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1 Pentecôtisme et sorcellerie

1.2 Comment le pentecôtisme lutte contre la sorcellerie : le Saint Esprit « brise les liens » et

1.2.2 La conversion : « recevoir Jésus », le baptême et la révélation de dons

1.2.2.2 Le baptême de l’Esprit

Arrivée à l’église, je décidais d’essayer de prier, car cela aurait été mal vu que je ne le fasse pas. Maman Sarah nous demande de prier pour remercier Dieu de nous avoir délivrés de nos esprits maléfiques. Philomène, la sœur d’Élias, traduit en français. Kossi se lève et lit un passage de la Bible :

Mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre.39

Plein d’énergie, il répète chaque phrase avec force. Il enseigne alors les diverses manières par lesquelles le Saint Esprit manifeste sa présence dans le corps des croyants. Certains se mettent à parler en langue, d’autres pleurent ou tremblent de tout leur corps quand on dit « Amen », d’autres veulent prier dix minutes mais prient pendant une heure sans s’en rendre compte. D’autres encore ont l’impression qu’une pluie tombe sur eux, alors que c’est la grâce du Saint Esprit. Dynamique, il fait rire les fidèles. Il continue : « après le baptême il y a un tuyau

38 Recevoir Jésus signifie déclarer sa foi en Jésus, qu’on le reconnaît comme son sauveur. 39 Actes 1 verset 8.

entre toi et Dieu, ce que tu vas lui demander ça va arriver directement dans son oreille, et lui aussi il va te répondre ». Ainsi Kossi s’adresse à tout le monde, en donnant l’impression de parler à chacun personnellement. Certains entendent la voix de Dieu dans leur tête, il leur parle par des idées. D’autres l’entendent par leurs oreilles. Élias m’avait déjà parlé de cela dans la journée : « Dieu peut ouvrir ton oreille spirituelle et tu entends sa voix, comme si quelqu’un te parlait. Mais il faut faire attention parce que Satan aussi peut te parler à l’oreille. » D’autres vont ressentir la voix de Dieu dans leur cœur. Ou dans leur corps : quand ils s’approchent de quelqu’un qui a mal quelque part, ils vont ressentir la même douleur, jusqu’à ce qu’ils commencent à prier. Alors ils seront soulagés tous les deux. Kossi insiste donc sur la personnalisation de la relation entre Dieu et le croyant baptisé. En cela le discours pentecôtiste peut être séduisant.

« Ce n’est pas parce qu’on a été baptisé et qu’on a reçu Jésus que l’on peut marcher à l’aise, prévient Kossi, si on continue à pécher Satan revient. Quand Jésus a été baptisé le Saint Esprit est descendu sur son épaule, sous la forme de la colombe. Et il a reçu la victoire. À ce moment, Satan s’est reculé mais il n’est pas parti. Il s’est reculé pour observer Jésus et voir comment il peut le tenter. Il l’a tenté plusieurs fois mais Jésus l’a repoussé. Il faut regarder les situations dans ta vie. Si tu continues à faire l’adultère, à fumer, Satan revient dans ta vie. »

Kossi nous demande de marcher en priant, les paumes ouvertes vers le ciel. Philomène me suit afin que je répète ce qu’elle dit : « Esprit Saint descend sur moi, descend sur moi, descend sur moi… » Kossi et la plupart des fidèles prient avec ferveur, criant presque. De retour à nos places, Kossi répète le verset récité au début. Maman Sarah me regarde et me fait signe de bien écouter. Kossi déclare : « Dieu m’a révélé que quelqu’un ici a un don mais il ne le sait pas encore. Alors nous allons prier pour demander au Seigneur de nous révéler nos dons. » La prière se fait à peu près comme suit : « Seigneur, si je suis prédicateur, donne moi le don de prédication. Si je suis docteur, donne moi le don de guérison. Si je suis prophète, donne moi le don de prophétie. Si je suis évangélisateur, donne moi le don d’évangélisation ». Maman Sarah vient à côté de moi et me dit de dire « Papa révèle moi mes dons. » J’entends alors une femme crier, une autre sangloter, j’entrouvre alors les yeux et j’aperçois une femme à terre. Kossi continue de prier avec force et frappe dans ses mains. Certains fidèles se mettent à parler en langue, des femmes crient. Je sens alors que Maman Sarah et Kossi imposent leurs mains sur moi, sur ma nuque et mon front. Ils prient et je me sens reculer sans le vouloir. Je marche de plus en plus vite à reculons, les yeux toujours fermés, toujours suivie des pasteurs qui prient encore. Je voudrais m’arrêter mais je ne contrôle plus mes mouvements. J’éclate à nouveau en sanglot sans le vouloir et finis par m’immobiliser. Les pasteurs prient encore quelques instants et me relâchent. Quand j’ouvre les yeux je découvre Élias qui me dit : « N’aie pas peur, c’est le Saint Esprit qui est rentré en toi. »

Je retourne à ma place, les prières continuent, toutes aussi intenses. Des fidèles crient, pleurent, ou tombent. Je sens encore les mains des pasteurs se poser sur moi. À la fin de la prière, ceux qui étaient tombés s’avancent vers Kossi. Élias me fait signe d’y aller. Kossi s’adresse alors à moi en éwé et un autre pasteur le traduit : « Dieu m’a révélé que tu as le don de prédication. C’est à dire le don de répandre la parole de Dieu, tu dois évangéliser. Tu dois faire un pas vers lui

et commencer le travail. Si tu es prête tu peux commencer. Tu as bien compris ? — Euh oui mais je ne sais pas comment je vais faire…

— C’est Dieu qui va te dire comment faire. Il suffit de faire un pas vers lui et d’accepter Dieu dans ta vie.

— Mais je ne suis pas prête, lançai-je comme seule excuse, n’osant pas dire que je ne pouvais pas répandre la parole de Dieu puisque je n’y crois pas. « On n'est jamais prêts à travailler pour Dieu, mais le Saint Esprit va t’aider », ajoute Élias. Maman Sarah me fait signe de la rejoindre et nous sortons de l’église. « Quand tu es arrivée dans l’eau, moi même j’ai remercié Dieu. Tu es restée longtemps dans l’eau et Dieu a déposé sur toi ce don. Tu peux guérir les gens. Si Dieu te dit de le faire tu peux poser ta main sur quelqu’un, prier sur lui et il sera guéri. Dieu veut que tu travailles pour lui. Tu vas guérir toute ta famille. Tu vas sauver le monde. Si Dieu te dit de dire quelque chose à quelqu’un, il faut le dire. Même s’il te dit de me dire quelque chose il faut me le dire, ce n’est pas parce que je suis pasteur qu’il ne faut pas me le dire. Même si c’est à des autorités il faut le dire « Dieu m’a dit ça » ».

À l’intérieur de l’église, Kossi révèle leurs dons aux autres fidèles qui s’étaient approchés « parce que l’on nous avait dit que le baptême allait révéler de nouveaux dons en nous ou renforcer nos dons » m’explique Elsa. Dehors la nuit est tombée et je réalise que Valère a essayé de me joindre pour que nous retournions au village. Je pars rapidement et le retrouve, très inquiet. J’analyserai plus loin les réactions provoquées par mon baptême et ce qu’elles révèlent. Ici je voudrais seulement faire ressortir quelques caractéristiques du baptême tel qu’il est pratiqué par les pentecôtistes.

Le baptême s’inscrit selon moi dans la même idée d’individualisation que le « brisement de liens », l’accent est mis sur le choix personnel. Il est vu comme une deuxième naissance, ainsi le passé de l’individu est effacé. Par le baptême, l’individu est symboliquement éloigné de sa famille.

Célestin : Si tu veux refaire ta naissance tu peux changer ton nom. Dieu a ouvert les yeux de ses enfants, pour que le chrétien puisse se sortir de la malédiction. Une femme a souffert pendant son accouchement et elle a appelé son enfant souffrance, et il ne prospère jamais. Il a demandé à Dieu de changer son nom. Il lui a promis qu’il va l’adorer, Dieu a changé son nom et depuis il est super.40

En changeant de nom l’individu s’extrait de sa famille, de sa relation avec sa mère qui l’a nommé et de la malédiction qui accompagne son nom. L’acte de nommer semble être une manière d’être en relation avec une personne, et plus particulièrement une relation de domination. Souvent Célestin me rappelle que selon la Bible, Dieu a créé Eve à partir d’une côte d’Adam et a demandé à Adam de nommer cette nouvelle créature, ainsi que tous les animaux afin qu’il puisse les dominer.

Selon les pentecôtistes, Dieu a promis à tous ceux qui croient en Jésus qu’ils pourront recevoir le baptême du Saint Esprit, c’est à dire la visite du Saint Esprit en eux. Pour Charles Parham, un des pères fondateurs du pentecôtisme, la glossolalie est la preuve empirique d’un

authentique baptême de l’Esprit (Lado, 2008 : 62). Cependant l’enseignement du pasteur Kossi sur les divers signes de la visite du Saint Esprit montre que le baptême de l’Esprit n’a pas que la glossolalie pour preuve. En insistant sur la diversité des manières avec lesquelles le Saint Esprit peut manifester sa présence dans le corps du croyant, plus de fidèles peuvent se sentir concernés et avoir le sentiment d’être liés à Dieu d’une manière singulière, unique. Par le baptême de l’Esprit une relation intime est créée entre le croyant et le Saint Esprit, et par extension, avec Dieu et Jésus.

Après avoir reçu le baptême de l’Esprit le croyant peut faire des miracles « ce que tu dis ça se réalise car tu as reçu une puissance du ciel », m’explique Célestin. Lorsque je lui ai raconté mon baptême, il a été très étonné et un peu déçu que cela ce soit passé dans une autre église que la sienne. Mais il a également interprété ma perte de contrôle comme étant le baptême de l’Esprit.

Célestin : Tu as commencé avec le baptême, pour toi c’est un peu extra parce que ce n’est pas tout le monde qui est animé comme ça en même temps. Recevoir le baptême d’eau et le baptême du Saint Esprit en même temps c’est un peu rare.

Tant Élias que Célestin me répétaient que recevoir le baptême d’eau et de l’Esprit en même temps était rare afin de renforcer l’idée d’une élection divine particulière. Célestin me racontait le baptême du Christ, comme pour faire un parallèle avec la situation que j’avais vécue.

Le baptême de l’Esprit joue un rôle de personnalisation de la relation entre le croyant et Dieu et peut apparaître comme séduisant, si l’on considère que le désir d’individualisation est grandissant. Mais avant d’être baptisés, les croyants doivent « recevoir Jésus ».

1.2.2.3 « Recevoir Jésus » pour se détacher symboliquement de « ses familles charnelles »

À l’Assemblée mondiale du Christ, lors des messes du dimanche matin et du mercredi soir, les nouveaux fidèles sont invités à venir se présenter près des pasteurs pour recevoir Jésus. Maman Sarah déclame une prière, phrase après phrase que le fidèle répète. Le fidèle remercie le seigneur de l’avoir « choisi parmi les nations, parmi mon pays et parmi ma famille. » Le croyant déclare qu’il est en Jésus au moment où il a été baptisé, où il a été crucifié et lors de sa résurrection. Qu’il est devenu l’enfant de Jésus, qu’il n’est « plus dans ses familles charnelles » et qu’il est une nouvelle créature. Ce rituel religieux vise à détacher symboliquement l’individu de « ses familles charnelles », en le rattachant à une nouvelle filiation symbolique, comme un enfant de Dieu. L’idée d’une élection divine de l’individu se retrouve encore dans la déclaration de foi. Cette déclaration publique vise à intégrer les nouveaux membres de l’église et participe au prosélytisme pentecôtiste.

Les étapes de la conversion : « recevoir Jésus » et le baptême s’inscrivent dans la même idée d’extraire l’individu de sa famille par sa deuxième naissance et par son intégration dans une nouvelle famille « en Christ ». La conversion insiste sur la création d’une relation interpersonnelle entre le croyant et Dieu. Le converti a la promesse que ses rêves seront désormais des révélations divines, essentiellement sur les persécutions de ses « ennemis spirituels », mais également que Dieu va s’adresser à lui directement, sans qu’il ait besoin de

passer par le pasteur. Cette connexion entre Dieu et les convertis est promise à tous, mais encore plus à ceux qui ont des dons, « que Dieu a choisis pour réaliser sa volonté ».