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Les accusations sorcellaires au sein du mouvement pentecôtiste

1 Pentecôtisme et sorcellerie

1.3 Comment les concurrences religieuses s’expriment par des discours sorcellaires

1.3.4 Les accusations sorcellaires au sein du mouvement pentecôtiste

La diversification de l’offre religieuse en Afrique semble s’accélérer depuis les années 90 et s’exprime notamment par un éclatement des dénominations (Lasseur et Mayrargue, 2011 : 8), et ce, particulièrement au sein du mouvement pentecôtiste. Cette fragmentation de l’offre religieuse est visible dans le paysage urbain, parsemé de panneaux indiquant des « Assemblées de Dieu », des « Églises bibliques », des « Églises Évangéliques de la Grâce du Togo » et bien d’autres. Mon amie Elsa demandait à son compagnon Élias pourquoi il y avait tant de petites églises différentes et il répondait : « Ces églises elles ne sont pas dans la voie de Dieu. C’est le programme de Satan de diviser les fidèles pour les éloigner de Dieu. » La rivalité entre les églises pentecôtistes s’exprime dans un langage d’accusation sorcellaire.

1.3.4.1 Les objets ou les mots

Beauty, une jeune fille de 17 ans et fidèle de l’Assemblée de Dieu, m’informe que ce soir Anami, l’oncle de Valère et chef de la coutume Amancraro, va faire une messe au marché et me propose qu’on y aille ensemble. Etse (le voisin qui m’a emmenée à l’église de Célestin, un pentecôtiste donc) me dit de ne pas y aller.

Etse : Là bas tu ne vas rien apprendre parce qu’ils n’adorent pas Dieu. Coline : Ils adorent quoi ?

Etse : C’est le Satan.

Beauty : Non c’est pas vrai ce qu’il te dit, tu n’as qu’à demander à Valère.

Etse : C’est des sataniques, ils ont les bougies rouges, ils alignent ça de nous à là-bas et ils font les cérémonies.

Ils discutent alors entre eux en éwé et j’entends le mot « bougie » lâché en français et comprends les mots : rouge, bleu, noir, blanc et adzeto.

Coline : Les bougies rouges c’est pour Satan ? Etse : Oui.

Coline : C’est pour les sorciers ? Etse : Oui. Ils adorent Mami. Coline : Mami Wata ? Etse : Oui.

Beauty : Il ment ! Il ne veut pas que tu ailles là bas c’est pourquoi il dit ça.

Etse : Là-bas ils ne portent pas de chaussures, et pas de bijoux, tu vas enlever tout ça avant d’aller, ils sont nus, ils portent seulement la robe blanche, sans le caleçon hein !

Beauty : Il ment, c’est seulement les boucles d’oreilles qu’il faut enlever. Coline : C’est quelle église ?

Beauty : C’est les Célestes.

Les Célestes sont accusés d’être sataniques, « d’adorer Mami Wata » à cause de l’utilisation qu’ils font des objets comme les bougies rouges, dénotant une tension entre iconoclastes et iconophiles. Christine Henry, qui a étudié les Célestes au Bénin, relève également qu’ils sont critiqués sur l’utilisation qu’ils font des objets (crucifix, tabernacle, bougies, rameaux, parfum) « qui sont, selon les évangéliques, autant de « portes ouvertes au diable » » (Henry, 2008 : 123). Selon Harvey Cox le mouvement pentecôtiste crée sans cesse des divisions en son sein, à la moindre divergence de doctrine, ce qui participe à son expansion (ibid). L’usage de la croix en particulier est vu comme « idolâtre » et « occulte » par les pasteurs formés dans les collèges bibliques. Comme je l’ai mentionné plus haut, Birgit Meyer établit une distinction entre les églises pentecôtistes pour qui la puissance du Saint Esprit est contenue dans les mots de la Bible et les églises « spirituelles » ou « indépendantes » qui font usage des objets (Fancello, 2003 : 53). Elle ajoute que les églises pentecôtistes accusent les églises indépendantes africaines de servir secrètement le Démon plutôt que Dieu, car elles les considèrent trop proche de la tradition (Meyer, 1998 : 63).

Ainsi la tension entre iconoclastes et iconophiles, ou la concurrence que l’on pourrait relever entre les différentes églises du mouvement pentecôtiste, est exprimée par un discours d’accusations sorcellaires. Le discours sorcellaire mobilisé par Etse est propre aux éwé christianisés avec la référence qui est faite à Mami Wata. Plus qu’une compréhension différente de la Bible c’est une méfiance qui est exprimée envers les églises qui usent des objets. Et cette méfiance ne semble pas se limiter aux églises du mouvement pentecôtiste qui utilisent des objets. 1.3.4.2 Des pasteurs « assis sur des puissances maléfiques »

En effet, même les pasteurs qui délivrent « au nom de Jésus », sans user d’objets, peuvent être accusés de sorcellerie par les pentecôtistes, comme je le réalisais en écoutant Élias.

Il y a des pasteurs qui ne sont pas vraiment avec l’Esprit Saint. C’est pourquoi des gens qui ont des grigris peuvent rentrer dans leurs églises. Parce qu’ils sont ensemble. La nuit ils vont sortir de leur corps en esprit pour aller manger ensemble. Donc un pasteur comme ça ne peut jamais les dénoncer. Parce qu’ils sont ensemble. Avant on regardait tout le temps une émission avec Elsa où un pasteur faisait des délivrances. Il pose sa main sur les gens et il dit : « Que l’esprit de Jésus Christ te délivre » et la personne tombe. Mais j’ai eu une révélation de Dieu, dans un rêve, que ce pasteur et sa femme sont assis sur une puissance maléfique. En fait c’est l’esprit de Satan qui délivre les gens, mais seulement temporairement, les mauvais esprits reviennent après. C’est pour impressionner les gens et les rallier.

Comme le remarque Marleen De Witte, les pasteurs qui utilisent les médias pour attirer de nouveaux fidèles s’exposent d’autant plus au risque d’être suspectés de fraude (De Witte, 2013 : 62). À l’Assemblée mondiale du Christ, les fidèles font parfois des prières de combat contre ces pasteurs guidés par l’esprit de Satan : « parce que Satan peut passer par un pasteur pour détourner les fidèles de la voie de Dieu », m’expliquait Élias. Boniface Meyer, pasteur ivoirien, souligne qu’il y a actuellement des « pasteurs investis de puissances occultes », alors qu’avant ce n’était

que dans les églises catholiques ou protestantes (Meyer, 2011 : 64). Pour l’évangéliste américaine Rebecca Brown, des démons « satanistes » se glissent dans les églises chrétiennes pour les détruire (Fancello, 2008a : 166). Ainsi, les pentecôtistes ne font pas confiance aux églises pentecôtistes dont ils ne font pas partie, même si elles présentent des similitudes avec la leur.

Même ceux qui ont des dons peuvent être soupçonnés d’être guidés par un mauvais esprit, comme me le disait le pasteur Célestin :

Le prophète ou bien la prophétesse peut dire à l’église que Dieu dit ceci, Dieu dit cela, c’est ça la prophétie. Mais si maintenant quelqu’un prophétise et que ça ne vient pas de Dieu, je le sais. Si ça vient directement de Dieu, ou bien si c’est les mauvais esprits, parce qu’ils trompent aussi des fois. Il y a un mauvais esprit qui peut venir te tromper, de dire ceci. Mais il faut avoir un esprit de discernement pour discerner si ça vient de Dieu ou bien des mauvais esprits.

Les pentecôtistes s’accusent donc mutuellement d’être « assis sur des puissances maléfiques » ou « d’être guidés par Satan ». Selon Maud Lasseur et Cédric Mayrargue (2011 : 19), le processus de fragmentation religieuse « produit des tensions souvent bien plus vives à l’intérieur de chaque monde religieux que dans la sphère des rapports inter-religieux ». Comme le fait remarquer Sandra Fancello : « le sorcier c’est toujours l’autre, le proche » (Fancello, 2008a : 166).

Il semblerait que ce soit en réaction aux accusations que les catholiques leur adressent que les pentecôtistes accusent d’autres pasteurs à leur tour, mobilisant ce même discours d’accusation à leur avantage. Les lignes de discriminations révélées et construites par les discours sorcellaires varient selon la position qu’occupe l’interlocuteur. Pour quelqu’un qui est attaché à la religion

vodun, comme François, tant les prêtres catholiques que les pasteurs pentecôtistes vont prendre

des puissances chez les « féticheurs ». Pour les catholiques, comme Valère ou Eugène, ce sont seulement les pasteurs pentecôtistes qui font cela. Et pour les pentecôtistes iconoclastes, ce sont les pentecôtistes iconophiles qui sont « guidés par Satan ».

Les affiliations religieuses de chacun sont très fluides et instables : face à l’absence d’amélioration de ses conditions de vie ou l’apparition de nouvelles difficultés, le converti peut changer d’église (Mayrargue, 2004 : 103). La diabolisation des autres églises pentecôtistes pourrait donc être un moyen de fidéliser les croyants et de lutter contre la très forte volatilité des appartenances religieuses. En tous les cas, les discours d’accusations mutuels, qu’ils soient entre catholiques et pentecôtistes ou au sein du mouvement pentecôtiste dénotent d’une concurrence mais non d’un conflit. « Comme le souligne Georg Simmel55 la concurrence s’exerce par l’entremise d’un tiers – ici, le fidèle – qu’il s’agit de séduire, d’attirer, de conserver en usant de ses propres atouts. Le conflit implique en revanche une confrontation directe entre acteurs religieux car il est une lutte pour s’approprier un objet que l’autre possède » (Lasseur et Mayrargue, 2011 : 21).

Selon Birgit Meyer, nous l’avons vu, c’est la peur du Diable qui a fonctionné comme agent de la christianisation chez les Éwé du Ghana (Meyer, 1992). Et il semblerait que ce soit

encore la peur du Diable qui permet non plus l’acceptation de la religion chrétienne mais son évolution par une diversification de l’offre religieuse. Comme chacun, même s’il est chrétien, et même s’il est également pentecôtiste peut potentiellement être « assis sur des puissances maléfiques » ou « guidé par Satan », la peur du Diable ainsi exprimée entraine la création de nouvelles églises.

Cependant c’est en observant les distinctions genrées qui émanent des discours sorcellaires que nous serons plus à même de comprendre les accusations sorcellaires qui pèsent sur les pasteurs et le succès que rencontre le pentecôtisme.