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Trois modèles d’intermédiation de plateformes de crowdsourcing

2. Des dynamiques sous tensions

3.1. Trois modèles d’intermédiation de plateformes de crowdsourcing

crowdsourcing

Les plateformes Web permettent la circulation de savoirs entre les acteurs des communautés virtuelles, structures d’interactions adaptées à des modes d’échanges et de production éclatés ; elles en sont le support indéfectible. Les communautés en ligne

« induisent donc de nouvelles régulations sociales (…) tout comme elles en sont le résultat » (P-J. Benghozi, 2006). Dessiner le contour des plateformes de crowdsourcing consiste à décrypter les dynamiques qui construisent ces formes sociales. Des dynamiques que la plateforme doit ajuster, en coordonnant différentes dimensions.

propriétés hétérogènes (biens échangés, communauté virtuelle, nature de échanges, niveau d’engagement, mode de gouvernance, etc.) qu’elle doit articuler dans un même espace.

Il y a autant de manières de combiner que d’intermédiaires crowdsourcés sans doute. Le but n’étant pas d’élaborer la bonne façon d’articuler les différentes dimensions ou de proposer une combinaison miracle pour constituer une communauté en ligne. Ce qui nous intéresse ici, n’est pas tant de qualifier le modèle optimal mais au moins d’en connaître les propriétés. Par cette approche, néanmoins, une typologie se dégage, basée sur les critères précédemment cités, liés au processus de médiation.

3.1.1. Des plateformes d’innovation comme dispositif de médiation entre

communauté et marché.

Pour commencer, entrons dans la mécanique générique des startups qui se revendiquent du crowdsourcing, ceci afin d’identifier leur projet et leur positionnement par rapport à d’autres types d’intermédiaires de l’innovation. La diversité des processus combinatoires des sites rend la tâche de modélisation difficile87. Les principaux résultats de l’analyse comparée des sites mettent en évidence trois principaux modèles qui renvoient à un mode de gouvernance et de coordination dominant. Ces trois modèles sont caractérisés par un processus d’intermédiation propre à chacun.

87 Cf. annexe 14 : premier comparatif des modèles de crowdsourcing, base de construction pour le tableau 3.

Tableau 3. Les différentes formes d’intermédiation identifiées du crowdsourcing Le modèle

Outil de co-conception Sous-traitance à des experts Le modèle Démocratie Le modèle d’opinion des consommateurs

CrowdSpirit, CambrianHouse,

Kluster, Wilogo… Innocentive, Spigit, YourEncore, NineSigma, Amazon Mechanical Turk…

Lafraise, Threadless, Sellaband,

Istockphoto…

Les biens produits Biens de qualité

Biens immatériels : logiciel, concept, idée, protocole… Biens matériels : CrowdSpirit ?

Biens de qualité

Biens immatériels : concept, idée, protocole, cahier des charges…

Biens standards + personnalisés

Custom massification

Biens physiques : T-shirt, CD, photos, etc.

Formes de participation

- Coopération / Collaboration - Participation à 1 projet -Commentaires, votes, concours…

- Espace public / privé

- Les sites proposent des outils de collaboration complexes

- Propositions /réponses - Travail individuel

- Commentaires, Concours - Espace privé

- Travail chez soi pour les internautes. - Propositions /réponses - Vote/ Popularité - Commentaires - Espace public - Vote/coup de cœur/ activité plus que réel travail.

Formes de rétribution Multiples formes :

monétaires, statutaires…

- Rémunération monétaire par pourcentage.

- Points de participation - Statut dans la communauté - Economie sociale Principalement monétaire - Rémunération monétaire à la tâche : au produit sélectionné et vendu - Valorisation de l’expert, du professionnel Modèle Personnalisation de masse - Avoir le produit en avant-première et édition limitée. - Pourcentage sur la vente du produit vendu. - Offre/ demande directe Echanges communautaires - Experts diversifiés/profanes - Communauté se sélectionne elle-même

- Potentiel de la foule par la

- Base de données d’experts.

- Sélectionné par les clients/concours.

- Communauté large/ amateur/

- Communauté de biens de

sélection

- Communauté hiérarchisée : statuts, rôles, points, social networking.

- Relation / partenariat : entreprise et experts. Peu d’espace communautaire. consommation - Pas de sélection - Potentiel de la foule - Communauté ouverte, de masse, centrée sur un produit, peu hiérarchisée. Libre.

Gouvernance / Business model

- Modèle ouvert et fermé - Modèle mixte :

co-conception/place de marché - Nouveau marché => Communauté partie prenante dans la gouvernance - Modèle fermé. - Intermédiaire du marché, entre client et communauté. - Marché traditionnel => Entreprise cliente gouverne - Modèle ouvert - Place de marché - Nouveau marché => Start-up gouverne seule

L’intermédiation des plateformes désigne ici le rôle de seul et unique intermédiaire de la transaction entre les clients et la communauté, avec pour objectif de se substituer aux autres intermédiaires existants. L’intermédiation entre les clients (des plateformes) et les communautés se construit autour des variances de

gouvernance, de coordination et coopération que choisit le modèle. Les frontières sont

poreuses entre les modèles, ce sont plus des tendances qui se dessinent suivant le choix des intermédiaires. On peut cependant identifier trois modèles d’intermédiation :

L’intermédiation comme outil de co-conception

Dans ce modèle de co-conception, l’intelligence collaborative est valorisée. Les sites s’appuient sur des communautés, se positionnent comme des incubateurs de projets pour des entrepreneurs et cherchent ensuite des acheteurs potentiels ou proposent de faire passerelle entre des entreprises et ces communautés. Les sites Cambrian House, Wilogo, Kluster et CrowdSpirit sont des exemples de ce type d’intermédiation.

Quelques caractéristiques déterminantes et significatives de ce modèle : la jeunesse des startups (dans le sens des derniers créés), des communautés fortes

d’amateurs, d’étudiants, d’experts éventuellement en voie de professionnalisation. Les membres de la communauté de Cambrian House sont pour une partie des amateurs avertis en informatique, sachant travailler sur des logiciels (codage). L’autre grande catégorie que l’on retrouve est celle des utilisateurs de logiciels, sans compétences techniques reconnues. Le site propose aux membres d’endosser plusieurs rôles : de porteur de projets, créateurs d’idées à des rôles plus qualifiés de ressources, chargés de mission sur une tâche ou une activité. Tout comme Wilogo pour l’univers des graphistes, malgré l’ouverture des sites aux internautes, participer demande une certaine expertise dans le domaine concerné (informatique, graphisme, etc.).

Les biens produits sont plutôt de qualité (biens uniques) et immatériels. Sur Cambrian House, les logiciels sont immatériels et ne concernent souvent qu’une utilisation spécifique d’un domaine. Les logiciels produits et dédiés à une plus large utilisation restent minimes ou n’ont pas réussi à s’étendre. C’est d’ailleurs une des causes de fermeture de site. Un des logiciels conçus et développés, Prezzle, permettait d’envoyer un chèque cadeau d’Amazon ou d’iTunes en l’enveloppant dans un paquet surprise virtuel qui ne pouvait s’ouvrir qu’à une date voulue par l’envoyeur. Le déploiement de ce logiciel ne suffit pas à en faire un succès commercial. Pour Wilogo ou Kluster, le produit reste encore une fois un produit non physique, l’élément travaillé est un concept, graphique ou publicitaire. La difficulté de matérialiser le produit s’est rencontrée pour CrowdSpirit dans sa volonté de fabriquer le Calendrier Digital. Produire un bien matériel demande des investissements monétaires conséquents que ces plateformes ne possèdent pas.

Ces plateformes s’appuient sur des outils collaboratifs du Web 2.0. comme les wikis, forums, diggs, etc. Les sites concernés peuvent proposer des espaces de discussions ouverts à l’ensemble des internautes. La communauté est partie prenante de la gouvernance du site (forum actif), de la sélection des idées, parfois des prix du produit. Le prix de vente des logiciels sur Cambrian house est mis en discussion sur le forum du projet. Ce modèle de plateforme par ses espaces de discussion ouverts donne la possibilité aux membres de la communauté d’interagir et mettre en discussion les régulations sur le site.

L’intermédiation comme sous-traitance à des experts externes

L’intermédiation est plus proche ici de la définition du crowdsourcing qu’en fait J. Howe. Dans le prolongement de l’outsourcing, le phénomène est suscité par de grandes firmes dès sa genèse (Procter & Gamble, Ducati). Les sites équipent un appel d’offre public d’une entreprise par un concours en ligne autour d’une problématique à résoudre afin d’inciter une communauté d’experts. Le modèle propose une communauté d’experts d’un domaine comme base de données à solliciter pour résoudre un problème. Les sites comme Innocentive, FellowForce, YourEncore, Spigit, s’inscrivent dans ce modèle d’intermédiation.

Quelques caractéristiques déterminantes et significatives de ce modèle : la population de ces sites est plus spécifique et sélective. Les membres de YourEncore sont des scientifiques ou ont des connaissances scientifiques poussées. Les questions posées par les entreprises rentrent dans un cadre R&D d’entreprise, avec des enjeux se confidentialité et de brevet (solution chimique, équation mathématique, etc.). Le travail sollicité par les entreprises demande des compétences professionnelles et expertes des internautes.

Les biens produits sont également des biens immatériels, ce sont des réponses conceptuelles. Ces biens informationnels sont des solutions techniques, ils s’intègrent dans un processus industriel mais ce n’est pas du ressort de la plateforme. Sur YourEncore ou Innocentive, les solutions proposées par les internautes permettront à l’entreprise cliente de la plateforme de fabriquer par exemple des produits pharmaceutiques.

Les applications sont moins nombreuses ou moins élaborées. Les échanges sont plus binaires entre la plateforme et l’internaute. Le modèle repose plus sur de la coopération en coordonnant les solutions proposées des internautes que sur un travail collaboratif. Les espaces de communication comme les wiki ou forums sont également moins développés. Une gouvernance par les grandes entreprises clientes, qui organisent l’appel d’offre et surtout la sélection des réponses et les prix. La coordination est fondée sur le concours mais il n’y a pas vraiment d’espace collaboratif. Il en est de même pour l’espace communautaire où on note une absence d’échanges entre les membres (absence de forum, de blog). Les sites comme Innocentive ou YourEncore n’offrent pas

d’espaces de régulation des modes de fonctionnement, ils ne proposent qu’un FAQ88

afin de renseigner les internautes sur ces modes de fonctionnement.

L’intermédiation comme démocratie d’opinion des consommateurs

Ce dernier modèle s’apparente à une place de marché sans intermédiaire, mise à part la plateforme, qui organise la rencontre entre l’offre et la demande. Les sites composés d’éléments de cette intermédiation valorisent la publication des productions originales par des créateurs de tous bords. Leur sélection est faite par la masse, basée sur l’importance du flux et l’appariement direct avec le pari, la mise, le vote, les opinions favorables, bourses virtuelles, commentaires. Les sites comme LaFraise, Sellaband, Istockphoto, sont des exemples de ce modèle.

Quelques caractéristiques déterminantes et significatives de ce modèle : une place de marché où sont vendus des produits issus de la personnalisation de masse ou des biens reproductibles (photos, morceaux de musique). Les membres sont des usagers, passionnés des thématiques liées aux plateformes. Le site IStockphoto regroupe des personnes ayant un attrait pour la photographie. Les registres des thématiques sont souvent liés aux loisirs (musique, photo, habits, etc.). Le niveau des compétences des internautes est moins exigeant. Sur le site Lafraise, une personne a une idée de logo pour un T-Shirt, il la propose, en la décrivant ou la dessinant. Si l’idée plait à un nombre suffisant, la production est lancée.

Néanmoins, les porteurs de projets doivent avoir un savoir minimal. Sur Sellaband, les artistes qui ont été produits ont des compétences certaines dans le domaine de la musique. Le reste de la communauté représente un seuil d’intention d’achat déclenchant la production du bien ou du chanteur. Les biens sont ici numériques, comme les autres plateformes, mais peuvent être également matériels. La musique ou les photos sont des biens numérisés mais le passage à la matérialisation est plus sécurisé. Sur LaFraise, une fois les logos et T-Shirts validés (seuil d’intention d’achat

88 Le FAQ, frequently asked questions (littéralement questions fréquemment posées), est une liste faisant la synthèse des questions posées de manière récurrente sur un sujet donné, accompagnées des réponses correspondantes. L’objectif est d’éviter que les mêmes questions soient toujours reposées et permet de donner les informations principales au lecteur.

atteint), la production peut être lancée. Le coût de production devrait être pris en charge par le chiffre d’affaires des promesses de ventes.

Il n’y a pas ou peu d’espace collaboratif, les échanges de travail sont rares entre les membres mais le poids des votes de la communauté est significatif. Sur IStockphoto, les commentaires des membres permettent de qualifier les photos, d’aider à l’élaboration d’un prix de vente. Les espaces communautaires, d’échanges sur la régulation du site sont par contre plus présents. Ce site en effet s’appuie sur une communauté élargie, les passionnés de musique ou de photo. Plus la communauté est importante, plus la plateforme prend de la valeur car elle offre un marché potentiellement plus grand.

3.1.2. Le modèle de co-conception comme modèle d’étude

L’intérêt de ces premiers résultats n’est pas de trouver des modèles purs mais au contraire de s’intéresser à la façon dont les sites combinent les dynamiques institutionnelles et les hybrident. En effet, la volonté et la difficulté de ces sites – et principalement du modèle de co-conception – réside dans la quête de cette hybridation entre les différentes dynamiques (communautés, entreprises, gratuité, marchandisation, projet ouvert, fermé, coopération faible et forte, etc.) qui implique de nouvelles formes d’instrumentation, d’organisation et de nouveaux business model à construire.

Les sites tel que CrowdSpirit, Wilogo, Cambrianhouse, Kluster, tous intermédiaires et co-producteurs de l’innovation, sont les modèles qui combinent et nécessitent la plus forte hybridation. Ces sites doivent articuler à la fois :

- la recherche de partenaires pour le développement et la commercialisation des produits (place de marché) avec comme double entrée : firme et communauté.

- la mobilisation de l’opinion sur tout ou une partie du projet, pour des focus groupe, pour valider la pertinence d’un projet, hiérarchiser les projets, trouver la bonne idée (votes), etc.

Les sites comme Innocentive ou YourEncore, cherchent plus à atteindre ou créer des communautés, expertes dans un domaine défini, afin de pouvoir répondre à un appel d’offre d’une entreprise. Le but étant de proposer une communauté adéquate à la demande, constituer une base de données et la proposer aux clients (par l’intermédiaire d’un concours). Les communautés ciblées peuvent être des scientifiques à la retraite, des chercheurs dans le médical, experts de logiciel de la marque Microsoft, etc.

Le troisième modèle – les sites comme Lafraise, Istockphoto – combine des espaces permettant la rencontre de l’amateur avec le marché professionnel. Ces sites, par leur place de marché, offrent la possibilité aux amateurs (photo, design, musique) de proposer leur création dans un marché nouveau, parallèle, qui concurrence plus ou moins celui des professionnels.

La construction des modèles permet de clarifier d’une part l’état des plateformes de crowdsourcing et d’autre part, de constater que le modèle de co-conception maximise les tensions de coordination et de transactions des différentes dimensions. Le dosage des propositions des plateformes de ce modèle est le plus intense, il regroupe un maximum d’ingrédients, d’éléments à proposer à la communauté et aux clients, à la fois dans les formes d’échanges communautaires, les formes de rétributions et les dispositifs de collaboration. Développer ces dimensions augmente la potentialité des possibles pour la plateforme mais également les risques, une équation simple que l’on retrouve dans toutes conduites de projet, que l’on peut représenter schématiquement par le tableau suivant.

Tableau 4 : Schéma des « espaces d’appareillages » proposés par les intermédiaires