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5. Conclusions et prospectives

5.1 Montréal, une transition économique inachevée?

5.1.2 Le travail pauvre : un problème global

Tout au long du rapport, nous avons différencié les catégories sociodémographiques et liées au marché du travail entre elles. Cette manière de procéder a pu laisser penser que le travail pauvre constitue plus le problème de l’une ou l’autre d’entre elles. Nous voudrions quelque peu nuancer ce propos au moment de conclure ce travail.

À la suite d’autres travaux, nous pensons qu’il s’agit plutôt d’envisager le travail pauvre comme une conséquence globale d’un contexte renouvelé de mondialisation économique. Les conditions de travail des travailleuses et travailleurs sont à penser dans ce contexte renouvelé et globalisé de production et de division du travail (Lyons 2007). En ce sens, il est bon d’insister sur le fait que toutes les catégories ont enregistré une augmentation du travail pauvre entre 2001 et 2006, à l’exception de trois d’entre elles (les parents seuls de moins de 30 ans, les personnes employées dans les professions de la fabrication, manufacture et service d’utilité publique et les personnes n’ayant pas de diplôme secondaire), et encore, ces catégories n’ont pas enregistré une diminution de l’incidence du travail pauvre (la réduction absolue du travail pauvre étant la conséquence d’une réduction de la population totale de ces trois catégories).

L’écart entre les femmes et les hommes face au travail pauvre semble s’être réduit (il s’agit d’être prudent lors de tirer cette conclusion dans le cadre de notre étude, puisqu’elle ne tient pas compte des inégalités à l’intérieur des couples). La réduction de cet écart est en partie liée à une dégradation des conditions de travail des hommes (Yerochewski 2014). Par contre, des inégalités subsistent entre les femmes et les hommes, lorsque le genre est croisé avec d’autres variables. L’effet le plus massif est lié à la composition familiale. Les femmes continuent à se retrouver plus souvent en situation de

monoparentalité, ce qui limite leur capacité à participer au marché du travail. De même, elles travaillent plus souvent à temps partiel, un autre facteur qui accroît le risque de travail pauvre. Elles ont aussi absorbé une part plus importante de la croissance des emplois et du travail pauvre au sein de certaines catégories de travailleurs, dont ceux pour lesquels les informations sur le temps de travail et la profession sont inconnues et au sein de certains secteurs d’activités (la santé ou les professions des sciences sociales, de l’éducation, de l’administration publique et de la religion, par exemple). Elles ont enfin été plus touchées que les hommes par la destruction des emplois industriels observée entre 2001 et 2006.

Les hommes ont aussi connu leur part de déboires sur le marché du travail. Ils ont par exemple absorbé une part importante de l’accroissement du travail pauvre des professions du secteur primaire, des métiers, transport et machinerie et des sciences naturelles et appliquées. Les immigrants constituent sans doute une part importante de ces travailleurs dans certains secteurs et ils sont plus à risque que les immigrantes de se retrouver dans un emploi mal rémunéré. Les hommes ont enfin constitué la majorité de l’accroissement du travail pauvre dans les professions de la gestion et des affaires, de la finance et de l’administration – des secteurs liés à l’émergence d’une nouvelle économie urbaine qui devrait assurer des salaires élevés. Ces différentes évolutions expliquent sans doute la réduction de l’écart observé entre les deux sexes entre 2001 et 2006, et ce, même si des inégalités subsistent, dont des taux d’emploi différenciés entre les hommes et les femmes.

Les immigrants constituent une autre population qui est touchée de manière importante par les transformations des conditions de travail. Ils occupent souvent les emplois les moins valorisés. La présente étude confirme cette tendance lourde. Le taux de travail pauvre est largement supérieur pour les immigrants, en partie en raison d’un processus de déqualification plus marqué dans leur cas. Toutefois, la présente étude fournit des indices qui laissent à penser que cet écart pourrait se réduire à l’avenir et que les non-immigrants seraient, à terme, touchés de la même manière par les transformations de leurs conditions d’emploi. Les jeunes y sont plus exposés, ainsi que les universitaires. Il en va de même pour des travailleuses et travailleurs de différents secteurs des services, dont ceux de la gestion, des affaires, de la finance et de l’administration, et des sciences sociales, de l’administration publique, de l’éducation et de la religion. Évidemment, ces secteurs continuent à offrir des conditions de travail qui sont meilleures que celle qu’il est possible de rencontrer dans certaines entreprises du secteur de la vente et des services, il n’en reste pas moins que le travail pauvre y a aussi progressé de manière significative entre 2001 et 2006. Cette tendance laisse entrevoir une diffusion du phénomène à des secteurs faisant théoriquement partie du segment primaire ou « supérieur » du marché du travail.

Un dernier indicateur du caractère global de la problématique du travail pauvre est sa distribution spatiale. Si elle est indéniablement liée à la pauvreté et à la défavorisation sociale (nous reviendrons sur ce point dans un instant), le phénomène a aussi connu une diffusion relative dans l’espace, à mettre en partie en lien avec l’étalement de l’immigration vers des territoires plus périphériques de l’île de Montréal et des proches banlieues de la couronne Nord (Leloup 2015). En un mot, le phénomène du travail pauvre s’est à la fois diffusé et polarisé dans l’espace.