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En Afrique, notamment dans la partie occidentale du continent où le Sénégal est situé, des études ont été consacrées au multilinguisme du point de vue macro- sociolinguistique. C'est par exemple le cas de Amuzu & Singler (2014), qui proposent un tour d'horizon des langues qui sont, numériquement, les plus importantes de la sous-région ouest-africaine, avec une focalisation sur l'intrasequential code-switching du point de vue du contact de langues. Juillard (2005a, 35) montre que l'hétérogénéité des plurilinguismes en Afrique subsaharienne dépend de la diversité des situations sociolinguistiques, lesquelles

57 La Guinée-Bissau est un pays marqué, sur le plan politique, par de nombreux coups d’état et révoltes

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varient selon qu'on est en ville ou à la campagne. Au niveau national sénégalais, plusieurs études mentionnent que nous sommes dans un pays multilingue, même si la plupart de ces travaux traite du wolof. Ainsi, dans son étude sur le wolof parlé à Dakar en contexte urbain, McLaughlin (2001, 162) révèle que, s'agissant des locuteurs du wolof parlé dans cette ville, la difficulté d'analyser leur façon de parler wolof (avec des insertions du français, entre autres langues) est due au fait que ces personnes ont des répertoires linguistiques divers et qu'elles sont soit bilingues, soit plurilingues. Le répertoire linguistique de ces personnes a donc des effets sur leur façon de parler le wolof.

De son côté, Juillard (1991a) explique l’origine du peuplement de la ville de Ziguinchor par les différents groupes linguistiques qui la composent. Le multilinguisme ziguinchorois est vu par cet auteur sous la forme d'une dichotomie opposant le centre à la périphérie. En effet, elle met à jour une spécialisation de l’emploi des langues telles que le français, utilisé au travail et le wolof, utilisé dans les rapports entre garçons et filles (Juillard 1991a, 435) et dont l’expansion se fait du centre vers la périphérie (Juillard 1991a, 439). Selon elle, l’implantation du wolof à Ziguinchor est due à des facteurs économiques, administratifs, migratoires, religieux mais aussi au caractère attractif de cette langue (Juillard 1991a, 439‑444). Juillard analyse aussi l’usage des langues au sein des familles dans la ville de Ziguinchor en se fondant sur les pratiques déclarées des locuteurs. La constitution du plurilinguisme et sa transmission dans la ville de Ziguinchor se fait dans le cadre familial du fait qu'il est courant qu'on retrouve dans une même famille des personnes se réclamant d'« ethnies » différentes. Poursuivant sa réflexion, la chercheuse soutient que la gestion du plurilinguisme se fait au quotidien par des actes de communication au cours desquels les locuteurs actualisent leur répertoire linguistique en ayant recours aux langues qu'ils manient. La configuration des quartiers (avec une dominance « ethnique » dans certains quartiers où la langue de « l'ethnie » dominante est plus utilisée, contrastant avec le profil d'autres quartiers où il y a plus de

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mélanges « ethniques ») fait qu'il y a un « plurilinguisme de quartier » à Ziguinchor (Juillard 1991b, 34).

Les travaux de Juillard sont essentiellement fondés sur une approche interactionnelle s'appuyant principalement sur l'observation in situ des pratiques langagières des populations dans leur quotidien. Cette méthode, outre le fait qu'elle permet d'observer les langues qui sont employées dans les différentes interactions entre les populations, permet d'observer dans quel(s) domaine(s) chacune de ces langues est employée.

Ailleurs en Casamance, Moreau traite des attitudes linguistiques des Diola et des Peuls face au wolof à Oussouye, ville située à l'ouest de Ziguinchor. Moreau révèle la fonction sociale des langues en présence dans cette localité58 (Moreau 1994a).

La thèse doctorale de Ndecky (2011) met en lumière l'hétérogénéité linguistique de la population de Goudomp (une ville située en Moyenne Casamance à l'est de Ziguinchor), renforcée par l'arrivée massive de réfugiés des villages environnants. Ndecky focalise son étude sur les Mancagnes, un groupe qui parle le créole de Casamance.

Dreyfus & Juillard (2004b, 49) ont également proposé une comparaison des villes de Dakar et de Ziguinchor. Selon elles, ces villes entretiennent également entre elles des relations de centre et de périphérie. Dans cette mise en regard, Dakar est vue comme le centre et Ziguinchor comme la périphérie où le plurilinguisme s'actualise le plus, du fait du dynamisme des langues locales. Le multilinguisme à Dakar tourne autour du wolof, du français et des langues d'origine des migrants tandis qu’à Ziguinchor, il est plus diversifié (Dreyfus & Juillard 2004b, 7). Dans cette étude, Dreyfus & Juillard se sont intéressées aux réseaux familiaux afin de voir leur organisation du point de vue linguistique. Ainsi, par le biais d'un questionnaire proposé à des élèves leur demandant de

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déclarer les différentes langues qu'ils entendent autour d'eux dans leurs lieux d'habitation, Dreyfus & Juillard (2004b, 65‑66) ont cherché à comprendre comment le multilinguisme est perçu. Cette même étude montre également la dynamique des langues à travers leur transmission dans les familles, tout en révélant aussi la hiérarchie des langues présentes dans le répertoire linguistique des populations sénégalaises concernées.

Dreyfus & Juillard (2004b) ont évoqué l’absence de données linguistiques en diachronie sur le contact de langues. En synchronie, la plupart des études concernant le contact de langues au Sénégal portent sur le wolof et sur le français dans une approche variationniste. On peut ainsi citer les études de Ndao (1996) et de Juillard et al. (1994). Thiam (1994, 24), dans son étude sur le « code mixte » wolof-français à Dakar, mentionne que les locuteurs de la classe moyenne sont ceux qui produisent le plus d'énoncés mixtes. Cependant, Thiam considère comme des emprunts les mots qui ne sont pas du wolof dans son corpus. S'il est vrai que le wolof et le français sont présents dans les exemples qu'il fournit, le terme de « code mixte » n'est pas à proprement parler défini. L'absence d'explicitation de ce terme ne permet pas de savoir ce que Thiam entend vraiment par « code mixte », (pour des définitions de ce genre de notion, cf. Auer 1999). Par ailleurs, la méthode de Thiam, qui a consisté à laisser les enquêtés décider par eux-mêmes de ce qui est un emprunt et de ce qui n'en est pas un, semble discutable, étant donné que les personnes interrogées n'ont pas toutes la même idée de ce qu'est un emprunt59. Citons encore l’étude de Faye (2008), consacrée à l’alternance de langues et au discours mixte, qui met en scène le wolof, le sérère et le français avec des approches psycholinguistique et sociolinguistique. Faye s'intéresse aux types et aux motivations de l'alternance de langues en situation de contact. Il montre que ces motivations peuvent être conscientes ou inconscientes. L'étude de Faye met en exergue une situation de contact de langue où plus de

59 Cette notion a suscité de nombreux débats entre les spécialistes du contact de langues, comme l'ont

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deux langues sont en contact. Cependant, elle s'inscrit dans une perspective traditionnelle consistant à relever les catégories et les motivations de l'alternance sans pour autant prendre en compte les changements linguistiques induits par le contact.

En ce qui me concerne, en adoptant un point de vue de linguistique du contact, les données que je présente dans cette étude au chapitre 2 et dans les suivants, mettent en évidence d'une autre façon l'existence de situations multilingues au Sénégal qui ne sont pas fondées sur les déclarations des locuteurs, mais sur leurs pratiques linguistiques réelles. En effet, à partir de mon corpus, on peut observer le plurilinguisme des locuteurs et les mélanges de langues auxquels ils s'adonnent dans leurs pratiques quotidiennes.

1.6. Conclusion

Dans ce chapitre, j'ai présenté les différentes familles linguistiques qui composent le paysage linguistique du Sénégal. En effet, ce panorama linguistique, constitué de langues atlantiques, mandées, indo-européennes, sémitiques et créoles afro-portugaises, donne une idée de la composition du multilinguisme sénégalais. Ce multilinguisme est géré par les institutions sénégalaises avec de légères nuances en fonction de la politique des différents présidents du Sénégal, et cette gestion a pu occasionner la critique de certains linguistes. La plupart de ces critiques portent sur la volonté des présidents successifs de conserver le français comme unique langue officielle du Sénégal. Malgré la volonté des décideurs sénégalais de répandre la pratique d’un français calqué sur la norme parisienne, les pratiques sociales actuelles révèlent une variation du français parlé sur le téritoire sénégalais. En outre, des changements sociaux liés à une urbanisation rapide – eux-mêmes à l’origine de la modification

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des formes et des fonctions des langues en contact – caractérisent ce type de terrain multilingue africain. Si un certain nombre d’études macro- sociolinguistiques donnent un bon aperçu de la coexistence des langues au Sénégal, peu de travaux microsociolinguistiques ont jusqu’à présent permis l’analyse précise des mélanges de langues quotidiens pour cette population plurilingue. Les études scientifiques disponibles mettent en évidence une structuration du multilinguisme variable selon les régions et ceci vaut pour celles où habitent les créolophones casamançais auprès desquels j’ai recueilli les corpus dont je traite dans le prochain chapitre.

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