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En Haïti, les conditions sanitaires de production, de transport, et de mise sur le marché des denrées alimentaires sont déplorables (environnement très sale et absence de chaîne du froid) dans toutes les filières de produits frais : produits de la pêche, fruits et légumes, viandes de volailles ou d’ongulés domestiques. Compte tenu de la multiplicité des acteurs impliqués dans la fourniture des matières premières, mais aussi du nombre très élevé de situations où les règles élémentaires d’hygiène ne sont pas respectées, il est illusoire d’espérer á court terme, une amélioration notable de la qualité sanitaire des matières premières proposées aux familles pour cuisiner. Il est à prévoir, que cette amélioration n’interviendra que lentement,

parallèlement à l’amélioration générale de la situation sanitaire d’Haïti. Dans la situation sanitaire actuelle d’Haïti, les matières premières utilisées pour cuisiner doivent donc par précaution, être systématiquement considérées comme étant potentiellement contaminées. Pour ce qui concerne Vibrio cholerae lui-même, il est capable de se multiplier activement dans les milieux nutritifs en général et dans les aliments en particulier. Son potentiel de développement est explosif, puisque placé dans des conditions optimales il est capable de se multiplier à raison d’une génération toutes les huit minutes, ce qui permet en moins de trois heures après ensemencement, d’observer une culture visible en bouillon ou en eau peptonée. Il nous semble particulièrement intéressant de noter que la cuisson des aliments les rend plus favorables, pour plusieurs raisons, à la multiplication du vibrion cholérique lorsque l’occasion lui est donnée de les recontaminer après traitement [11, 45]:

Destruction des flores de compétition

Après cuisson, surtout si elle est prolongée et à température élevée, ce qui est généralement le cas dans la tradition culinaire Haïtienne, les aliments ne présentent qu’une flore résiduelle très faible, souvent uniquement constituée de germes sporulés. La flore résiduelle de compétition étant très faible ou même parfois pratiquement absente et le vibrion ayant une capacité de multiplication extrêmement rapide, les conditions dans un aliment cuit qu’il recontamine lui sont particulièrement très favorables.

Elimination du caractère inhibiteur de certains aliments crus

La cuisson a souvent la capacité de faire disparaître le caractère inhibiteur des aliments qui lui sont soumis [45]. C’est particulièrement vrai des aliments acides, très défavorables à la multiplication ou même à la survie du vibrion

cholérique, dont la cuisson ramène la valeur du pH à un niveau proche de la neutralité.

Production de micro nutriments favorables à sa croissance

Enfin, la dénaturation par la cuisson des protéines des aliments, produit des micronutriments très favorables au métabolisme du vibrion cholérique [17]. La contamination des personnes, qu’elle intervienne par voie hydrique ou alimentaire n’entraîne pas, dans la grande majorité des cas, de forme clinique mais plutôt un portage asymptomatique de quelques jours. En fait, l’apparition ou non de troubles dépend très probablement d’une dose infectante minimale de l’ordre de 1011 ufc (unité formant colonie) [18, 45]. Ce taux de présence du germe dans l’aliment ne doit être que très rarement atteint en cas de souillure de l’aliment, sauf peut-être s’il s’agit d’une contamination par des déjections cholériques.

Les témoignages que nous avons recueillis sur le terrain au cours de notre mission, s’accordent avec ce que l’on trouve dans la littérature scientifique. A savoir, que la consommation différée des aliments cuits, conservés dans de mauvaises conditions de température favorisant la multiplication du vibrion, constituent un contexte souvent associé à l’apparition des cas cliniques sévères [18]. Il semble donc que la recontamination par l’agent du choléra des denrées alimentaires après cuisson, suivie d’une phase d’attente pendant laquelle sa multiplication intense a lieu, soit à l’origine d’une proportion importante des formes cliniques sévères observées.

3 Application de la « Méthode Alternative à l’Arbre de Décision du Codex » à l’analyse des risques et à la vérification de cette hypothèse

Le réexamen du rôle et des modalités de la transmission du choléra par voie alimentaire, a constitué le principal objectif de notre intervention en Haïti à la demande de la FAO. Cette étude a été réalisée en appliquant une des méthodes originales décrites dans ce mémoire : la « Méthode Alternative à l’Arbre de Décision du Codex Alimentarius ».

- Schématisation des modes de préparation culinaire traditionnels haïtiens

Le choix s’est porté sur quelques recettes de bases qui sont déclinées selon différentes variantes dans la tradition culinaire haïtienne :

o Préparation des légumes

o Préparation du maïs

o Préparation de la purée de pois

o Préparation du riz

o Préparation de la viande en sauce.

En fait ces recettes sont bien plus compliquées que leur nom ne semble l’indiquer. La « préparation des légumes » par exemple, ne s’entend pas sans qu’au cours de la recette intervienne un ajout de viande, ayant elle-même subi préalablement un traitement complexe. L’analyse des risques liés à la préparation de la viande et la définition des moyens de maîtrise à mettre en place, seront développées dans les lignes qui suivent. Après avoir recueilli auprès des mères de familles et par l’observation, dans la cuisine même, les informations nécessaires, nous avons établi comme pour une IAA, le diagramme de fabrication des préparations

culinaires quotidiennes. Puis la « Méthode Alternative » a été appliquée à chacun de ces diagrammes.

Les auditoires, pour lesquels ces outils documentaires allaient être utilisés, étant néophytes pour ce qui concerne les aspects techniques de la sécurité sanitaires des aliments, nous avons préféré pour en faciliter la compréhension, appliquer la méthode sous une forme éclatée, un peu différente de la présentation classique. Cependant, malgré ce changement d’organisation, sa logique demeure strictement la même.

Le diagramme est reproduit à plusieurs reprises et à chaque fois, lui sont associées les données figurant dans les différentes colonnes de la présentation classique.

Diagramme (1) de préparation de la viande en sauce

Lavage des légumes Épluchage légumes Découpe légumes Assaisonnement viande Lavage viande/blanchiment Addition épices/condiments Découpe cuisson Pré-cuisson à l’huile

Addition épices et condiments

Cuisson

Mise sur plat Et service VIANDE en SAUCE Viande réservée Addition oignons Épluchage oignons Lavage/ découpe Friture rapide

Purée de pois ou riz ou maïs

Diagramme (2) de préparation de la viande en sauce où sont portés les intrants

Lavage des légumes Épluchage légumes Découpe légumes Assaisonnement viande Lavage viande/blanchiment Addition épices/condiments Découpe cuisson Pré-cuisson à l’huile

Addition épices et condiments

Cuisson

Mise sur plat Et service VIANDE en SAUCE intrants Viande réservée Addition oignons Épluchage oignons Lavage/ découpe Friture rapide

Purée de pois ou riz ou maïs

Viande eau Jus de citron vert Jus d’orange acide

Concentré de tomate Poivre, épices Piments (doux et chaud)

Huile Piments Concentré de tomate eau Poireaux, ail, échalote oignons huile Dr R. Bonne 2011

Diagramme (3) de préparation de la viande en sauce où sont portés les contacts

Lavage des légumes Épluchage légumes Découpe légumes Assaisonnement viande Lavage viande/blanchiment Addition épices/condiments Découpe cuisson Pré-cuisson à l’huile

Addition épices et condiments

Cuisson

Mise sur plat Et service VIANDE en SAUCE contacts Viande réservée Addition oignons Épluchage oignons Lavage/ découpe Friture rapide

Purée de pois ou riz ou maïs

Récipient Mains ustensiles Mains ustensiles Mains Eau chaude Ustensiles récipient Mains ustensiles Mains ustensiles Mains Récipient eau Mains ustensiles Mains ustensiles Mains Ustensiles eau Récipient ustensiles Récipient ustensiles casserole Ustensiles mains Ustensiles ustensiles ustensiles Ustensiles Plat mains Dr R. Bonne 2011

Diagramme (4) de préparation de la viande en sauce où sont portés les traitements thermiques

Lavage des légumes Épluchage légumes Découpe légumes Assaisonnement viande Lavage viande/blanchiment Addition épices/condiments Découpe cuisson Pré-cuisson à l’huile

Addition épices et condiments

Cuisson

Mise sur plat Et service VIANDE en SAUCE Traitements thermiques Viande réservée Addition oignons Épluchage oignons Lavage/ découpe Friture rapide

Purée de pois ou riz ou maïs

5/6 mn 5/6 mn

20/30 mn

10/15 mn Dr R. Bonne 2011

Diagramme (5) de préparation de la viande en sauce où sont portés les risques et les moyens de maîtrise

Lavage des légumes Épluchage légumes Découpe légumes Assaisonnement viande Lavage viande/blanchiment Addition épices/condiments Découpe cuisson Pré-cuisson à l’huile

Addition épices et condiments

Cuisson

Mise sur plat Et service

VIANDE en SAUCE

Risques et moyens de maîtrise

Viande réservée Addition oignons Épluchage oignons Lavage/ découpe Friture rapide C C C C C C C C C C C C C S S S Lavage mains Lavage ustensiles Lavage récipient Eau saine Lavage ustensiles Lavage mains Eau saine Mains propres Lavage ustensiles Mains propres Lavage ustensile eau saine Mains propres Lavage ustensiles Lavage récipient Lavage ustensile Mains propres Mains propres Lavage ustensiles Mains propres Lavage ustensiles

Consommation immédiate Dans les 30 mn Respect du temps de cuisson

Respect du temps de cuisson

Plat très propre Ustensiles très propres Mains très propres Respect du temps de cuisson C

Diagramme (6) de préparation de la viande en sauce où sont portés les risques et les moyens de maîtrise considérés comme essentiels en conclusion de l’application de la méthode alternative à l’arbre de décision.

Lavage des légumes Épluchage légumes Découpe légumes Assaisonnement viande Lavage viande/blanchiment Addition épices/condiments Découpe cuisson Pré-cuisson à l’huile

Addition épices et condiments

Cuisson

Mise sur plat Et service

VIANDE en SAUCE

Risques et moyens de maîtrise

Viande réservée Addition oignons Épluchage oignons Lavage/ découpe Friture rapide C C C C C C C C C C C C C S S S S BPH BPH BPH BPH BPH BPH BPH BPH

Consommation immédiate Dans les 30 mn Respect du temps de cuisson

Respect du temps de friture Plat très propre Ustensiles très propres Mains très propres BPH BPH Dr R. Bonne 2011 BPH C

Rappel de la présentation classique de la « méthode Alternative »

4 Méthode alternative à “l’Arbre de Décision”

du Codex Alimentarius pour la détermination des CCP

Opération N

Opération N + 1

Opération N + 2

intrants contacts paramètresphysico-chimiques dangers Moyens demaîtrise matières Premières contenant opérateurs outils matériel plans de travail formulation temps T° pH Aw C M S BPF BPH CCP C = contamination M = multiplication S = survie 1 2 3 4 5

Dans cette présentation de la méthode, utilisée dans l’étude du choléra, les diagrammes de préparation 2 et 3 correspondent aux colonnes 1 et 2 de la présentation classique que nous avons reproduite ci-dessus pour rappel. Sur ces deux diagrammes figurent les intrants pour le 2 et les contacts pour le 3, qui constituent les sources de tous les types possibles de

contamination : physique, chimique ou microbiologique. Bien entendu, comme la lutte contre le choléra est l’objectif de cette étude, nous ne prendrons en compte que la composante microbiologique de la contamination.

La chaîne du froid étant inexistante en Haïti en raison du très bas niveau de prévention sanitaire du pays, sur le diagramme 4 de cette étude qui correspond à la colonne 3 de la présentation classique, ne figureront que des traitements thermiques de cuisson. L’application de paramètres thermiques suffisants (temps et température), ce qui est le cas dans la tradition haïtienne où les cuissons à ébullition sont prolongées, aura pour effet de tuer les vibrions cholériques éventuellement présents dans les aliments et d’éviter ainsi leur survie.

Enfin le diagramme 5 et le 6 correspondent sous forme synthétique aux colonnes 4 et 5 de la présentation classique en regroupant les risques identifiés et les mesures nécessaires à leur prévention.

4 Résultats de cette étude

Les résultats de cette étude doivent être mis en perspective avec le fait qu’elle s’est déroulée dans des conditions d’urgence, caractérisées par la propagation très rapide du choléra ainsi que par l’extrême gravité qu’il revêt chez certains patients. La courte période de temps passée en Haïti et en conséquence le nombre restreint de personne rencontrées, limitent le nombre des observations qui on pu être relevées. Complétant les données bibliographiques disponibles, l’observation de terrain des pratiques culinaires traditionnelles Haïtiennes ainsi que les

témoignages recueillis auprès des personnes chargées du traitement des malades ont été les principales sources d’information pour ce travail destiné à porter sur la transmission du choléra un regard différent d’hygiéniste alimentaire, par rapport à l’approche habituelle du corps médical.

Cette étude corrobore les avis convergents selon lesquels, la consommation différée d’aliments qui ont été recontaminés après cuisson, est de nature à provoquer des formes cliniques souvent graves. En effet cette situation induit très probablement la présence dans ces aliments d’une population de vibrions cholériques dépassant le seuil de pathogénicité et peut être aussi, dans certains cas, sans qu’aucune certitude ne soit établie sur ce point, d’une concentration élevée de toxine cholérique préformée. L’ensemble de ces données peut être regroupé dans le « Schéma d’amplification est de transmission du choléra » qui aboutit à l’apparition de cas cliniques sévères dans la population haïtienne.

Schéma d’amplification et de transmission du choléra Porteur initial déjections Pollution du réseau hydrographique amplification Contamination orale abreuvement baignade, lavage Sujets cholériques asymptomatiques en majorité (9/10) Excrétion du vibrion dans l’environnement: eau, mains, ustensiles matières premières Copépodes fixation de formes d’attente du vibrion Excrétion du vibrion dans l’environnement Recontamination des aliments cuits mains, eau

Consommation différée multiplication rapide du vibrion dans les aliments

Formes cliniques sévères

Schéma d’amplification & de transmission du choléra

Aliments massivement contaminés

Dans le cas de la préparation de la viande en sauce, que nous avons pris en exemple,

l’assemblage final réalisé par l’addition des oignons frits aux autres ingrédients, se fait à partir de composants cuits dans lesquels les vibrions qui auraient pu se trouver, ont été détruits, si les temps et les températures de chauffage ont été respectés. Les schémas d’études de plusieurs autres produits figurent dans l’annexe 4 de ce mémoire : purée de pois, maïs, riz, légumes. Comme leurs noms simples ne l’indiquent pas, ces plats sont des préparations complexes, contenant souvent un assez grand nombre d’ingrédients.

Partant du principe que ces composants cuits sont très probablement exempts de vibrion cholérique, mais aussi accessoirement des autres agents responsables de toxi-infection alimentaires collectives (salmonelles, staphylocoques, …), le challenge en terme de sécurité sanitaire, consiste à prévenir leur recontamination en les manipulant très proprement après cuisson, mais aussi d’éviter la multiplication de la flores éventuelle (résiduelle ou

réintroduite), en consommant ces aliments sans délai, dans ce pays tropical où la chaîne du froid est inexistante.

Conclusion

Ce travail réalisé dans l’urgence sur le choléra en Haïti, a montré que la « Méthode Alternative à l’Arbre de Décision du Codex Alimentarius », habituellement utilisée pour élaborer le PMS des IAA, peut également être appliquée avec succès à l’analyse du risque lié à la transmission par voie alimentaire d’agents infectieux responsables d’épidémies.

La conduite de cette analyse des risques, prend comme fil conducteur les modes de

préparation culinaire traditionnels haïtiens et les analyse comme le sont habituellement les procédés industriels de fabrication, mis en œuvre dans les entreprises. Cette approche nous a permis d’intégrer les données bibliographiques sur le choléra, dont nous disposions, dans une logique de filière allant des matières premières utilisées, jusqu’aux mets servis dans l’assiette des consommateurs.

Il apparaît, que si les modes de préparation des plats traditionnels haïtiens sont de nature à détruire le vibrion cholérique, quand il est présent, c’est ensuite que tout se joue. En effet il est essentiel de ne pas donner à cet agent pathogène, l’opportunité de recontaminer les aliments cuits et de s’y multiplier. De ce point de vue, il est intéressant de constater, que le mécanisme de transmission alimentaire du choléra, se rapproche de celui des TIAC (toxi- infections alimentaires collectives). Les mesures de prévention de l’un, seront donc de ce fait aussi efficaces pour les autres.

A l’automne 2010 lorsque l’épidémie de choléra a explosé, un ensemble généraliste de bonnes pratiques d’hygiène a été recommandé en urgence à la population, ce qui a permis de réduire la contagiosité du mal, au moins partiellement. Cependant le nombre élevé de précautions d’hygiène à prendre au quotidien et la régression apparente de la maladie, ont fait se relâcher le soin de la population dans l’application de ces règles.

A partir de l’analyse que nous avons faite au printemps 2011, et dans un souci d’efficacité, il a été possible d’adresser aux personnes en charge de la préparation des repas, un nombre

restreint et applicable, de recommandations cruciales d’hygiène, visant à prévenir la transmission du cholera par voie alimentaire, mais aussi des TIAC en général.