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Le travailleur transfrontalier français en Suisse : expatrié ou commuter international ?

T RAVAILLEURS TRANSFRONTALIERS : ETUDE DE LEURS TRAJECTOIRES DE CARRIERE

1. Gestion des carrières des travailleurs transfrontaliers : enjeux théoriques

1.1 Le travailleur transfrontalier français en Suisse : expatrié ou commuter international ?

Le Rhin Supérieur comprend l’espace transfrontalier franco-germano-suisse constitué par l’Alsace, la Suisse du Nord-Ouest, le Sud du Palatinat et une partie du Pays de Bade. Marché du travail diversifié, le Rhin Supérieur propose essentiellement des emplois dans le secteur tertiaire. En particulier en Suisse, en 2019, les actifs travaillent principalement dans le secteur des services (75.8% de la population active), l’industrie (20.7%), notamment la chimie, la pharmacie, la construction de machines et la métallurgie (Schweizerische Eidgenossenschaft, 2019).

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L’attractivité spécifique des territoires transfrontaliers est principalement abordée par les géographes et les sociologues. Dans ces champs, le transfrontalier est un individu qui vit et travaille dans deux pays différents. Entre les deux il effectue des allers-retours quotidiens, appelés migration pendulaire (Hamman, 2005). Celle-ci présente une plus-value pour les organisations et pour les individus. Pour les premières, elle permet d’exploiter l’offre de main- d’œuvre au-delà du marché du travail local. Pour les seconds, le partage entre deux pays apporte des avantages, tels que le salaire et le niveau de vie, la nature du travail, les conditions de travail ou encore la capacité d’adaptation (Brahimi, 1980). C’est le cas du Rhin Supérieur qui se caractérise par un flux de travailleurs transfrontaliers important (64 000 en 2015, Isel et Kuhn, 2016). Sur les 40 400 transfrontaliers résidant dans le Haut-Rhin en 2012, 36 100 occupent un poste dans la région de Bâle (INSEE, 2016), soit 56% des transfrontaliers du Rhin Supérieur.

Si les Français se déplacent essentiellement vers la Suisse, les Suisses semblent, quant à eux, davantage sédentaires, moins disposés à penduler, déménager ou se déplacer pour le travail (Ravalet et al., 2014). En effet, avec un fort taux d’activité et un chômage des plus bas (OCDE, 2017b), la Suisse constitue l’espace le plus attractif du Rhin supérieur, proposant des conditions de travail de qualité (OCDE, 2017b). Ainsi, un salaire suisse représente parfois plus du double d’un salaire français (3 021 € brut mensuel contre 5 980 €, INSEE, 2016), même si cela peut différer d’un secteur d’activité à l’autre. La Suisse, dont le taux de vacance est en augmentation pour les emplois hautement qualifiés (OCDE, 2017b) et dont le système éducatif non professionnel s’adapte insuffisamment aux besoins du marché du travail (OCDE, 2015a), profite des bassins de main-d’œuvre transfrontaliers pour recruter ; elle s’ouvre au marché de l’emploi européen grâce aux accords bilatéraux. Les besoins en ressources humaines et l’attractivité suisse impliquent alors une gestion plus internationale du recrutement (Davoine et al., 2011).

Les recherches concernant la main-d’œuvre transfrontalière restent, à notre connaissance, embryonnaire en sciences de gestion. L’étude de cette population peut cependant être envisagée selon différentes approches théoriques traitant de la mobilité internationale. En premier lieu, le contexte transfrontalier influence les travailleurs actifs à revoir leur rapport au déplacement. Les individus cherchent à être le plus flexibles possible afin de faire face à toutes situations de la vie quotidienne à la carrière professionnelle. Ils peuvent donc se

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tourner vers le voisin pour embrasser une carrière alternative. La mobilité renvoie à «

l’ensemble des déplacements impliquant un changement d’état de l’acteur et du système »

(Kaufmann, 2011). Ressource-clé professionnelle lorsqu’une trajectoire de carrière ascendante est souhaitée (Kaufmann et al., 2004), la mobilité permet d’accéder à des conditions favorables consentant d’engager un mouvement (Gohard-Radenkovic et Veillette, 2015) dit alors « motile » (de la contraction mobile-utile) (Kaufmann, 2011). Elle permet de faire face à des difficultés professionnelles ou de faciliter un besoin de coprésence à tous les niveaux (travail, famille, société). Il s’agit de la manière dont un individu ou un groupe s’approprie et fait usage de toutes les possibilités concernant la mobilité. Répondant aux nouvelles normes sociales basées sur la mobilité et la flexibilité des individus (Bacqué et Fol, 2007), l’individu transfrontalier constitue la concrétisation d’autres culture et langue. S’il s’adapte plus rapidement à son environnement (Krämer, 2004), il doit apprendre à s’intégrer hors de sa société d’origine (Krämer, 2004). Dès lors, se pose la question de la dimension internationale de la mobilité.

La gestion des ressources humaines internationales (GRHI) n’aborde pas spécifiquement la mobilité transfrontalière, mais traite de catégories de personnel avoisinantes, comme les

commuters internationaux pour la mobilité pendulaire et des expatriés pour la dimension

internationale. Nous nous proposons de poursuivre un raisonnement analogique pour tenter de décrire les transfrontaliers.

Les commuters internationaux sont des travailleurs internationaux qui naviguent régulièrement entre leur pays de résidence et un autre pays, par choix personnel. Ils ne sont pas forcément des cadres de haut-niveau et n’occupent pas un poste à hautes responsabilités hiérarchiques (Desmarais et al., 2012). Ils font cette expérience de la mobilité géographique pour s’inscrire dans des stratégies individuelles et familiales de mobilité (Guillaume et Pochic, 2010). Leur famille demeure ainsi dans leur pays de résidence. Il existe différents types de mobilité internationale dite pendulaire. Celle qui nous intéresse est la mobilité transnationale. Cette migration serait une alternative à l’expatriation (Desmarais et al., 2012). Il s’agit d’une forme de mobilité plus courte, plus ponctuelle et moins coûteuse pour l’entreprise (Morley et Heraty, 2004).

L’expatriation renvoie, quant à elle, à la mobilité d’un employé dans un autre pays pour plus d’un an (Petrovic et al., 2000). Les entreprises y ont recours en raison de leur développement

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international, d’un besoin spécifique de compétences ou encore du développement professionnel des salariés (Edström et Galbraith, 1977). Concernant ce dernier point, les études ont montré que pour atteindre les postes de haut niveau, il est nécessaire d’acquérir une expérience et des compétences spécifiques (Attia et Melin, 2017). Elles se développent via une mobilité internationale. Le retour de l’expatrié représente alors un enjeu important pour l'organisation puisqu'il s'agit de transférer les compétences acquises à l'étranger (Barmeyer et Davoine, 2012). Ainsi, le « capital carrière » de l’individu est censé s’accroître pendant une expatriation et être rentable autant pour lui que pour son organisation (Cerdin, 2012). Il n’est pas envisageable de s’expatrier si cette mobilité internationale ne profite pas à la carrière de l’individu (Guillaume et Pochic, 2010).

Tout comme le commuter international, le travailleur transfrontalier choisirait d’aller travailler dans un pays différent de son lieu de vie. À la différence de l’expatrié, le travailleur transfrontalier partirait à l’international par choix personnel. En revanche, à l’instar de l’expatrié, sa mobilité et son expérience internationales seraient valorisées par une meilleure rémunération ou un meilleur poste. Ils se tourneraient vers le pays voisin en espérant acquérir une expérience qu’ils valoriseront une fois de retour dans leur pays d’origine. Le travailleur transfrontalier vivrait donc entre migration pendulaire et expatriation. S’agissant d’étudier sa carrière, quelles sont les différentes approches sur la carrière ?