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Amélioration de la qualité microbiologique de la «poudre de

piment d’Espelette» par application pratique de la « Méthode

1 Généralités

Le piment d’Espelette est le fruit d’une solanacée d’origine tropicale (Caraïbes), du genre

Capsicum, de l’espèce annuum L, de la variété « Gorria » introduite et acclimatée au Pays

Basque à la fin du XVème siècle, par un marin de la flotte de Christophe Colomb. Sa

consommation s’est répandue très vite sur le vieux continent, comme substitut des coûteuses épices provenant des Indes, d’où le nom de « poivre du pauvre » qui lui était donné à cette époque.

Sa production reste artisanale et fait l’objet d’une Appellation d’Origine Contrôlée, couvrant dix communes du Pays Basque (Pyrénées Atlantiques) et regroupant un peu plus d’une soixantaine de producteurs. Parmi les produits obtenus à partir du piment d’Espelette, la poudre est un produit phare.

En 2005, la Mission Agroalimentaire Pyrénées, nous a fait part des difficultés que

rencontraient les producteurs de poudre de Piment d’Espelette pour maîtriser la contamination microbiologique de leurs produits finis. Ce défaut de maîtrise portait sur plusieurs critères : la flore aérobie mésophile totale, les coliformes totaux, les levures et les moisissures. Certaines particularités du produit aussi bien que de son procédé de fabrication, faisaient que les solutions tentées par les producteurs, s’étaient soldées par des échecs. Soit que les produits n’aient pas été suffisamment décontaminés, soit que leurs caractéristiques organoleptiques aient été dégradées.

Face à cette situation nous avons proposé un plan d’intervention qui s’est décliné en trois temps.

- observation sur le terrain des conditions de production de la poudre de piment d’Espelette, afin d’établir un diagramme exact du procédé de fabrication, assorti de toutes les données nécessaires à l’application de la « Méthode Alternative à

l’Arbre de Décision du Codex Alimentarius ».

- Application de la méthode alternative, pour analyser (étape par étape) les risques liés au procédé de fabrication et définir les moyens de maîtrise à mettre en œuvre : CCP ou BPH/BPF.

- Confirmer les hypothèses avancées et les solutions proposées, en faisant réaliser un protocole d’analyse microbiologique, par un étudiant vétérinaire au titre de sa thèse de doctorat [3].

Dans ce travail d’analyse des risques, le recours à la « Méthode Alternative a été déterminant. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de développer dans le présent mémoire, ce point particulier de l’étude réalisée à l’époque sur le piment d’Espelette, à titre d’exemple de l’utilisation pratique que l’on peut faire de cette méthode.

2 Procédé de fabrication de la poudre de piment d’Espelette.

La séquence de la production de la poudre de piment que nous allons étudier et qui était celle qui était appliquée avant le recours à la « Méthode Alternative », commence au moment de la cueillette des fruits et va jusqu’au conditionnement de la poudre prête à l’emploi, mais ne prend pas en compte la culture de la plante.

Pour les producteurs les étapes de production de la poudre de piment, se déclinent comme suit :

- récolte

La cueillette au champ se fait manuellement, et les fruits sont déposés dans des cageots. Elle commence mi-juillet pour se terminer avec l’apparition des premières gelées d’automne.

- essuyage – tri

Chaque piment est alors contrôlé et essuyé à l’aide d’un chiffon pour éliminer les traces éventuelles de poussière ou de boue. Tout piment piqué, blessé, ou fendu par un excès d’eau est éliminé

- séchage sur cordes ou sur clayettes (ou maturation)

Comme c’est souvent le cas dans les productions traditionnelles, le nom donné à certaines opérations ne correspond pas à leur fonction réelle. Dans le cas du piment, l’opération dite de séchage sur cordes ou sur clayettes (dans un tunnel de plastique qui est une sorte de serre ouverte aux deux extrémités), d’une durée d’au minimum trois semaines, se traduit par une déperdition en eau minime. En effet la cuticule des fruits est cirée et par le fait étanche aux échanges hydriques entre la pulpe du péricarpe, très riche en eau tapissant l’intérieur de la cavité interne, et le milieu extérieur.

En revanche si l’on interroge les producteurs sur la nécessité de passer par cette étape, la réponse est toujours la même : « si l’on traite les piments au four sans qu’ils soient passés sur cordes ou sur clayettes, alors les arômes de la poudre sont très pauvres ». Cette étape qualifiée de « séchage » est en fait une étape de maturation naturelle du produit, comme on en observe dans la production du café ou du chocolat, pour lesquels la richesse de l’arôme est aussi un critère de qualité déterminant. Cette maturation est à l’origine des qualités organoleptiques du piment, suite à la

dégradation des sucres du péricarpe par des complexes enzymatiques endogènes [3]. - tri

Au cours de l’étape de maturation, la cavité interne de certains fruits est le siège du développement intense d’un feutrage de moisissures. L’aspect extérieur du piment change alors radicalement en virant de la couleur rouge normale à la couleur blanche. Les fruits atteints présentent alors de larges tâches blanches ou bien deviennent entièrement de cette couleur. Cette étape de trie consiste à éliminer tous les piments présentant des signes de décoloration.

- séchage au four

Le traitement au four se décompose classiquement en deux temps : une première phase de 48 h à 55°C et une seconde de 2 à 8h à 72°C. De la durée de la seconde phase, qui peut être modulée, dépend le goût du produit fini. Chaque producteur essaie d’établir

et d’appliquer le barème de traitement au four qui lui permet d’obtenir sur son produit fini l’équilibre du goût qu’il recherche.

C’est au cours de cette étape que se dressent les obstacles les plus importants pour les producteurs. A l’entrée dans le four, les fruits maturés sont encore très riches en eau et leur cuticule imperméable réduit considérablement la vitesse de déshydratation. Cette état de fait crée un dilemme pour les producteurs : ou bien ils appliquent une

température élevée pour accélérer le séchage mais ils risquent alors de cuire les fruits encore très riches en eau, ou bien ils recourent à une température plus basse favorisant le développement des moisissures, et ils s’exposent à subir des pertes importantes par altération fongique des piments.

En fin de séchage au four, l’Activité hydrique (Aw) des piments atteint une valeur de l’ordre de 0,3 [3], obtenue grâce à l’élévation de température finale qui a aussi pour but de réduire la charge microbienne du produit. Cette valeur d’Aw les rend très friables et facilite ainsi l’opération ultérieure de broyage.

Outre le problème lié à la fréquence relativement élevée de lots produits non conformes aux normes bactériologiques, cette difficulté sanitaire et technologique rencontrée en début de séchage au four, a incité les producteurs à solliciter l’aide de la Mission Agroalimentaire Pyrénées.

- Tri et équeutage

Comme nous venons de le voir, le passage au four peut se traduire pour une partie des fruits, par un développement rapide de moisissures. Il est donc nécessaire en sortie de four, de procéder à un nouveau tri pour éliminer les piments tachés de blanc ou complètement décolorés. C’est à la faveur de ce tri qu’est également réalisée l’opération d’équeutage des piments.

- Broyage

Au plan technologique, ce passage au broyeur ne doit pas être trop brutal afin d’éviter l’échauffement du produit dont le goût et l’arôme pourrait être affectés. C’est aussi au cours de cette étape que sont broyées les graines qui libèrent les capsaïcines

responsable du « piquant » de la poudre de piment. - Conditionnement

Après broyage la poudre est conditionnée manuellement en pots de verre de 50g, fermés par un couvercle métallique, sans avoir recours au vide ou à un gaz inerte.

3 Application à la fabrication de poudre de piment d’Espelette, de la « Méthode Alternative à l’Arbre de Décision du Codex Alimentarius »

La « Méthode Alternative » est appliquées selon les modalités présentées au chapitre 5, en reprenant les mêmes acronymes, sous la forme d’une suite de quatre tableaux, construits à partir du diagramme de fabrication de la poudre de piment d’Espelette :

- Sur le premier tableau sont portés, étape par étape, les intrants et les contacts qui constituent les sources potentielles pour les contaminations des trois

nécessaire par les problèmes d’ordre microbiologique, rencontrés dans cette production, notre analyse se limitera à ce domaine.

- Sur le second tableau sont ajoutés les paramètres spécifiques associés à certaines étapes

- Sur le troisième tableau sont déduits les dangers à partir des éléments regroupés grâce aux deux premiers tableaux.

- Sur le quatrième tableau, les moyens de maîtrise sont définis à partir de l’ensemble des éléments collectés.

Second tableau : paramètres spécifiques

Quatrième tableau : définition des moyens de maîtrise

4 Synthèse

Chaque fois que dans les moyens de maîtrise il est fait référence à des BPH, il faut se souvenir que dans notre démarche intégrée, la « Méthode de Gestion Globale de l’Hygiène dans les IAA » a été mise en œuvre pour les instaurer en tant que pré requis, préalablement à

l’application de la méthode HACCP. C’est par exemple le plan de nettoyage ou bien le lavage des mains.

Les BPF sont des mesures de prévention liées au procédé de fabrication. C’est le cas par exemple du principe qui consiste à éviter de constituer des masses importantes de piments pendant la maturation, pour éviter le développement fongique.

On voit également que deux étapes sont associées à des paramètres significatifs : la maturation et le séchage au four :

- au cours de la maturation si les valeurs de durée, de température ou d’hygrométrie (dont dépend l’Aw), ne sont pas favorables, alors la probabilité d’observer un développement fongique est élevée. Ces paramètres qui changent d’une année à l’autre, en fonction des variations climatiques annuelles, ne sont pas gérables. En conséquence l’étape de maturation ne peut pas constituer un CCP, car il est précisé dans le Codex Alimentarius qu’un CCP doit être gérable [10].

Note : Pour le Codex, un CCP est « gérable », si sa maîtrise est basée, sous la responsabilité de l’entreprise, sur le suivi de paramètres mesurables et si la

traçabilité permet d’identifier sans équivoque chaque lot de fabrication pour permettre le suivi de ceux qui font l’objet d’une action corrective.

- au cours du séchage au four, si les paramètres de durée et de température ou d’Aw ne sont pas maîtrisés, on risque d’observer la multiplication fongique au début de l’étape et la survie des moisissures et des bactéries dans sa seconde partie. Les paramètres de température et de durée du séchage au four, dépendent du pilotage du four et de ce fait sont parfaitement gérables. En conséquence le séchage est un CCP, le seul d’ailleurs de ce procédé de fabrication.

Cependant nous savons que ce pilotage du four ne suffisait pas à lui seul à surmonter les difficultés de production que nous avons décrites plus haut : cuisson des piments dans un cas ou développement fongique rapide dans l’autre. En fait, la véritable solution au problème qui nous était posé, était de trouver un moyen d’accélérer la vitesse de déshydratation des piments en début de séchage.

L’augmentation des paramètres de chauffage du four ne permet pas d’obtenir l’accroissement nécessaire de la vitesse de séchage, sans qu’apparaissent des conséquences néfastes sur la qualité du produit : effet de cuisson et non pas de séchage. C’est en optimisant les conditions de cette opération de séchage, par ajout d’une bonne pratique de fabrication supplémentaire, que nous avons obtenu l’effet souhaité. Au plan pratique, cela montre que la résolution des problèmes de sécurité sanitaire sur un procédé de fabrication, ne passe pas obligatoirement par l’instauration de CCP, mais peut être aussi obtenue par l’introduction de bonnes pratiques de fabrication.

Le moyen logique qui s’est imposé à nous, consiste à ouvrir la cavité des piments juste avant leur introduction dans le four. La première variante de cette solution a d’abord consisté à déchirer ou à couper les piments sur de petites séries d’essai. D’emblée les résultats obtenus ont été très favorables avec une réduction très importante des pertes par altération fongique au cours du séchage et l’obtention de produits finis en conformité avec les normes

bactériologiques. Le protocole d’analyse, sujet de la thèse de doctorat vétérinaire citée en référence, a confirmé de façon plus rigoureuse ces premiers résultats.

Cependant couper ou déchirer les piments avant leur introduction dans le four, faisait

intervenir une opération supplémentaire dans le procédé de fabrication et en conséquence une perte de temps. En reconsidérant le procédé de fabrication, nous avons noté que le pédoncule des piments qui était encore attenant aux fruits sortant du four, était enlevé avant l’étape de broyage. L’ablation du pédoncule (ou équeutage) ayant pour effet annexe, d’ouvrir la cavité des piments, il a suffi de déplacer cette étape juste avant le séchage au four pour en faire une BPF et mettre fin aux difficultés des producteurs, sans ajouter d’opération supplémentaire au procédé de fabrication. Sur notre cinquième et dernier schéma relatif à l’application de la méthode alternative à la production de poudre de piment, une modification dans l’ordre des étapes du diagramme de fabrication a été introduite en conséquence.

Cette recommandation consistant à simplement repositionner l’ablation du pédoncule, pour ouvrir la cavité des piments, avant leur introduction dans le four de séchage, a été ajoutée par publication au Journal Officiel de la République Française, au cahier des charges de

Cinquième tableau : optimisation des moyens de maîtrise par déplacement de l’opération d’équeutage sur le diagramme, en fonction des résultats de l’étude

Conclusion

Dans l’exemple de la production de poudre de piment d’Espelette, l’application de la méthode alternative à l’arbre de décision du Codex Alimentarius, a permis d’interpréter l’origine, tant technologique que sanitaire, des anomalies de production rencontrées par les producteurs. Bien que cette méthode soit à l’origine conçue comme une solution alternative à l’arbre de décision pour identifier les CCP, elle montre dans le présent exemple, sa capacité à identifier, d’autres moyens de maîtrise des risques que les CCP, s’ils sont plus adaptés à la situation. Cette capacité à identifier par une démarche unique et sur un seul tableau d’analyse, tous les moyens de maîtrise des risques qui doivent être mis en œuvre (BPH/BPF et CCP) et pas uniquement les CCP, constitue un gros avantage de la « Méthode Alternative » par rapport à l’arbre de décision qui se focalise uniquement sur l’identification des CCP.

Dans l’exemple de la poudre de piment d’Espelette, c’est une bonne pratique de fabrication supplémentaire, consistant à ouvrir par ablation du pédoncule, la cavité interne des piments, avant de les introduire dans le four de séchage, qui a permis de surmonter les difficultés rencontrées par les producteurs.

La pertinence des dispositions de maîtrise sanitaire et technologique préconisées par l’application de la « Méthode Alternative à l’Arbre de Décision », a été confirmée par un protocole d’analyse mis en œuvre dans le cadre d’une thèse de doctorat vétérinaire. L’ouverture de la cavité interne des piments par équeutage, avant séchage au four, a été

depuis introduite comme modification du cahier des charges de « l’AOC Piment d’Espelette », ce qui en confirme le bien fondé. Cette modification a été adoptée par voie de Décret

Ministériel (du Ministre de l’Agriculture et la Pêche) en date du 14/03/2007 portant modification du décret du 29 mai 2000 relatif à l’appellation d’origine contrôlée « Piment

d’Espelette » ou « Piment d’Espelette-Ezpeletako Biperra », publié au Journal Officiel de la République Française [12].

Le texte du premier décret « A la fin de cette période, les piments doivent être séchés par un

passage au four de quelques heures » devient dans le second décret « A la fin de cette période, les piments doivent être équeutés, puis séchés par un passage au four de quelques heures. L’équeutage consiste à retirer le pédoncule et la collerette du piment », afin de tenir compte

des conclusions de l’étude réalisée par application de la « Méthode Alternative à l’Arbre de Décision du Codex ».