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Un traquenard pour empêcher l’adultère

2 Genre et sorcellerie

2.2 Des différences genrées entre ensorcelée et ensorcelé

2.2.1 Les femmes, affectées dans leur rôle de mères et d’épouses

2.2.1.6 Un traquenard pour empêcher l’adultère

Les hommes peuvent avoir un grigri, un traquenard (aza), pour empêcher leur femme d’avoir des relations adultères, fait avec une hache formée d’un manche en bois fendu dans lequel est insérée la partie tranchante en fer.

On prend la hache et un morceau du pagne que les femmes utilisent quand elles ont leurs règles. On enlève le fer de la hache et on met le bout de pagne dans la fente du bois de la hache et on remet le fer, un peu enfoncé mais pas complètement. On met ça sous le lit du couple et quand la femme va commettre l’adultère le fer va rentrer dans la fente. Alors l’homme ne peut plus sortir son pénis du vagin de la femme jusqu’à ce qu’on vienne appeler le mari qui a fait le grigri et il viendra avec de l’eau afla (eau préparée avec des herbes) on va arroser avec ça avant que le pénis ne sorte du vagin.60

La hache fonctionne comme une métaphore de la pénétration, le fer représentant le pénis et la fente du manche, le vagin. Le pénis est bloqué dans le vagin, comme le fer dans le manche.

Cette magie semble être principalement utilisée par les hommes sur les femmes, du moins c’est ce qu’affirmait François.

Qu’une femme rentre dans ce domaine pour maintenir la fidélité de son mari, c’est rare. Puisque chez nous en Afrique tout homme est adultère. Nous sommes des hommes adultères parce qu’on n'est jamais satisfait avec une seule femme. Aucun homme ne va te dire qu’il n’a baisé que sa femme, au grand jamais en Afrique.

Pourtant Éssé, la grande sœur de Yaovi, me disait : « Les femmes aussi font ça. Si son mari va voir d’autres femmes elle peut aller chez quelqu’un qui lui prépare ça. Mais si l’homme est plus fort qu’elle61, elle va devenir folle. C’est pourquoi les gens ont refusé de faire ça. »

Dans la confection même des grigris de « magie amoureuse » se retrouve l’idée que c’est seulement les hommes qui envoutent les femmes, et jamais l’inverse. Pour rendre amoureux magiquement, l’utilisation du sperme confère aux hommes l’exclusivité de la capacité à fabriquer ce grigri. La confection du traquenard pour empêcher les femmes d’être infidèles suppose que l’homme s’accapare un objet strictement féminin, un pagne utilisé pendant la période des menstrues. L’homme s’immisce dans l’intimité des femmes, jusque dans la gestion de leurs menstruations, afin de rentrer dans sa vie privée, dans ses secrets pour déceler l’adultère potentiel.

Pourtant les hommes gardent généralement une distance avec le sang menstruel. Celui-ci est réputé pouvoir détruire les puissances mystiques des hommes. François m’explique que lorsque sa femme est en période de règles elle ne peut ni se coucher avec lui ni lui préparer à manger. Valère me raconte qu’avant les femmes devaient même se laver dans une douche à part pendant leurs menstruations. Pour la même raison, la place publique (ablame), sacrée, est interdite aux femmes. « Lors de certaines cérémonies on dit que la femme qui est en période n’a pas le droit de s’approcher ni contribuer, ni de toucher à certaines eaux qu’on a préparées

60 François, le 27 janvier 2017.

chimiquement », me dit François. Le sang menstruel est également utilisé pour détruire les puissances des sorciers.

Lorsque les soupçons de beaucoup convergent pour accuser quelqu’un de sorcellerie, la chefferie va demander à l’accusé, accompagné de témoins, d’aller consulter un bɔkɔ afin de révéler si les accusations sont fondées ou non. Les bɔkɔ ont différentes techniques pour prouver l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. Par exemple, le bɔkɔ peut placer un brin de balai autour du cou de l’accusé. Si ce dernier ment, le brin de balai va se resserrer et commencer à l’étrangler, provoquant les aveux. Quand l’accusé est déclaré coupable, de retour au village, les tambours annoncent le verdict et une cérémonie a lieu afin de détruire sa puissance sorcellaire.

Le sorcier est amené à la place publique où il sera maltraité : ligoté en plein soleil, insulté, frappé, rasé avec une bouteille cassée. De la matière fécale est récoltée dans les WC publics, ainsi que de l’urine fermentée et du sang menstruel. Le tout est mélangé et mis dans le gongon apega (le fer ga du village ape) afin d’être donné à avaler au sorcier. Cette cérémonie m’a seulement été racontée, par plusieurs personnes et a eu lieu au village il y a quatre ans pour la dernière fois. L’année dernière on ne m’avait pas parlé de l’implication du sang menstruel dans cette cérémonie.

2.2.1.7 « La sorcière elle a gâté une fille, qui est devenue comme une pute »

La sorcellerie n’est pas sans rapport avec la sexualité. Une femme à la sexualité « hors normes » pourrait être ensorcelée. L’année dernière François me parlait d’une sorcière qui a « gâté une fille, qui est devenue comme une pute. Quand un est sur le sexe, elle dit aux deux autres garçons d’être sur ses seins ». Cette année il me parlait encore de cette jeune fille, ensorcelée par une sorcière, Adjovi.

Elle est devenue une vache, chez nous celui qui vagabonde beaucoup s’appelle une vache achaoto donc tout le monde peut la baiser tout de suite, c’est Adjovi qui l’a transformée comme ça spirituellement.

Beauty, une fille de la classe de quatrième avec qui je passais beaucoup de temps, me parlait aussi de cette jeune fille, m’apprenant qu’elle a 16 ans mais est encore au CM2. Devant mon regard étonné elle m’explique : « c’est comme un sorcier la prise » et me raconte l’histoire. Sa tante paternelle a voulu la tuer. Elle a un grigri, comme une marmite qu’elle garde sous le lit. Elle a demandé à la jeune fille d’aller puiser de l’eau pour la verser dans la marmite. Mais quand cette dernière a vu la marmite, elle a compris que si elle versait l’eau, ce serait son sang qu’elle verserait. Elle comprend qu’elle va mourir et elle s’est enfuie. Mais l’esprit sorcier adze l’a déjà attrapée dès qu’elle a regardé dans la marmite. Depuis, elle ne fait qu’échouer à l’école.

Coline : Pourquoi la sorcière lui a fait ça ?

Beauty : Parce qu’elle voit qu’elle peut devenir quelqu’un, réussir quelque chose. Donc elle l’a empêchée. Mais elle est forte c’est pourquoi elle n’est pas morte.

Pour Beauty également, cette fille a été attaquée par une sorcière, mais elle ne parle pas de sa sexualité, seulement de ses échecs scolaires. Beauty souligne que cette fille a été ensorcelée parce

qu’elle peut « devenir quelqu’un », discours que j’entendais plutôt pour parler des hommes ensorcelés. Entre le discours d’un homme (François) et celui d’une jeune fille (Beauty) sur une fille ensorcelée il y a des différences.