• Aucun résultat trouvé

TRANSITIONS AVEC ELECTIONS SANS ALTERNANCES

LES PROCESSUS DE TRANSITIONS DEMOCRATIQUES EN AFRIQUE : ESSAI D’INTERPRETATIONS

A) ETATS DES LIEUX ET LOGIQUES DES TRANSITIONS AFRICAINES

I) UNE VASTE LITTERATURE ET DES RESULTATS MITIGES

2) TRANSITIONS AVEC ELECTIONS SANS ALTERNANCES

Dans l’analyse des transitions démocratiques en Afrique, l’élection peut déboucher sur une alternance ou pas. Le changement d’équipe dirigeante n’est pas forcement déterminant pour qualifier un régime de démocratique. Certains pays comme le Sénégal (qui pourtant est largement cité en exemple de stabilité politique et de démocratie) réussiront plus tard à réaliser une alternance à la tête de l’Etat.

Dans un nombre important de pays africains, des élections multipartites ont eu lieu, sous la pression des évènements, mais sans qu’elles ne débouchent sur un changement de régime, les équipes en place ayant réussi à garder le pouvoir. Pour plusieurs cas, la sincérité du scrutin est fortement remise en cause.

Dans d’autres, la sincérité des opérations électorales ne fait pas de doute. Ce sont les sortants même qui ont remporté les élections. C’est le cas de la Cote d’Ivoire avec Félix Houphouët-Boigny. La Côte d’Ivoire est considérée comme un exemple d’une démocratie par le haut. A titre d’exemple l’ouvrage de T. Bakary

dont le titre « La démocratie par le haut en Côte d’Ivoire133 reste évocateur. C’est une forme de démocratisation dont l’analyse est centrée essentiellement sur les aspects institutionnels notamment la capacité des institutions à mener à bout le jeu démocratique.

Plusieurs articles plus récents reviennent sur le processus de démocratisation en Côte D’Ivoire en mettant en exergue la question de la nationalité. La fameuse question de l’ivoirité qui a été sources des principales violences et instabilités politiques à la fin de la décennie 1990 et au début des années 2000 est prise en compte comme variable dans l’analyse du processus de transition en Côte d’Ivoire. Jean Pierre Dozon dans « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethno nationalisme »134 remarque que le renversement du régime de Bédié par les militaires n’a pas évacuée la problématique de l’ivoirité qui plonge ses racines dans la longue durée historique. L’âpreté des débats constitutionnels témoigne de la difficulté à s’accorder sur une définition de la citoyenneté. Son article met en relief les risques de dérives ethno nationalistes porteuses de graves dissensions entre le Nord et le Sud.

Cette question du nationalisme avec ses conséquences politiques a fortement entravé la reprise du processus démocratique en Côte d’Ivoire quelques années après la disparition de Félix Houphouët-Boigny. Cette série de violences connaitra son épilogue à la fin de première décennie des années 2000 avec une intervention très controversée de la France et l’arrestation de Laurent Gbagbo.

Il faut noter aussi dans l’analyse des transitions démocratique l’ingérence excessive des anciennes puissances coloniales comme élément déterminant de l’issue d’une transition démocratique. Même s’il est difficile de mobiliser des éléments probant mettant en exergue l’influence de la France ou de la Grande Bretagne dans l’organisation de certaines élections en Afrique, il est clair que des pays comme la Côte d’Ivoire du fait de la présence des ressources du café et du cacao, le Niger avec son uranium, le Gabon avec ses ressources forestières et pétrolières, la Guinée ou encore le Congo, sont suivis de très près par ces anciennes puissances tutrices. La preuve est au moment où ces lignes sont écrites, 133 Bakary (T), « La démocratie par le haut en Côte d’Ivoire », Géopolitique africaine, juin 1986.

134 Dozon (J-P), « La Côte d'ivoire entre démocratie, nationalisme et ethno nationalisme », Politique africaine 2000/2 (N° 78), p. 45-62.

le président Denis Sassou-Ngueso se présente aux élections au Congo à la faveur d’une énième modification de la constitution sans que cette forfaiture ne fasse l’objet d’une contestation en par la France.

Dans ce peloton de pays à élection sans alternance, la Namibie offre un autre cas de figure. Pour ce pays le parti au pouvoir s’est consolidé en réussissant des élections démocratiques mais qui ne débouchent pas à des alternances. Le pays a connu ses premières élections à son indépendance en 1990. Il réussira à renouveler l’expérience en 1994, ce qui a permis au parti au pouvoir d’améliorer son score. La Namibie par la suite sera l’un des rares pays où la démocratie a bonne presse.

On note très clairement que absence d’alternance n’est pas forcément absence de démocratie. L’élection constitue un des éléments fondateurs du processus démocratique. Elle peut déboucher sur une alternance mettant fin à des régimes autoritaires. Elle peut être aussi un moyen de confirmer la légitimité de l’équipe en place. Un des cas éloquent dans cette catégorie demeure le Sénégal.

Longtemps considéré comme un exemple de démocratie stable en Afrique, le Sénégal ne connaitra ses premières élections avec alternance qu’en 2000, malgré le fait que le multipartisme y est instauré depuis avril 1981. Le PS (Parti Socialiste) a dominé pendant quarante ans la vie politique sénégalaise, malgré l’existence d’un cadre juridique et réglementaire assurant la liberté d’expression, de manifestation et de contestation. Abdoulaye Wade, principale leader de l’opposition utilisera ces garanties et sera un farouche opposant des présidents Senghor et Abdou Diouf.

L’accession au pouvoir de Abdoulaye Wade mettra fin aux quarante ans d’hégémonie du Parti Socialiste. Cette alternance tardive n’a pourtant pas remis en cause la nature démocratique du système politique sénégalais.

Dans le même ordre d’idée, Augustin Loada détaille les stratégies de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Il parle de « démocratie consensuelle »135 et la stratégie d’étouffement de l’opposition. Ces stratégies il les identifie à travers ce qu’il nomme les «techniques de régulation patrimoniale du pouvoir. »

135 Loada (A) et Wheatley (J), dir, Transition démocratiques en Afrique de l’Ouest : Processus

constitutionnels, société civile et institutions démocratiques, Paris, L’Harmattan, p 119

D’autres pays connaitront des élections sans alternances avec la particularité d’être des élections truquées. La Mauritanie, la Guinée sont des exemples de pays où la transition est bloquée faute d’élections crédibles. La Guinée fera l’objet de développement dans le prochain chapitre autour de la notion de transition tardive.

La Mauritanie quant à elle, est minée par des luttes de classement fondées sur l’ethnie et la tribu. L’année 1989 y est marquée par des affrontements entre populations noires du sud et maures. Ce conflit interne se développera par la suite pour devenir un conflit frontalier entre la Mauritanie et le Sénégal. Les populations noires pour la plupart d’ethnie peule, wolof et soninké sont catégorisées comme étant des étrangers sénégalais sur le sol mauritanien. Ces considérations ethno régionaliste et tribales ont longtemps affecté l’évolution sociohistorique de la Mauritanie. Ce conflit reste difficile à interpréter tant plusieurs logiques s’y retrouvent entrelacées. Il remet au goût du jour la question ethnique comme véritable problématique de la construction de l’Etat en Afrique.

A côté de ces questions d’ordre ethnique, la Mauritanie demeure aussi un cas atypique de transition dans la mesure où de multiples tentatives ont eu lieu entre 1990 et 2008. En effet au début des années 1990, le colonel Maouyyia Ould Sid’ Ahmed Taya avait finalement décidé d’ouvrir le pays au multipartisme et aux élections au suffrage universel, ce qui lui permit de devenir le premier président élu par vote du peuple. L’aspect démocratique du scrutin étant toujours remis en cause. 136

En 2005, le coup d’Etat de Ely Ould Mohamed Vall mit fin au régime de Taya ouvrant une nouvelle transition qui conduit à l’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Cette élection constitue le premier passage de pouvoir inédit entre un militaire et un civil. En Aout 2008, un autre militaire prenait le pouvoir : le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Malgré les pressions internes et externes, Abdel Aziz organise des élections auxquelles il se présente et qu’il finira par remporter.

L’étude des transitions démocratiques en Afrique n’a épargné aucun pays africain dans la mesure où l’ensemble du continent a embrassé ce vent de 136 Cf Riccardo Ciavolelle et Marion Frésia, « La Mauritanie, La démocratie au coup par coup »,

Politique Africaine, N° 114, juin 2009.

renouveau démocratique. La brise fine de la démocratie a soufflé sur le continent d’Est en Ouest du Nord au Sud, aussi bien en Afrique francophone qu’anglophone. Les pays lusophones, même avec des indépendances tardives humèrent aussi cette brise porteuse de changements réels.

Le vent fera-t-il vaciller les racines autoritaires sur lesquels les régimes africains ont germé ? On serait bien tenté de répondre à une telle préoccupation par la négative, dans la mesure où des reconfigurations autoritaires ont été notées après 1990. Avant d’aborder cet aspect réversible sur lequel la plupart des