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1 Pentecôtisme et sorcellerie

1.2 Comment le pentecôtisme lutte contre la sorcellerie : le Saint Esprit « brise les liens » et

1.2.2 La conversion : « recevoir Jésus », le baptême et la révélation de dons

1.2.2.1 Le baptême d’eau

Les évangéliques se distinguent des catholiques, et tiennent beaucoup à cette distinction comme je vais le détailler par la suite, par leur manière de pratiquer le baptême et par le sens qu’ils y accordent. Alors que les catholiques baptisent les enfants quelques jours après leur naissance, les évangéliques insistent sur l’importance d’être baptisé adulte. Ces derniers justifient leur pratique du baptême par la lecture de la Bible qui relate le baptême de Jésus, adulte, par Jean-Baptiste dans le Jourdain. Le baptême doit émaner d’un choix conscient et muri du croyant. Ainsi le pentecôtisme s’affirme comme une religion de « conversion » contrairement à une religion d’héritage (Fancello, 2008b : 2). De plus, selon les évangéliques, le baptême doit être fait par immersion totale du croyant dans l’eau, toujours en référence au baptême de Jésus.

Au delà des singularités dans la manière de pratiquer le baptême, c’est le sens qui y est donné par les évangéliques qu’il faut détailler. Le baptême permet de « renaitre de nouveau, comme une nouvelle créature, en Christ » en étant « lavé de tous les péchés commis dans l’ancienne vie ». Mais surtout le baptême « crée une communication directe entre Dieu et les

fidèles ». Cela m’a été expliqué par Élias et Elsa, je dois faire un petit aparté pour expliquer comment j’ai pu assister au baptême des fidèles d’une église pentecôtiste de Kpalimé : l’Assemblée mondiale du Christ. En février 2016, lors de mon premier séjour de terrain, j’ai fait la connaissance d’Elsa, une française, volontaire dans l’ONG Urgence Afrique à Hanyigba- Todzi. Elle a rencontré Élias, togolais résidant à Kpalimé, et a décidé de revenir vivre avec lui. Comme nous avions gardé contact, nous nous sommes revues quand je suis arrivée à Kpalimé, le 12 janvier 2017. Elle m’a alors raconté les difficultés qu’elle traversait avec Élias.

Tout le monde nous jalouse tellement. Il y a beaucoup de sorcellerie ici. Souvent on se dispute, on ne sait même pas pourquoi. C’est des gens qui veulent nous séparer. On est souvent malade tous les deux. Les maladies c’est presque jamais naturel, c’est très souvent spirituel.

Elle a alors ajouté avec un petit rire, guettant ma réaction : « Il y a tellement de sorcellerie, il vaut mieux être croyant. Je me suis mise à croire en Dieu. Dieu peut te révéler tes ennemis. » S’en suivirent de longues discussions sur les multiples attaques sorcellaires qui visaient à les séparer. Elle avait donc totalement intégré le discours sorcellaire local, et le maniait de manière similaire à Élias. Mais surtout, elle définissait l’origine de sa foi comme la seule manière efficace de se protéger des attaques spirituelles de leurs « ennemis ». Élias, tout comme sa mère et sa sœur, est très impliqué dans l’Assemblée mondiale du Christ. Le 20 février 2017, je rendais à nouveau visite à Elsa et Élias, qui allaient se faire baptiser dans l’après-midi et ont accepté que j’assiste à la cérémonie. La veille au soir avait eu lieu une réunion à l’église pour expliquer les effets du baptême : « après le baptême, on sera plus connecté à Dieu, mais on aura toujours besoin du pasteur comme d’un père. »

Nous rejoignons les fidèles au bord d’une rivière. Ils sont accompagnés de la pasteur Maman Sarah et de son neveu Kossi, un jeune pasteur venu du Ghana. Un pasteur affilié à une autre église est venu pour apporter son aide. Sur la berge, une vingtaine de femmes et six hommes, jeunes adultes ou d’âge moyen, sont exhortés à rentrer dans la prière par Maman Sarah, afin que « l’ancienne vie reste dans l’eau pour naitre à nouveau. » La prière se fait à voix basse et les yeux fermés. Les trois pasteurs bénissent l’eau avant d’y entrer, suivis de deux hommes qui aident les fidèles à se diriger vers les pasteurs. Les femmes se mettent en file indienne pour être tour à tour immergées. Les pasteurs prient à haute voix lorsque les fidèles arrivent près d'eux. Celui qui vient d’une autre église prie en anglais, les deux autres en éwé. Je reconnais les expressions « au nom de Jésus », le « Saint-Esprit ». Un autre pasteur répète « Amen » de nombreuses fois. La fidèle, immergée jusqu’à la poitrine, doit fléchir les genoux pour plonger dans l’eau. La plupart des femmes ont peur de l’eau et il faut s’y reprendre à plusieurs fois avant qu’elles n’aient été totalement immergées. Quelques jeunes hommes filment avec leur smartphones, Élias avec mon appareil photo. Maman Sarah demande aux croyants d’entonner des chants de louange. Parfois elle prie en langue, ce qui est interprété comme le signe de la visite du Saint Esprit. Quand les fidèles ressortent de l’eau, certaines semblent seulement surprises, mais d’autres sont agitées et les pasteurs prient alors plus longtemps pour celles-ci. La mère d’Elias parle en langue au moment où elle sort de l’eau, la sœur d’Elias, Philomène, réagit aussi violement.

C’est alors qu’Élias se tourne vers moi et me dit : « Tu seras la dernière à passer. » Croyant qu’il plaisante je ris un peu : « Non, je suis venue seulement pour voir. » « Non, c’est vrai tu peux le faire si tu veux. Parce qu’on t’a déjà parlé de ça, tu as compris ce que c’est non ? » J’acquiesce. « Si tu n’y connaissais rien tu ne pourrais pas le faire. Mais là c’est différent. » Je tente d’objecter : « Je ne sais pas si je le mérite. » J’ai envie d’ajouter que je ne crois pas en Dieu, mais je ne le fais pas, de toute façon Élias le sait déjà. « Non, tout le monde le mérite, je peux t’aider à aller dans l’eau. » Est-ce que sa force de conviction m’a fait flancher ? Je ne sais pas, toujours est-il que je me suis dirigée vers l’eau. Je me suis seulement laissée porter par la situation, sans penser. Alors qu’avec les autres femmes le pasteur Kossi restait à l’écart, il a gardé ma main pendant la prière. Maman Sarah m’explique : « Quand je vais dire au nom du père, du fils et du Saint Esprit, tu vas rentrer dans l’eau. » Les trois pasteurs se sont mis à prier, les mains posées sur ma tête ou ma main. Quand la pression de leurs mains s’est faite plus forte, je me suis laissée aller sous l’eau. Au moment où je suis ressortie de l’eau j’ai éclaté en sanglot en poussant un cri, contre ma volonté. J’entendais Maman Sarah parler en langue, les deux autres priant avec force, et je pleurais toujours en tremblant. Je suis ressortie de la rivière encore déboussolée. « Ne t’inquiète pas, tu as été délivrée », me dit Elsa.

Une fois que les quelques hommes présents ont été baptisés à leur tour, les trois pasteurs se tiennent les mains et prient une dernière fois. La cérémonie se clôture à l’église. Sur le chemin, Elias déclare : « Toi Dieu il t’aime vraiment. Tu as fait les choses dans un ordre différent. Nous on a reçu Jésus38 avant d’être baptisés. Toi tu n’as pas encore reçu Jésus mais Dieu te veut avec lui. » Il m’explique encore : « Tout le monde a des esprits maléfiques en lui avant d’être délivré par Dieu. C’est obligé. Mais ce qui t’es arrivé ce n’est pas que tu as été délivrée comme Elsa t’a dit, c’est que le Saint Esprit est descendu sur toi. »