lequel il est prononcé.
2) Les conséquences
Le manque d’appropriation du monde sous la dimension symbolique entraîne des difficultés
dans l’utilisation du langage comme un outil de communication. La personne ne s’ajuste pas
aux règles qui régissent les échanges sociaux, ce qui implique de fréquentes ruptures dans
la communication avec autrui. D’ailleurs, nous notons également chez les enfants,
adolescents ou même adultes en situation de « panne à penser » d’importants problèmes de
compréhension.
La personne ne peut pas rétroagir, sa pensée n’est pas encore mobile. L’objet n’est
envisagé que perceptivement, ce qui renvoie à une pensée dite « figurative ». D’après Morel
(2008), les conséquences de ce mode de pensée chez l’enfant sont notamment des
difficultés de compréhension générale (orale et écrite), de consignes, de jeux de mots, etc.
3) Le cas du fonctionnement figuratif
Ce mode de fonctionnement se retrouve chez nous tous lorsque nous élaborons une
connaissance nouvelle. Nous devons nous emparer de la situation et utiliser ce que nous
connaissons déjà, puis le mode opératif prend le relais et permet d’établir des relations de
plusieurs ordres : logique, causal, spatial et temporel. Par conséquent, une pensée basée
préférentiellement sur un mode figuratif entrave le fonctionnement de la personne à plusieurs
niveaux. Par exemple, l’accès au concept de nombre est compliqué, la personne n’utilise pas
de mots qui créent des liens, elle n’est pas dans la déduction mais dans le constat des
situations. En somme, la personne n’a pas pu développer le processus de symbolisation
sous-tendu par la construction des « soubassements cognitifs prélinguistiques »
61qui
correspondent :
A l’élaboration des premiers liens de causes à effets
A la construction des invariants fondamentaux relatifs aux propriétés de l’objet et des
actions
Aux relations qu’entretiennent les objets entre eux
Pour acquérir un mode de fonctionnement opératif de la pensée, il faut que la personne
puisse construire du sens, qu’elle puisse abstraire suffisamment et donc utiliser ses
capacités de symbolisation.
Un déficit de la fonction symbolique, qui se retrouve dans la non-utilisation du langage
comme outil de symbolisation, pourrait entraver la construction de sens de l’enfant. Le
trouble de la sémiotisation peut être défini comme « une carence dans l’accès aux mots de
liens, de concepts, à tous ces termes qui construisent de la connaissance et véhiculent des
représentations »
62. C’est pourquoi le rapport entre le langage et les autres conduites
symboliques du jeune enfant nous intéresse.
Dans le document
Étude de la fonction symbolique chez des enfants de 3 à 5 ans présentant un retard de parole et/ou de langage
(Page 53-56)