• Aucun résultat trouvé

Évolution du travail pauvre selon des caractéristiques liées au marché du travail

3. Profil des travailleurs pauvres dans la région de Montréal

3.1 Évolution du travail pauvre entre 2001 et 2006 et incidence du phénomène

3.1.3 Évolution du travail pauvre selon des caractéristiques liées au marché du travail

Comme il vient d’être fait pour des caractéristiques sociodémographiques, les tableaux 8 et 9 suivent l’évolution du travail pauvre entre 2001 et 2006 selon différentes catégories liées au marché du travail.

Trois catégories sont retenues : le niveau d’instruction, la profession et le temps de travail. Il est attendu que ces trois catégories aient un effet sur le risque d’occuper un emploi mal rémunéré. Le niveau d’éducation devrait y être négativement relié – au plus un individu est diplômé, au moins le risque serait élevé.

Le risque de travail pauvre devrait varier d’une profession à l’autre, en fonction de son niveau de qualification et des secteurs d’activités. Les secteurs à forte qualification, comme ceux des services supérieurs ou aux entreprises, devraient offrir en théorie des emplois mieux rémunérés. Il devrait en aller de même des secteurs où les organisations de travailleurs ont conservé un certain pouvoir

de négociation, comme les secteurs de la santé ou de l’éducation. À l’inverse, les secteurs à faible valeur ajoutée, comme les services à la personne ou le commerce de détail, peuvent présenter des structures de rémunération plus faibles. Il en va de même pour le secteur primaire (exploitation des ressources naturelles) où les coûts fixes de production sont élevés et les marges bénéficiaires plus réduites et dépendantes des cycles de l’activité économique. Une partie des industries, celles qualifiées de « légères » (l’habillement ou l’alimentation, par exemple), devraient être dans la même situation, entre autres, en raison de la concurrence subie à l’échelle mondiale.

Le fait d’occuper un emploi atypique, par exemple à temps partiel, devrait enfin accroître le risque de travail pauvre. Cette relation sera toutefois à confirmer puisque des travaux antérieurs ont montré que, contre toute attente, les travailleurs pauvres ont un temps de travail comparable aux travailleurs non pauvres. Les écarts entre les deux groupes sont dès lors imputables au salaire horaire12.

Les tableaux 8 et 9 sont construits selon la même structure que ceux couvrant les catégories sociodémographiques.

À la différence de ces derniers, le tableau 8 ne présente pas le taux d’emploi pour la profession et le temps de travail. Il apparaît en effet difficile, même si les répondants qui ne travaillent pas fournissent une profession, d’établir avec certitude ce taux pour chacune d’entre elles. Les transitions sur le marché du travail revêtent de nombreuses incertitudes, qui se traduisent par des réorientations de carrières et des changements de profession et de secteur d’activités plus fréquents. Il est dès lors plus difficile d’attribuer un parcours en emploi à l’exercice d’une seule profession, sauf peut-être pour celles dont le titre et la dénomination sont protégés ou régulés (les infirmières, les médecins, les architectes, les enseignants, par exemple).

Le même raisonnement s’applique au temps de travail dans un contexte où le marché du travail est plus flexible et les emplois atypiques nombreux.

L’interprétation des tableaux se fera selon les mêmes principes que ceux de la section précédente. Une attention particulière sera apportée aux taux de croissance de l’emploi et du travail pauvre. En effet, si nous avons vu que l’emploi et le travail pauvre sont en croissance, il est probable que ces variations ne soient pas distribuées de manière uniforme d’une profession à l’autre – entre autres, en raison de l’évolution différenciée des secteurs d’activités au sein de l’économie montréalaise. La comparaison des deux taux de croissance permet alors de distinguer les professions où l’augmentation du travail pauvre s’est faite en parallèle à une hausse de l’emploi de celles où elle résulte plutôt d’une dégradation des conditions d’emploi sans accroissement du volume de la main- d’œuvre.

12 Les travaux qui arrivent à cette conclusion sont toutefois ceux menés à partir d’une définition restrictive du travail. Il est probable que l’écart réduit qu’ils mettent en évidence entre travailleurs pauvres et non pauvres est un effet de la définition retenue (voir Fleury et Fortin 2006).

Tableau 8.

Travailleurs en emploi selon différentes catégories liées au marché du travail Effectifs, taux d’emploi et taux de croissance, 2001 et 2006

Catégories Travailleurs (en emploi) Tx. d'emploi Tx. de croissance (%) 2001 2006 2001 2006

Total 1 252 415 1 315 765 75,3 77,7 5,1

Niveau d'éducation

Aucun diplôme secondaire 224 755 149 955 57,1 59,4 -33,3 Diplôme secondaire 457 135 487 430 75,7 77,1 6,6 Supérieur non-universitaire 225 095 246 910 84,7 83,9 9,7 Universitaire 345 435 431 470 86,2 84,0 24,9 Profession Information manquante 11 755 18 170 - - 54,6 Gestion 157 060 155 630 - - -0,9

Affaires, finance et administration 266 100 279 600 - - 5,1 Sciences naturelles et appliquées et

prof. apparentées 95 715 105 695 - - 10,4

Secteur de la santé 73 665 81 335 - - 10,4

Sciences sociales, enseignement,

administration publique et religion 91 550 125 760 - - 37,4 Art, culture, sports et loisirs 47 165 49 960 - - 5,9

Vente et services 238 180 241 125 - - 1,2

Métiers, transport et machinerie 160 335 172 750 - - 7,7

Secteur primaire 7225 8195 - - 13,4

Transformation, fabrication et services

d'utilité publique 103 680 77 565 - - -25,2

Bénéficiaire d'une allocation 154 685 179 255 - - 15,9 Temps de travail

Information manquante 18 000 26 970 - 49,8

Temps plein 1 100 810 1 149 970 - - 4,5

Temps partiel 133 610 138 825 - - 3,9

Note : le taux d’emploi correspond au rapport entre la population des travailleurs (personnes occupant un emploi) et la population âgée de 18 à 64 ans (excluant les étudiants et les personnes vivant sur une base non autonome); le taux de croissance mesure la variation entre 2001 et 2006 du nombre de personnes en emploi au sein de chaque catégorie.

Tableau 9.

Travailleurs pauvres selon différentes catégories liées au marché du travail Effectifs, taux de croissance et part relative de la croissance totale, 2001 et 2006

Catégories Travailleurs pauvres croissance Tx de (%) % de la croissance totale % de la crois. /% en 2006 2001 2006 Total 90 555 109 540 21,0 100,0 1,0 Niveau d'éducation

Aucun diplôme secondaire 28 500 22 245 -21,9 - -

Diplôme secondaire 35 290 46 625 32,1 44,9 1,2 Supérieur non-universitaire 12 555 15 860 26,3 13,1 0,7 Universitaire 14 210 24 810 74,6 42,0 1,3 Profession Information manquante 2450 3140 28,2 3,2 2,3 Gestion 7030 7640 8,7 2,9 0,2

Affaires, finance et administration 12 340 15 020 21,7 12,6 0,6 Sciences naturelles et appliquées

et prof. apparentées 3135 3945 25,8 3,8 0,5

Secteur de la santé 3315 3920 18,3 2,8 0,5

Sciences sociales, enseignement,

administration publique et religion 3010 6110 103,0 14,6 1,5 Art, culture, sports et loisirs 4345 6080 39,9 8,2 2,1

Vente et services 29 015 37 340 28,7 39,1 2,1

Métiers, transport et machinerie 13 295 15 545 16,9 10,6 0,8

Secteur primaire 1030 1495 45,1 2,2 3,5

Transformation, fabrication et

services d'utilité publique 11 600 9315 -19,7 - - Bénéficiaire d'une allocation 15 405 20 035 30,1 21,8 1,6 Temps de travail

Information manquante 3690 5140 39,3 7,6 3,7

Temps plein 64 730 76 735 18,5 63,2 0,7

Temps partiel 22 135 27 660 25,0 29,1 2,8

Note : le taux de croissance mesure la variation entre 2001 et 2006 du nombre de travailleurs pauvres au sein de chaque catégorie; le pourcentage de la croissance totale correspond au rapport entre la croissance d’une catégorie entre 2001 et 2006 et la croissance totale du nombre de travailleurs pauvres (soit 18995).

Les observations suivantes peuvent être faites à partir des tableaux précédents :

 le taux d’emploi est positivement relié au niveau d’éducation, avec les niveaux plus élevés ayant les taux d’emploi les plus élevés;

 le volume d’emploi des universitaires a significativement augmenté entre les deux recensements; à l’autre extrémité, celui des personnes ne détenant pas un diplôme secondaire s’est réduit; ces variations sont toutefois dues à des changements observés dans la population de référence où le niveau d’éducation est en hausse (ce qui explique le maintien des écarts entre les taux d’emploi selon le niveau d’instruction);

 la variation du volume de l’emploi observée entre les deux recensements confirme le déclin relatif des secteurs industriels au sein de l’économie de Montréal et le passage à une structure d’emploi dominé par les secteurs des services;

 cette transformation de l’économie montréalaise s’est traduite par une réduction d’un quart du volume de l’emploi des professions de la transformation, de la fabrication et des services d’utilité publique; à l’opposé, les professions des sciences sociales, de l’enseignement, de l’administration publique, de la religion, des sciences naturelles et appliquées, et du secteur de la santé ont enregistré une hausse de l’emploi plus élevée que la moyenne; un autre secteur dans cette situation est le secteur primaire;

 tant en ce qui concerne la profession que le temps de travail, la catégorie dénotant une information manquante a fortement augmenté; une telle hausse est difficilement attribuable à la seule imprécision du recensement13;

 le volume d’emploi du secteur de la vente et des services a faiblement crû entre 2001 et 2006 (taux de croissance de 1,2 %); le travail pauvre y a par contre cru de 28 %, ce qui représente près de quatre travailleurs pauvres sur dix parmi ceux qui se sont ajoutés entre les deux recensements;

 les autres professions au sein desquelles le travail pauvre s’est accru significativement sont celles des sciences sociales, de l’enseignement, de l’administration publique et de la religion (le nombre de travailleurs pauvres a doublé parmi ces professions), du secteur primaire (taux de croissance de 45 %) et des arts, culture, sports et loisirs (taux de croissance de 40 %);

 le nombre de travailleurs pauvres a diminué parmi les professions des secteurs de la transformation, de la fabrication et des services d’utilité publique (taux de croissance

13 La collecte d’information y est soumise à un haut standard de qualité. Elle reflète sans doute plutôt les difficultés qu’éprouve une partie des répondants à fournir des informations à travers des questions ouvertes, alors qu’ils occupent des emplois ou exercent des activités sur une base autonome qui combinent plusieurs fonctions ou descriptions de poste et qui s’effectuent selon un temps de travail sujet à de nombreuses fluctuations au fil de l’année (travail sur appel, horaire variable, contrats temporaires, etc.).

négatif de 20 %); cette réduction est toutefois proportionnellement moins importante que celle enregistrée pour le volume total de l’emploi parmi ces travailleurs;

 les catégories dénotant une information manquante contribuent plus de trois fois plus, dans le cas de la profession, et plus de deux fois plus, dans le cas du temps de travail, à l’augmentation totale du travail pauvre lorsqu’elle est reportée sur leur poids démographique au sein de la population en emploi de 2006; il en va de même pour le secteur primaire (plus de trois fois plus), les secteurs de la vente et des services (deux fois plus) et des arts, de la culture, des sports et des loisirs (deux fois plus); enfin, la catégorie du travail à temps partiel se retrouve dans la même position (avec un rapport qui dénote une contribution près de trois fois supérieure à son poids démographique);

 les personnes détenant un titre scolaire de niveau secondaire et les universitaires ont vu leur nombre de travailleurs pauvres s’accroître significativement plus que la moyenne régionale; pour les premières, le taux de croissance du travail pauvre est supérieur à 30 % et pour les secondes, il atteint presque les 75 %.

Les observations précédentes mettent en évidence que la restructuration de l’économie montréalaise est encore en cours entre 2001 et 2006. Elle a même pu connaître une forme d’accélération durant cette période avec une destruction d’une partie de l’emploi manufacturier en raison de l’ouverture des marchés et de l’économie canadienne (par l’entremise de différents accords de libre-échange économique à l’échelle continentale ou mondiale, ainsi que par l’abolition progressive des tarifs dans certains secteurs, dont celui du textile et de l’habillement à partir de 2002 et qui aboutit à l’abolition complète des tarifs à partir de janvier 2005) (CMM 2004). Cette restructuration s’est traduite par une tertiarisation accrue de l’économie, entre autres, par l’entremise des secteurs de la santé, des services publics, de l’enseignement, de la finance et de l’administration.

La tertiarisation de l’économie a sans doute des effets variables sur le phénomène du travail pauvre, puisque des professions liées à des secteurs d’activités des services supposant des compétences moyennes ou élevées ont vu leur nombre de travailleurs pauvres augmenté. Le domaine des sciences sociales, de l’enseignement, de l’administration publique et de la religion, constitue un bon exemple de ce phénomène. Autrement dit, même si l’économie montréalaise se transforme en une « économie des savoirs et de la connaissance », elle offre proportionnellement moins d’emplois bien rémunérés. Un indicateur de cette possible fragilisation de sa structure d’emploi se lit dans la forte hausse du travail pauvre parmi les personnes détenant un diplôme universitaire.