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Transmettre la course camarguaise et renouveler ses publics

 

5.1 La transmission culturelle

Afin de problématiser la recherche, nous avons travaillé à partir de deux notions : la transmission culturelle et le renouvellement des publics. La notion d’héritage culturel précède celle de transmission. D’après Pierre Bourdieu, l’héritage culturel consiste en la transmission d’une partie des capitaux (social, économique et culturel) reçus par un individu de la part de ses aïeuls. Chaque individu transmet ensuite à son tour des capitaux en héritage à sa descendance. Or, plus le capital est incorporé tôt pendant l’enfance, plus l’incorporation est forte. La transmission du capital culturel apparait donc être un facteur efficace de reproduction des classes sociales.

Néanmoins, Pierre Bourdieu souligne que la compétence culturelle, qui permet le plaisir esthétique, n’est pas innée, mais cultivée (c’est-à-dire apprise). La compétence culturelle s’acquiert par l’accoutumance et l’exercice :

« La rencontre avec l’œuvre d’art n’a rien du coup de foudre que l’on veut y voir d’ordinaire et que l’acte de fusion affective, qui fait le

plaisir de l’amour de l’art, suppose un acte de connaissance, une

opération de déchiffrement, de décodage qui implique la mise en

œuvre d’un patrimoine cognitif, d’une compétence culturelle. » (Bourdieu, 1979 : 3.)

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En somme, la transmission culturelle parait être possible par l’intervention de deux événements : un héritage associé à une accoutumance rendue possible par l’exercice. Comment saisir et décrire les mécanismes de transmission de la culture taurine ? Comment la transmission opère-t-elle au sein du champ de la course camarguaise ? Peut-on parler d’une transmission unique, héritée dans un cadre familial dès l’enfance ? Ou au contraire, existe-t-il plusieurs moyens de transmission ? Qui transmet la culture taurine à qui et par quels moyens ? De plus, la transmission peut être analysée de plusieurs manières : en tant que mécanismes, mais aussi à travers le regard des transmetteurs culturels ou de ceux qui reçoivent la transmission (Ethis, Fabiani, Malinas, 2008).

5.2 Le renouvellement des publics

La notion de renouvellement en matière de publics de la culture recouvre trois dimensions assez différentes les unes des autres. Le renouvellement est d’abord une intention politique, celle d’attirer un public différent et plus nombreux que celui habituellement reçu dans un équipement culturel ou qui répond à une offre de culture savante. Renouveler l’offre en proposant une programmation différente ou plus fréquente apparait dans ce cadre être un facteur de renouvellement des publics. Observe-t-on cet effet dans l’organisation de la course camarguaise ?

Ensuite, la notion de renouvellement est un fait : un public, quel qu’il soit, se renouvelle obligatoirement ne serait-ce que pour des raisons démographiques. Le résultat des enquêtes sociologiques laisse croire que le public d’une activité culturelle est toujours le même et cet effet est encore plus visible lorsque les enquêtes sont reconduites durant plusieurs années. Or, ne serait-ce qu’en raison des mouvements de population et de la démographie, un public n’est jamais le même. Il se renouvelle constamment. En effet, les plus âgés ou ceux qui se lassent abandonnent cette activité culturelle. Tandis que des néophytes ou des jeunes les remplacent. Quand les effectifs du public qui fréquente une institution ou une activité culturelle sont constants, cela ne signifie pas nécessairement que ce sont les mêmes individus qui le composent. Affirmer que la fréquentation est une donnée invariable est donc inexact.

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Chaque année une partie des publics cesse de pratiquer, mais comme les partants sont immédiatement remplacés par de nouveaux adeptes, le public est sociologiquement toujours identique à celui qui l’a précédé (Jacobi, Marchis-Mouren, 2016).

Enfin, le renouvellement des publics pose question : faute de se renouveler, le public d’une pratique culturelle n’est-il pas menacé de disparaître ? Cette problématique concerne l’ensemble des acteurs qui produisent la culture. Les observateurs ont montré que certains aspects sociaux - l’élévation du niveau d’éducation, l’allongement de la durée de vie, le relatif bon niveau de revenus des jeunes retraités des classes moyennes et supérieures - influent sur la fréquentation des institutions culturelles comme sur la composition des publics (Donnat, Octobre, 2001). Est-ce également le cas de la culture populaire ? La course camarguaise bénéficie-t-elle, ou souffre-t-elle, d’un processus de renouvellement différent de celui de la culture savante ? Le cadre spatio-temporel particulier de la course camarguaise lui permet-il de bénéficier de mécanismes de renouvellement spécifiques et si oui, sont-ils efficaces ? Notre hypothèse est que le cadre festif des manifestations taurines tout comme l’inscription territoriale protège la course camarguaise d’une possible disparition. Qu’en est-il exactement ?

Si toute culture compte sur le renouvellement de ses publics pour perdurer, elle compte également sur la fidélité de ces derniers. Le mot fidélisation a une histoire paradoxale en matière de publics de la culture. Dans le lexique courant du marketing, fidéliser les clients est un précepte de base des campagnes commerciales des grandes marques. Dans le domaine de la religion, les fidèles sont les croyants qui pratiquent leur religion de manière assidue. La volonté de fidéliser le public est apparue dès le renouveau de la culture après la Seconde Guerre mondiale. La notion de fidélisation s’est ensuite actualisée avec le tournant communicationnel des publics qui assigne aux institutions, notamment muséales, des objectifs en matière de fréquentation. La loi musées et l’obligation de créer un service des publics ont accrédité et généralisé la nécessité d’attirer différentes catégories de publics y compris ceux qui étaient jusque-là exclus (Jacobi, Marchis-Mouren, 2016). Qu’en est-il de la fidélisation du public de la course camarguaise ?

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Au sein du champ, quelle catégorie(s) d’acteur(s) se préoccupe de la fidélisation ? Les médias taurins semblent de prime abord jouer un rôle important dans ce processus, mais qu’en est-il exactement ? Quels sont les autres mécanismes qui fidélisent le public s’ils existent ?

L’hypothèse majeure de cette recherche est que la course camarguaise fonctionne comme un champ social. Nous avons choisi de relier chaque analyse à la notion de champ. Cette dernière constitue donc le fil conducteur de cette recherche. La question centrale de cette recherche est la suivante : comment le champ social de la course camarguaise fonctionne-t-il ? De cette problématique découlent plusieurs questionnements qui fondent cette recherche. Quels sont les mécanismes de renouvellement du public existant au sein du champ de la course camarguaise ? Par quels moyens la transmission de la culture taurine camarguaise opère-t-elle ? Le fonctionnement du champ influe-t-il sur la dynamique de renouvopère-t-ellement du public ou au contraire est-ce cette dynamique qui conditionne le champ ? Sans perdre de vue que cette question centrale est inscrite entièrement dans le débat entre culture savante et populaire : quels sont les aspects savants et populaires du champ ?