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Communauté vs virtualité

3. Les communautés crowdsourcées, des communautés modulaires

3.1. Communauté vs virtualité

La communauté virtuelle est donc décrite comme émergeant d’agrégations sociales basées sur des relations interpersonnelles virtuelles (H. Rheingold, 1993). Mais qu’il y a t-il sous les agrégations sociales et les interactions interpersonnelles, c’est-à-dire quelles formes prennent ces interactions, les médiations qui les supportent et la coordination entre elles ? Pour répondre à ces interrogations, issues de notre analyse de terrain, il est nécessaire de revenir sur les qualités et déterminants qu’apporte le monde virtuel. La virtualité, nous l’avons vue, reste antagoniste de par sa distance et son immatérialité aux caractéristiques premières de la communauté physique. Le débat n’est pas nouveau, B. Wellman et M. Gulia (1999) le posent en se demandant si l’on peut trouver en ligne des liens communautaires, dans le contexte de relations virtuelles excluant toute interaction physique. Ils apportent un premier élément de réponse en reprenant la notion de « village » de M. McLuhan (1965) qui dit que le « village »

pourrait s’étendre dans le monde, un déplacement conceptuel de la notion de communauté en terme d’espace et de réseaux sociaux (B. Wellman, S-D. Berkowitz, 1988). Le deuxième élément de réponse que fait B. Wellman à la question des intensités des relations sur les réseaux sociaux numériques est de montrer que les liens forts et intimes peuvent exister et être maintenus en ligne, aussi bien qu’en face-à-face. D’une part, parce que pour l’auteur, les réseaux informatiques sont utilisés pour faire communiquer les gens entre eux, et non les gens qui parlent aux machines (B. Wellman., 1996) ; et d’autre part, parce que les intérêts communs et homogènes qui lient les participants des communautés virtuelles peuvent favoriser des niveaux de relations relativement élevés d’empathie et de soutien mutuel (P. Lazarfeld, P-R. Merton, 1954, et P. Marsden, 1983). Enfin, les deux auteurs soumettent un dernier argument en expliquant que le concept de communauté a été traité, non en terme de proximité physique mais en terme de relations et de réseaux sociaux, et ce depuis longtemps.

D’autres dispositifs comme les téléphones, les voitures ou les avions, ont établi une nouvelle forme de relations sociales, tout en maintenant pourtant leur intensité en dehors d’une proximité physique et immédiate.

Pour conclure sur cette question de virtualité, les auteurs soutiennent que les communautés en ligne ne sont pas de « pâles substitues artificiels » des communautés plus traditionnelles, mais soulignent dans un même temps qu’elles ont leurs propres traits distinctifs portant notamment sur les changements économiques qu’elles engendrent et leurs organisations. Malgré un cadrage important des formes de co-présence sociale, les communautés virtuelles parviennent donc à maintenir des liens forts et à soutenir la collaboration en augmentant la diversité des liens faibles de par sa propension à développer le réseau d’internautes. Les relations en ligne se distinguent par l’élaboration de normes et de structures qui leurs sont propres. Les communautés virtuelles « are not just pale imitations of « real life ». The Net is the Net82 » (B. Wellman, M. Gulia, 1999).

« The Net is the Net ». La communauté virtuelle est donc une entité à part entière, avec ses propres traits distinctifs. Elle partage un socle commun et irréductible avec celui de la communauté traditionnelle, de partage : « la communauté existe si les membres partagent un ensemble d’évidences et de pratiques culturelles communes » (P. Zarifian, 1996). En cela, elle se différencie également du réseau social numérique, le social network. Elle se construit au sein de ces réseaux (D. Cardon, 2008), mais nous l’avons vu, s’en différencie au-delà de l’objet commun partagé par tous les membres en développant un sentiment d’appartenance chez les membres et de reconnaissance de chacun dans l’identité du groupe. Il se met en place aussi par les échanges dans la durée une histoire commune qui peut se traduire par un partage de pratiques, de rituels d’interactions, de valeurs communes et d’une micro-culture.

82Les communautés virtuelles « ne sont pas juste qu’une imitation de la vie réelle, le Net

Les dispositifs liés aux applications de l’Internet, caractérisés par des interactions distantes, entre temps réel et asynchrone, visuel ou textuel, induisent des configurations et régulations encore souples (R. Rainguez, 2007). La communauté virtuelle, telle que décrite en début de chapitre, est une forme sociale rendue instable par les dynamiques mouvantes qui la traversent. Une forme sociale particulière que G. Zimmermann (2007) qualifie de « structures dissipatives », emprunt à I. Prigogine (1995), concept qui permet de mettre en exergue la tension entre les changements permanents et une continuité structurelle : « Il s’agit de systèmes ouverts qui se maintiennent dans un état éloigné de l'équilibre, mais qui demeure néanmoins stable : la même structure globale est maintenue en dépit d'un flux constant d’actions et d’informations suscitant de l'évolution et des changements » (G. Zimmermann, 2007).

Cette première approche complète la notion de communauté virtuelle. Elle est vue comme une forme communautaire à part entière qui partage des qualités communes avec la communauté traditionnelle mais engendre également des caractéristiques qui lui sont propres. La forme sociale qui se détache, qualifiée de structure dissipative, admet des tensions nouvelles émises par des changements permanents. D’après les premiers recueils provenant de nos terrains, trois propriétés, nœuds de tensions, peuvent caractériser la formation des structures sociales des communautés virtuelles :

- une force performatrice (effet performateur par les internautes)

- une communauté médiatée (et distante)

- des processus d’hybridation (constitution par projet, combinaison d’interactions

et d’engagements)

Ces trois dimensions, rapportées à notre état de l’art sur le concept de communauté virtuelle, ainsi qu’à nos terrains, nous paraissent en constituer les éléments décisifs. Ces éléments ne sont pas nouveaux, ils appartiennent à la définition de communauté traditionnelle mais sont exacerbés ou transformés par la virtualité et deviennent alors des éléments moteurs.