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PARTIE 2 . LES RÉSULTATS DES ENFANTS SUIVIS EN ORTHOPHONIE

III. Discussion

2. Analyses complémentaires

Nous avons souhaité réaliser deux analyses complémentaires : l’une concernant un enfant

dont les résultats nous ont particulièrement interpellées (Dimitri) et l’autre concernant l’intérêt

de l’épreuve de copie de figures géométriques.

HYPOTHESE 3 : L’atteinte du langage est corrélée à un retard de l’acquisition de

la fonction symbolique

i. Le cas de Dimitri

Notre première analyse porte sur Dimitri (RP/RL – 3 ans 4 mois). En effet, lors de notre

analyse sur l’unicité de la fonction symbolique, se référant à l’hypothèse 2, nous avons pu

constater chez lui un profil hétérogène :

 L’imitation différée et les images mentales sont réussies

 Le dessin et le jeu symbolique sont échoués

Cette variabilité des résultats selon les épreuves nous a posé question. Tout d’abord, nous

avons remarqué que les deux épreuves échouées témoignent davantage de l’utilisation de

représentations personnelles, autrement dit d’une créativité plus importante qu’au cours des

autres épreuves. Effectivement, d’après Piaget (1978) le jeu symbolique correspond au

processus d’assimilation, c’est-à-dire à sa propre interprétation du réel, car il est dépourvu

de contrainte et laisse place à l’imagination de chacun. Le dessin quant à lui combine

assimilation, par son côté créatif, et accommodation, par adaptation aux contraintes

imposées par le réel en le copiant. C’est l’inverse concernant les conduites présentes chez

Dimitri : l’imitation différée n’est qu’accommodation par reproduction du réel, et les images

mentales correspondent à des conduites d’imitation différée intériorisées sans recours à

l’imaginaire. Nous pensons donc que, chez Dimitri, cette capacité à réinvestir dans le but de

créer des histoires, des mises en scènes ou encore un scenario de jeu, n’est pas totalement

acquise. De plus, nous avons souhaité exposer ses productions graphiques (la copie de

figures qui est réussie et le dessin du bonhomme qui se situe au niveau intermédiaire).

Nous avons choisi ces dessins dans le but de montrer leurs liens avec la conclusion de notre

évaluation réalisée grâce à l’analyse du dessin libre et du bonhomme, en référence aux

stades de Luquet. Selon nous, ces dessins attestent bien d’un niveau de dessin encore au

stade du gribouillage (vers 2 ans), en décalage de plus d’un an par rapport à son âge (3 ans

4 mois), alors que les scores aux épreuves de copie de figures et de dessin du bonhomme

ne le situent pas à un niveau pathologique pour son âge, avec respectivement - 0,7 σ et - 1,5

σ. De plus, si nous nous référons aux écrits de Tourrette et Guidetti (2008) sur l’évolution du

dessin du bonhomme en fonction de l’âge, le dessin de Dimitri devrait au moins

correspondre au bonhomme-têtard, observé vers 3 ans. Pourtant, lors de son évaluation à 3

ans 4 mois, il n’a produit qu’une tête peu reconnaissable. Enfin, l’épreuve des images

mentales, dans la version des « Petits », montre des résultats très variables d’un enfant à

l’autre, ce qui n’a pas permis de situer avec exactitude les enfants de notre étude.

Cependant, nous gardons à l’esprit que l’analyse des moyennes des deux groupes nous a

permis d’observer que les scores des enfants de notre étude étaient inférieurs, en moyenne,

à ceux de la population d’enfants tout-venant. La réussite de Dimitri à cette épreuve peut

donc être discutée.

Nous pouvons donc en conclure que les résultats de Dimitri sont à nuancer, puisque les

deux épreuves nécessitant le plus d’imagination (jeu symbolique et dessin libre) sont

échouées, les épreuves de dessin non-échouées (copie de figures et dessin du bonhomme)

peuvent malgré tout témoigner d’un niveau de dessin encore au stade du gribouillage

(comme l’analyse du dessin libre et du bonhomme tend à le démontrer) et que son score au

test des images mentales est à pondérer, compte tenu d’ailleurs du faible résultat de Dimitri

comparé à la moyenne des enfants de son âge (il a obtenu 2/6 alors que la moyenne des

enfants tout-venant est de 3,375/6).

ii. Intérêt de l’épreuve de copie de figures

De plus, nous souhaitions mettre en évidence l’apport de l’épreuve de copie de figures

géométriques. Les résultats ne révèlent pas de score pathologique à cette épreuve pour six

enfants. Cela signifie qu’ils ont les habiletés motrices suffisantes pour leur âge. Cependant,

ces résultats nous indiquent que, malgré ces capacités, certains enfants n’ont pas obtenu un

niveau de dessin en corrélation avec leur âge réel selon les stades de Luquet.

En effet, Dimitri et Martin ont réussi l’épreuve de copie mais sont en décalage entre leur âge

et le stade dans lequel ils se situent. Nous considérons que cela peut appuyer l’hypothèse

suivante : ces enfants ont des capacités motrices suffisantes mais sont incapables de les

réutiliser dans le but de produire une représentation graphique corrélée à ce que l’on attend

à leur âge (c’est-à-dire au stade du réalisme manqué vers 3-4 ans, lorsque l’enfant peut

représenter le réel intentionnellement). Pour eux, l’épreuve de copie de figures peut révéler

cette incapacité d’expression et de représentation graphique. Toutefois Lehalle et Mellier

(2013) expliquent que, pour des enfants aussi jeunes (3 ans 4 mois et 3 ans 8 mois), « la

copie de formes géométriques pose problème : vers 3-4 ans, les figures fermées (carrés,

triangles, cercles, etc.) sont toutes reproduites un peu de la même manière »

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. La

structuration de l’espace n’est pas encore construite à cet âge, il faut donc en tenir compte

puisque ces enfants peuvent obtenir des scores non-pathologiques, les exigences pour leur

âge n’étant pas encore élevées.

Emilie ne présente pas de score pathologique à l’épreuve de copie, même s’il se situe à - 1,4

σ. Selon notre analyse, son niveau de dessin correspond au stade du réalisme fortuit (vers

2-3 ans), ce qui indique un décalage de près de 2 ans par rapport à son âge (4 ans 11 mois).

Notre conclusion est donc la même que pour Dimitri et Martin : l’épreuve de copie de figures

peut révéler une incapacité d’expression et de représentation graphique.

Pour Océane, Mona et Maëva, les scores à l’épreuve de copie ne sont pas non plus

pathologiques. Leurs scores aux autres épreuves de dessin montrent une corrélation entre

leur âge et le stade auquel elles appartiennent. Cela signifie qu’elles ont les habiletés

motrices suffisantes et qu’elles peuvent les réutiliser pour produire des dessins

représentatifs.

Enfin, Isaac et Elsa présentent des scores pathologiques à l’épreuve de copie, avec

respectivement - 2,6 σ et - 2,9 σ. Leur niveau de dessin est selon nous en décalage avec

leur âge (5 ans) puisqu’ils se situent tous les deux au stade du réalisme manqué (vers 3-4

ans). Dans ce cas, il est difficile de conclure à une incapacité de représentation graphique,

comme pour Dimitri, Martin et Emilie. Effectivement, nous ne pouvons pas savoir si le déficit

des capacités motrices, révélé grâce à l’épreuve de copie, est à l’origine de cette incapacité

de représentation, ou si cette dernière existe malgré tout.

C’est pourquoi l’épreuve de copie de figures peut nous amener à nuancer nos résultats

concernant certains enfants.

iii. Influence du bilinguisme

Enfin, nous nous sommes interrogées quant à l’influence du facteur de bilinguisme chez

certains enfants de notre étude pour l’acquisition des conduites symboliques. Pour cela,

nous avons établi deux graphiques : le premier présente les résultats des 5 enfants

bilingues et le second présente les résultats des 3 enfants bilingues, en pourcentage selon

nos critères.

Graphique 33 : Résultats globaux des cinq enfants non-bilingues

Graphique 34 : Résultats globaux des trois enfants bilingues

Nous constatons que les enfants bilingues ont des taux d’échec légèrement supérieurs aux

épreuves du jeu symbolique et des images mentales. De plus, la copie de figures est plus

échouée chez les enfants bilingues, avec un taux d’échec de 67%, alors que 60% des

enfants non-bilingues ont réussi cette épreuve. Cependant, les enfants bilingues ont, en

moyenne, mieux réussi l’épreuve du dessin libre, avec un taux de 67%, contre 40% chez les

enfants bilingues, et un taux d’échec nul alors qu’il s’élève à 60% chez les

non-60% 60%

20% 20%

40%

40% 20% 20%

100%

40%

60% 60% 60%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

5 enfants non-bilingues

Réussite

Intermédiaire

Echec

67% 67%

33%

33%

33%

33%

67%

33%

100%

67%

33% 33%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

3 enfants bilingues

Réussite

Intermédiaire

Echec

bilingues. L’imitation différée montre des résultats semblables dans les deux groupes. Les

résultats sont donc variables d’une épreuve à l’autre, c’est pourquoi nous ne pouvons pas

objectiver une différence significative entre ces deux groupes.

Le bilinguisme ne semble donc pas influencer les résultats aux épreuves des

conduites symboliques.