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L’effet redistributif limité du régime fiscal

3. Profil des travailleurs pauvres dans la région de Montréal

3.3 Revenu des travailleurs pauvres

3.3.3 L’effet redistributif limité du régime fiscal

L’accès aux données de revenu avant et après impôts en 2005 permet de comparer les revenus des travailleurs pauvres et non pauvres en lien avec les dispositions fiscales. Un des éléments souvent mis de l’avant est que les politiques fiscales du Québec assureraient une plus grande redistribution des revenus et que le modèle dont elles s’inspirent serait plus proche des régimes sociaux- démocrates, comme il est possible d’en retrouver en Europe continentale et en Scandinavie. Les données sur lesquelles se base cette étude ne permettent toutefois pas de mettre en évidence un effet de réduction des écarts de revenu entre pauvres et non-pauvres après impôts. Les chiffres présentés dans le tableau 24 reprennent la différence entre le revenu moyen des personnes considérées comme pauvres et non-pauvres, et ce, pour les travailleurs et non-travailleurs, ainsi que le rapport entre le revenu moyen des personnes pauvres et des autres. Si une redistribution est à l’œuvre, cette différence devrait se réduire et le rapport augmenté. Or, les résultats montrent que c’est l’inverse qui se produit en 2005 (il est impossible de contrôler pour 2000, puisque nous ne disposons pas des revenus après impôts).

Un autre point intéressant à souligner et qui n’a pas encore été abordé jusqu’ici, est le fait que les écarts de revenu se sont accrus entre les pauvres et les non-pauvres, qu’ils soient travailleurs ou non, même si les variations sont minimes entre 2000 et 2005 (les rapports entre les revenus des travailleurs pauvres et non pauvres sont presque inchangés avant impôts, ce sont ces derniers qui introduisent une distorsion accrue entre les pauvres et les non-pauvres en emploi).

Tableau 24.

Différence et écart de revenu entre pauvre et non-pauvre Revenu

Différence de revenu

(= Non-pauvre - Pauvre) (= Pauvre / Non-pauvre) Rapport de revenu Travailleur Non-travailleur Travailleur Non-travailleur

2000 ($ courant)

Revenu moyen individuel (avant impôts) 29554 8157 32,4 42,1 Revenu médian individuel (avant impôts) 21985 1226 38,2 81,7 Revenu moyen du ménage (avant impôts) 59629 51938 24,3 18,2 Revenu médian du ménage (avant impôts) 47745 41183 28,3 19,3

2005 ($ courant)

Revenu moyen individuel (avant impôts) 35173 10279 31,6 41,3 Revenu médian individuel (avant impôts) 24928 2259 38,6 76,3 Revenu moyen du ménage (avant impôts) 70070 60902 24,2 19,5 Revenu médian du ménage (avant impôts) 54567 46243 28,6 22,1

2005 ($ courant)

Revenu moyen individuel (après impôts) 35358 10056 30,2 41,0 Revenu médian individuel (après impôts) 25648 2459 35,9 74,2 Revenu moyen du ménage (après impôts) 70785 59407 22,2 18,4 Revenu médian du ménage (après impôts) 56541 45078 24,8 20,6 Note : la différence de revenu équivaut à la soustraction entre le revenu des non-pauvres et des pauvres, le rapport de revenu à la division entre le revenu des pauvres et des non-pauvres.

3.4 Synthèse

Cette section a permis de mettre en évidence une hausse relativement substantielle du travail pauvre. Il a en effet cru de 21 % entre 2001 et 2006. Cette augmentation s’est produite alors que le contexte économique était plutôt favorable, comme il a été mentionné dans la section 2. L’emploi a augmenté de 5,1 % durant la même période. Ces observations jettent une ombre sur la capacité de l’économie montréalaise à fournir des emplois de qualité et bien rémunérés, même en période de croissance.

Une explication possible de ce phénomène est la poursuite de la transition de l’économie montréalaise. La structure d’emploi a continué à y revêtir un profil plus tertiaire, avec une diminution de l’emploi de 25 % parmi les professions de la transformation, fabrication et services d’utilité publique. Ces emplois ont été remplacés, principalement, par des postes relevant des professions des secteurs de la santé, des sciences naturelles et appliquées (et professions apparentées), ainsi que des professions des sciences sociales, de l’éducation, de l’administration publique et de la religion. Les professions décrites comme les métiers, le transport et la machinerie, ainsi que le secteur primaire, sont les autres domaines d’activités qui ont vu leur volume d’emplois s’accroître, mais dans une moindre mesure que les précédents. Ces transformations confirment bien

le glissement de Montréal d’une ville industrielle centrée sur la manufacture et la fabrication vers une économie urbaine plus centrée sur les activités de service aux particuliers (santé et éducation), aux entreprises (gestion, administration, ingénierie) et à la production (transport, manutention, ingénierie).

Dans cette restructuration, un autre point à souligner est l’accroissement de moitié (50 %) des réponses manquantes à la question des professions. Comme il est difficile d’attribuer une hausse aussi importante à la seule déficience de l’appareil statistique, il est fort probable qu’elle reflète une difficulté accrue de la part des répondants à fournir des informations sur ce point, parce qu’ils occupent sans doute plusieurs emplois et pratiquent plusieurs métiers dans le cadre de leurs activités professionnelles. La même observation peut être formulée pour le temps de travail. Si l’emploi à temps plein et temps partiel ont crû à peu près au même rythme, la catégorie dénotant une information manquante a elle aussi cru de moitié entre 2001 et 2006. Ces évolutions mettent en évidence un marché du travail qui apparaît moins stable et où les situations transitoires ou flexibles se sont sans doute accrues.

Les résultats montrent aussi que différentes catégories continuent à occuper des positions inégales sur le marché du travail.

Les taux d’emploi apparaissent encore différenciés entre différentes catégories. Les femmes, les immigrants, les personnes appartenant à une minorité visible et les travailleurs plus âgés continuent à être défavorisés en la matière. Ils éprouvent toutes et tous plus de difficultés à accéder à un emploi que la catégorie dominante, celle des hommes, non immigrants, n’appartenant pas à une minorité visible et âgée entre 30 et 50 ans. Ces inégalités se répètent également en ce qui concerne le travail pauvre. Les mêmes catégories sont plus à risque que les autres de se retrouver dans une situation de travail pauvre. Il s’agit toutefois de nuancer cette conclusion.

En ce qui a trait au sexe, les différences entre femmes et hommes se sont réduites au fil du temps. Les deux sexes partagent environ le même risque d’être en situation de travail pauvre en 2006, principalement en raison de la dégradation des conditions d’emploi des hommes.

En revanche, une catégorie qui a vu sa situation se dégrader substantiellement est celle des immigrants. Ils fournissent en effet les trois quarts de l’augmentation du travail pauvre entre 2001 et 2006. Ils sont aussi plus significativement exposés au risque de travail pauvre. L’incidence du travail pauvre atteint les 16,5 % pour les immigrants en 2006 (le double de l’incidence au sein de la population de référence de l’étude) et même les 26,6 % pour les immigrants récents. Ce sont aussi presque ou plus d’un quart des personnes appartenant à l’un ou l’autre des groupes de minorité visible qui sont dans cette situation. Les immigrants concernés sont pourtant souvent diplômés et ils contribuent d’ailleurs largement à l’augmentation des travailleurs pauvres universitaires (une catégorie qui a vu ses effectifs de travailleurs pauvres s’accroître de 74,6 % entre les deux recensements).

Une autre catégorie particulièrement touchée par le travail pauvre est les personnes vivant une situation de monoparentalité et âgées de moins de 30 ans. Elles présentent le taux de travail pauvre

le plus élevé (37,6 %) de toutes les catégories étudiées. Cette caractéristique se combine aussi avec celle du sexe. Ce sont les femmes monoparentales qui sont le plus exposées au risque de travail pauvre à Montréal.

Les caractéristiques liées au marché du travail sont également liées au risque d’occuper un emploi mal rémunéré.

Comme il vient d’être mentionné, le niveau d’instruction est une de ces caractéristiques. Le fait de détenir un diplôme constitue une protection contre le risque de sous-emploi (les personnes diplômées ont un taux d’emploi plus élevé) et contre le risque d’être un travailleur pauvre. Ce dernier effet s’est néanmoins amoindri entre 2001 et 2006, une conséquence de l’augmentation du niveau d’instruction moyen observé dans la population et la dévalorisation des diplômes qui l’accompagne. Les immigrants sont particulièrement touchés par ce dernier processus.

Une autre caractéristique qui influence sur le travail pauvre est la profession. Celles liées à des secteurs où les marges bénéficiaires sont plus faibles et dont l’activité est cyclique présentent ainsi des taux de travailleurs pauvres plus élevés. C’est le cas pour le secteur primaire (18,2 % de travailleurs pauvres en 2006), de la vente et des services (15,5 %) – ce secteur représente plus d’un tiers du total de la population des travailleurs pauvres et 40 % de la croissance totale du phénomène entre 2001 et 2006, alors que l’emploi y a seulement cru de 1,2 %, traduisant une dégradation des conditions d’emploi dans ce secteur –, des arts, de la culture, des sports et loisirs (12,2 %) et de la transformation, fabrication et service d’utilité publique (12,0 %).

Encore une fois, il peut exister des variations selon que l’on prend en compte ou non d’autres caractéristiques. Les femmes et les hommes peuvent fournir un contingent plus ou moins important de travailleurs pauvres au sein des différentes professions. Les femmes fournissent par exemple la majorité des travailleurs pauvres du secteur de la santé et absorbent la quasi-totalité de l’augmentation intervenue entre 2001 et 2006. Elles sont aussi plus exposées que les hommes aux pertes d’emploi dans le secteur de la fabrication, de la transformation et des services d’utilité publique. À l’inverse, les hommes constituent l’essentiel de la main-d’œuvre du secteur primaire et 100 % de l’augmentation de l’emploi et du travail pauvre entre 2001 et 2006. Ils occupent également plus souvent des emplois mal rémunérés dans le secteur des arts et du divertissement. Une dernière catégorie de profession mérite que l’on s’y attarde. Il s’agit de celle regroupant les professions des sciences sociales, de l’enseignement, de l’administration publique et de la religion. Le volume d’emploi de ces professions a augmenté de 37,4 % entre les deux recensements et le nombre de travailleurs pauvre a doublé. Comme il s’agit d’un ensemble de professions féminines à 75 %, les femmes y représentent une large proportion des travailleurs pauvres (plus de 75 %) et ont absorbé 9 nouveaux emplois de travailleurs pauvres sur 10 (le même ratio est observé dans le secteur de la santé, un autre secteur largement féminisé).

Les liens entre professions et immigration sont plus simples à résumer. Dans toutes les professions, les immigrants, en particulier les immigrants récents, fournissent un contingent de travailleurs pauvres qui est en moyenne trois fois supérieur à la proportion qu’ils représentent dans l’emploi

total. Autrement dit, quelle que soit la profession, les immigrants apparaissent défavorisés sur le marché du travail en ce qui concerne le risque de se retrouver en situation de travail pauvre. Le dernier point abordé dans ce profil est le revenu des travailleurs pauvres. Il correspond grosso

modo à deux tiers du revenu des travailleurs non pauvres. Ce qui est plus marquant est que cet écart

a eu tendance à augmenter entre 2001 et 2006, laissant encore un peu plus loin à la remorque de la croissance économique les travailleurs ne parvenant pas à assurer une position sur le marché du travail leur permettant de sortir leur ménage de la pauvreté. Les politiques fiscales ne semblent pas les aider par ailleurs. Une comparaison de l’écart de revenu entre les travailleurs pauvres et non pauvres pris avant et après impôts indique que celui-ci augmente. Ce résultat jette un doute sur la capacité redistributrice du système fiscal et de transferts lorsqu’il s’agit d’améliorer la situation des travailleurs dont les revenus les placent au bas de l’échelle salariale.