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PARTIE 1 : Cadre de la recherche

3.2. Les travaux en didactique des mathématiques selon Glaeser et l’école de Strasbourg de Strasbourg

Tandis que Brousseau conduisait ses travaux dans le Sud-Ouest de la France, Glaeser, mathématicien et universitaire à Strasbourg pouvait être lui aussi considéré comme pionnier

de la didactique des mathématiques, comme en témoignent les textes rassemblés par Bloch et Régnier (Glaeser, 1999).

3.2.1. Glaeser : mathématicien et didacticien des mathématiques

Mathématicien, professeur agrégé de mathématiques, Glaeser choisit de s’engager au début des années soixante-dix dans une réflexion sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. En effet, tandis que le législateur a accompagné la réforme des mathématiques modernes d’un travail substantiel de réécriture des programmes d’enseignement, plusieurs mathématiciens parmi lesquels Polya, Freudenthal et Glaeser reprochent l’absence de réflexion sur les difficultés d’apprentissage rencontrées par les élèves. L’engagement de Glaeser dans ce mouvement de réflexion se traduit dès 1971 par la publication de l’ouvrage Mathématiques pour l’élève-professeur, suivie dès 1973 de celle du Livre du problème, composé de six volumes dont Glaeser a rédigé lui-même le premier : Pédagogie de l’exercice et du problème (1973).

Des témoignages extraits de l’ouvrage réalisé sous la conduite de Blochs et Régnier (Glaeser, 1999) et rassemblant de nombreux écrits de leur professeur et ami Glaeser ainsi que des contributions de Brousseau, Pluvinage et Vergnaud nous permettent de présenter ici la réflexion conduite par le didacticien Glaeser sur l’enseignement des mathématiques. Nous examinerons également les définitions que donne Glaeser de la didactique et du problème.

3.2.2. La didactique expérimentale des mathématiques selon Glaeser

Nous examinerons successivement selon Glaeser la définition de la didactique expérimentale des mathématiques, la finalité de l’enseignement des mathématiques, la place de l’heuristique et enfin la distinction entre problème et exercice.

3.2.2.1. De la didactique des mathématiques à la didactique expérimentale des mathématiques

Pour Glaeser, la didactique d’une discipline étudie les mécanismes d’appropriation des habitudes intellectuelles et des savoirs par des étudiants58 de tous niveaux, au sein de l’institution scolaire ou à l’extérieur et cette étude doit s’appuyer obligatoirement sur l’observation sur le terrain. Ce postulat est tellement prégnant chez Glaeser qu’il dénonce à plusieurs reprises la pédagogie des ministères qui selon lui se borne à dicter aux enseignants, depuis une administration centrale dans un bureau, une conduite à tenir dans les classes en présence des élèves. Notons cependant que de nos jours ce point de vue mérite d’être largement nuancé : les documents d’application et d’accompagnement des programmes sont émaillés de situations issues de pratiques de terrain. Les rapports de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale s’appuient, comme en atteste l’extrait ci-après (IGEN, 2006), sur des

visites de classes au cours desquelles les inspecteurs généraux observent puis analysent des séquences de mathématiques avec les enseignants concernés.

L’étude de l’inspection générale a pour objectif de cerner la réalité de l’enseignement des mathématiques au cycle 3 de l’école primaire et d’apprécier la mise en place des programmes dans ce domaine. Elle s’est fondée essentiellement sur des observations concrètes dans quelque cent vingt classes du cycle des approfondissements (cycle 3) réparties sur l’ensemble du territoire, des entretiens avec des maîtres exerçant à ce niveau et rencontrés sur leur lieu d’exercice, l’examen de travaux d’élèves des classes visitées. Sans avoir constitué un échantillon représentatif des classes françaises, on peut néanmoins affirmer que l’étude donne une vision de l’enseignement proche de la réalité dans sa diversité : classes rurales, rurbaines, urbaines ; classes à un seul cours ou à plusieurs ; classes tenues par des maîtres jeunes ou chevronnés. L’académie de Reims et le département de l’Essonne ont donné lieu à des observations plus denses puisque respectivement quarante et trente visites y ont été effectuées (IGEN, 2006).

C’est en militant pour une didactique des mathématiques basée sur une observation de terrain que Glaeser fonde la didactique expérimentale des mathématiques en précisant toutefois que cette expression doit être considérée au sens large dans la mesure où les expériences ne sont pas conduites dans un laboratoire, mais au sein d’une classe. Cette réserve atteste entre autres de la rigueur intellectuelle dont a toujours fait preuve Glaeser qui, d’ailleurs, conseillait à ses étudiants pour leur éviter toute dérive, l’examen approfondi de l’Introduction à la Médecine Expérimentale (Bernard, 1865). Pluvinage (in Glaeser, 1999, p. 13) témoigne de la rigueur de son maître, rigueur que l’on retrouve d’ailleurs dans le souci de Glaeser de faire de ces recherches en didactique, quand bien même elles ne se dérouleraient pas en laboratoire, de véritables recherches scientifiques. Par exemple, Glaeser affiche (i) l’importance de déterminer des variables didactiques dans toute recherche relevant de la didactique expérimentale et (ii) la nécessité de comparer des situations presque identiques ne variant que sur quelques paramètres. S’appuyant sur les travaux de Fisher (1979) et de Esfahani (in Glaeser, 1999, p. 101), il montre l’intérêt qu’il porte à la nécessité de déterminer les différents seuils qui balisent un apprentissage de longue durée.

Comme pour toute recherche scientifique, Glaeser a développé et mis en application l’idée de communication des travaux réalisés. À travers l’extension prise par la bibliothèque de l’IREM de Strasbourg au cours des années où il y a travaillé, à travers sa ténacité pour obtenir la création d’un troisième cycle universitaire en didactique des mathématiques, on peut mesurer le souci de Glaeser de diffuser le savoir et son incitation à prendre appui sur des réflexions déjà entreprises, restant ainsi fidèle au titre donné à la préface de son ouvrage Mathématiques pour l’élève-professeur: Pour une pédagogie de la communication et de l’action (Glaeser, 1971).

C’est d’ailleurs en suivant cette logique de transmission de travaux et de développement d’une pédagogie de l’action que Régnier (1980, 1983), élève de Glaeser, a conduit des recherches s’intéressant respectivement à l’élaboration d’un livret autocorrectif et à l’usage d’un test autocorrectif en trigonométrie.

3.2.2.2. Enseignement mathématique et goût mathématique

Pour Glaeser, l’enseignement mathématique revêt une finalité culturelle, permettant à chaque élève de se forger un esprit critique, une imagination créative, une rigueur de pensée, d’acquérir puis d’entretenir une autonomie et une curiosité intellectuelles. Il vise ainsi principalement la formation de concepts et l’acquisition de connaissances. Brousseau partage d’ailleurs ce point de vue.

Ainsi, tandis que Brousseau centre sa théorie sur les situations et les stratégies de l’enseignant dans la conduite de la classe, Glaeser préfère ne pas restreindre sa réflexion aux situations scolaires. Il importe pour lui d’accorder une place plus grande aux objectifs éducatifs et de prendre en compte les apprentissages autour de l’école. Il illustre son point de vue par son vécu personnel et ses premières découvertes des notions de trigonométrie dès l’âge de 8-9 ans lors de la lecture du roman de Jules Verne Aventures de 3 russes et de 3

anglais59 dans lequel les héros devaient mesurer un arc de méridien terrestre lors d’une

expédition scientifique en Afrique australe. La lecture de la bande dessinée L’idée fixe du

savant Cosinus60 lui permet peu de temps après de s’imprégner de quelques expressions

empruntées à la trigonométrie. Ce n’est que vers 14-16 ans que Glaeser reçoit officiellement une initiation à cette science. Ainsi, d’après lui, il est difficile, voire illusoire de dissocier les savoirs scolaires et les savoirs acquis en dehors de l’école. Sur ce point, il dit rejoindre Piaget pour lequel l’apprentissage s’effectue tout au long de la vie et pas nécessairement dans un contexte scolaire.

Ainsi Glaeser préfère-t-il parler d’éducation mathématique avec pour objectif premier de donner le goût mathématique.

3.2.3. Place de l’heuristique selon Glaeser

Glaeser place au cœur de la didactique des mathématiques l’heuristique61 qu’il définit comme étude des phénomènes de compréhension. Il distingue cependant deux types d’heuristique :

(i) L’une dite normative, qui peut être illustrée par les travaux de Polya. L’heuristique normative a pour objet de donner des conseils aux élèves en vue de les aider à résoudre des problèmes.

(ii) L’autre dite descriptive que Glaeser place au cœur de la didactique expérimentale et qu’il décrit comme étant l’étude des démarches spontanées efficaces ou non conduites par une personne confrontée à un problème. De par la présence de ce tâtonnement inhérent à cette définition, Glaeser oppose l’heuristique descriptive à l’algorithmique, la première laissant la place à l’imprévu, à la création, au doute et caractérisant la recherche de solution à un problème, la seconde correspondant à l’exécution de tâches algorithmiques.

59 Aventures de 3 russes et de 3 anglais : Verne, J. (1872) dans la collection Les voyages extraordinaires, Hetzel.

60 L’idée fixe du savant Cosinus : Christophe (1899) – bande dessinée parue à la librairie Armand Colin, Paris.

C’est en puisant dans l’histoire de l’enseignement des mathématiques que Glaeser aborde la question de la place de l’heuristique. En prenant exemple d’enseignement novateur pour l’époque62, celui donné par Clairault à son élève la Marquise du Châtelet, Glaeser (1999, p. 54) montre à quel point cet enseignement ne peut être qu’en partie qualifié d’heuristique ; en effet, Clairaut qui base son enseignement des mathématiques sur la résolution de problèmes, ne laisse pas son élève trop longtemps démunie de la solution qu’il finit par lui donner sous une forme magistrale réduisant ainsi à néant la part d’heuristique de l’élève. Glaeser pointe là tout le paradoxe entre le projet initial qui consiste à donner des problèmes à résoudre et la mise en situation qui n’offre pas la possibilité aux individus de les résoudre.

Néanmoins, Glaeser relève une dimension heuristique dans cet enseignement qui se voulait reposer sur la résolution de problèmes. En effet, Clairaut n’expose pas LA solution du problème mais envisage plusieurs cheminements de pensée possibles. Il désigne par enseignement à la Clairaut un enseignement qui n’a d’heuristique que celle que l’enseignant fait sienne, opposant ainsi son attitude de recherche active à la passivité de ses élèves. Ce procédé préconisé par l’Inspecteur Général Blutel au début du 19ème siècle et nommé de manière inappropriée méthode de redécouverte a été longuement en vigueur dans les classes. Ce que revendique Glaeser, ce n’est en aucun cas un enseignement de cette forme. Il souhaite que des problèmes soient proposés aux élèves et que ce soient les élèves qui les résolvent.

Le rôle de l’enseignant est, selon Glaeser, un rôle d’éveilleur, de provocateur qui consiste à placer les élèves dans des situations d’inconfort intellectuel les conduisant à des questionnements. Nous rapprochons ce point de vue de celui développé par Legrand (1960, p. 127) à propos de la pédagogie de l’étonnement :

C’est la culture de l’étonnement chez l’enfant qui pourra seule entretenir et enrichir une ouverture intellectuelle indispensable à tous progrès ultérieurs (Legrand, 1960, p. 127).

3.2.4. Problème et exercice selon Glaeser

Glaeser, en tant que mathématicien universitaire, place le problème en tête des activités des mathématiciens ; et en tant que didacticien, il considère que le professeur doit développer chez l’élève l’aptitude à poser et résoudre des problèmes. (Glaeser cité par Noël, 1999). Pour Glaeser (1971), un problème est une question dont on ne connaît pas la réponse, l’inverse n’étant pas vrai : toute question n’ayant pas de réponse n’est pas toujours un problème. La réponse ne doit pas être triviale ; et pour qu’il y ait problème, la démarche de résolution ne doit pas apparaître dès la lecture de l’énoncé. Ainsi, un problème pour un élève n’est pas nécessairement un problème pour un autre élève. De plus, l’élève doit être motivé par la résolution. Un problème peut en effet se révéler difficile à résoudre et nécessiter un engagement sur une période relativement longue.

Glaeser distingue la notion de problème de celle d’exercice qui, elle, se réduit à l’exécution de tâches algorithmiques et ne conduit pas, comme le problème, à un tâtonnement, à l’invention, à la recherche de pistes permettant d’accéder à une solution. Dans l’exercice, on

ne retrouve pas cette dimension heuristique que Glaeser place au cœur même de la définition du problème. Cette distinction revêt une telle importance chez Glaeser qu’elle devient l’objet du premier fascicule du Livre du problème (Glaeser, 1973) intitulé Pédagogie de l’exercice et du problème. Il s’agit là d’une typologie des exercices selon les objectifs pédagogiques en vue desquels ils sont donnés aux élèves (Pluvinage, in Glaeser, 1999). À travers cet ouvrage qu’il considère comme un outil de formation pour les jeunes enseignants, il exprime son souhait et sa volonté (i) de susciter une réflexion sur la finalité des mathématiques, (ii) de lutter contre des habitudes de travail qui ont parfois transformé des innovations en stéréotypes. On peut voir là une allusion au décalage entre l’innovation de Clairaut qui avait consisté au début du 18ème siècle à introduire la résolution de problèmes dans son enseignement et la généralisation de cette soi-disant méthode de redécouverte voulue par Blutel un siècle plus tard.

À partir d’un ensemble d’énoncés qu’il présente comme des exemples, Glaeser invite les enseignants à adopter un regard critique quant aux situations qu’ils vont soumettre à leurs élèves et ainsi à réfléchir, voire à modifier leur enseignement des mathématiques. Il propose une classification des énoncés en sept catégories dont chacune dit-il relève d’une pédagogie différente (Glaeser, 1973, p. 10).

Nous présentons ici le tableau considéré comme fondamental par son auteur (Tableau 1), et qualifié, vingt-cinq ans plus tard, d’excellente initiative par Brousseau (in Glaeser, 1999) qui en loue le mode pragmatique.

Sigle Catégories d’énoncés Comportement de l’élève Comportement du

professeur EE Exercices d’exposition Apprendre

Acquérir des connaissances Exposer incomplètement Transmettre des

connaissances

P Problèmes Chercher

Trouver Susciter la curiosité Encourager la persévérance

dans la recherche ED Exercices didactiques S’entraîner

Acquérir des mécanismes Fixer des connaissances, des aptitudes, des habitudes

ETT Exécutions de tâches

techniques Prendre ses responsabilités Mener un travail à bonne fin en

prenant l’engagement de ne pas laisser subsister d’erreurs

Inciter à la minutie, au soin.

Exiger un travail bien fait

A Exemples d’illustration

Exercices d’application Transférer théoriques dans un contexte pratique des connaissances Rattacher d’autres centres d’intérêt l’abstrait à

M Manipulations Observer

Expérimenter Bricoler

Motiver les résultats d’une étude abstraite ultérieure

T Tests. Sujets de

compositions,

d’examens, de concours

Vérifier la valeur de ses

connaissances

Faire valoir ses aptitudes

Contrôler les résultats de l’enseignement sur chaque élève

3.3. La théorie des champs conceptuels dans sa dimension didactique selon