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CONSOLIDATION VERSUS RESTAURATION AUTORITAIRE

2 LES LOGIQUES EXTERNES

B) CONSOLIDATION VERSUS RESTAURATION AUTORITAIRE

Plus de deux décennies après les bouleversements politiques intervenus en Afrique force est de reconnaitre que les différentes ouvertures politique n’ont été que de très courtes durée. On peut légitimement prétendre faire un bilan des transitions démocratiques en Afrique. A cet exercice on se rend vite compte que la conclusion est que le sentiment d’échec est le plus partagé aussi bien chez les chercheurs que chez les acteurs de la vie institutionnelle en Afrique.

S’il y a eu transition démocratique avec des élections concurrentielles et changement de régime dans plusieurs pays d’Afrique, force est de constater que la consolidation de ces acquis démocratique a été un échec. La période transitoire avait permis la mise en place d’institutions nouvelles et un cadre juridique répondant aux exigences de démocratisation.

La phase de consolidation devait correspondre à la légitimation des nouvelles institutions issue des transitions démocratique. Si, dans une démocratie, nous mettons l’accent sur les relations entre les institutions de la gouvernance, les institutions représentatives et la société civile, alors la consolidation pourra être considérée comme la construction de relations (plus ou moins) stables entre les institutions gouvernementales instaurées depuis peu, les structures intermédiaires en voie d’émergence et la société civile elle-même

1) LE RETOUR DE LA REGLE MILITAIRE

Nous nous intéresserons dans ce chapitre aux différents coups d’Etats qui ont eu lieu en Afrique après 1990. Ce sont ces coups d’Etat qui ont marqué un frein au processus de consolidation démocratiques et opéré un retour à l’autoritarisme, malgré l’euphorie du changement noté dans la décennie 1990. Le caractère irréversible de la démocratie libérale théorisé par Huntington se voit limité par des logiques de restauration autoritaire et de prétorianisme.

En 1994 le premier coup d’Etat post transition a eu lieu en Gambie, où le colonel Yaya Jameh renverse Dawuda Jawara. Après le renversement de Jawara, il y a eu des « abus de pouvoir flagrant de la part de la junte militaire »153. Le gouvernement aurait instauré le règne de la terreur, de l’intimidation et des détentions arbitraires. On note aussi « l’interdiction des partis politiques et l’interdiction aux ministres de l’ancien gouvernement de prendre part à des activités politiques. »154

Dans la même dynamique, les institutions nigériennes étaient remises en cause par le coup d’Etat en janvier 1996 du général Ibrahima Baré Mainassara, qui lui-même devait périr dans le second putsch en Avril 1999. La transition nigérienne a longtemps été comparé à celle du Bénin, mais avec ce double coup d’Etat, les données « ont notablement divergé, offrant des enseignements relativisant à la fois les certitudes de ceux qui croient au triomphe définitif de la démocratie et le scepticisme parfois excessif de ceux qui ont du mal à trouver quelque contenu démocratique dans les mutations politiques en cours sur le continent africain »155

La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été fortement marqués par le retour des militaires sur la scène politique. En Côte d’Ivoire, au Togo, en Guinée-Bissau, en Éthiopie, en République centrafricaine, au Tchad, au Soudan, en Angola, au Rwanda et dans de nombreux autres États africains, la 153 Prétoriat university Law Press, Sélection de documents-clés de l’Union Africaine relatif aux

droits de l’homme, Prétoriat, PULP, 2006. 154Prétoriat university Law Press, ibid.

155 Gazibo (M), « La démarche comparative binaire : éléments méthodologiques à partir d'une analyse de trajectoires contrastées de démocratisation », Revue internationale de politique

Comparée 2002/3 (Vol. 9), p. 427-449.

démocratisation ou la consolidation de réformes politiques ont été fortement entravées par l’ingérence régulière des forces armées dans les affaires politiques et économiques.

Le retour des militaires sur la scène politique s’explique par des raisons économiques et des revendications corporatives156. Par exemple, « En Ouganda, l’armée a le pouvoir de choisir dix députés issus de ses rangs. Dans certains cas, les forces armées opèrent de manière autonome et entretiennent même des intérêts commerciaux qui n’apparaissent pas dans leurs lignes budgétaires. »157

Cette dimension économique propice à l’irruption de l’armée sur la scène politique est aussi présente au Rwanda, où l’armée dispose d’une société qui lui permet de développer, d’acheter, de transformer et d’exporter des cultures à des fins commerciales158. De même en Angola, des militaires participent à la négociation de contrats avec les entreprises étrangères, siègent à des conseils d’administration et sont actionnaires majoritaires dans des sociétés de télécommunications159.

L’arrivée des militaires au pouvoir est toujours suivie d’une phase de recherche de légitimité. On note généralement deux procédés de légitimation des régimes autoritaires militaires issus de coups d’Etat. Dans la première stratégie, le coup d’Etat est suivi d’un retrait tactique permettant la tenue d’élections « remportées » par un ancien militaire ayant récemment abandonné l’uniforme, ce dont les organisations tant régionales qu’internationales se félicitent. C’est notamment ce qui s’est produit à la suite du coup d’État de 2008 en Mauritanie par le général Mohamed Ould Abdel Aziz.

L’autre stratégie consiste à se baser sur un recrutement d’ordre ethnique ou géographique pour maintenir un certain niveau d’allégeance, d’où des relations clientélistes, et une patrimonialisation du secteur très sensible de la sécurité. Cette stratégie illustre le cas de la Guinée depuis 1984 jusqu’à l’avènement du régime civil de 2010, mais aussi d’autre pays qui n’ont pas connu forcément de coup 156 Martin (M-L), Op.cit.

157 Houngnikpo (M), « Armées africaines : chainons manquant des transitions démocratiques »

Bulletin de la sécurité africaine, Centre d’étude stratégique pour l’Afrique, janvier 2012.

158 James Karuhanga, « RDF Expects Over 15,000 Tonnes of Cassava Harvest », New Times (Rwanda), 29 mars 2011, reprise par Houngnikpo (M), op.cit

159 Rafael Marques de Morais, « Angola: The Presidency—the Epicentre of Corruption »,

Pambazuka News, 5 août 2010, reprise par Houngnikpo (M), op.cit

d’Etat, mais dont les relation entre pouvoir politique et force militaire sont extrêmement imbriquées.

L’irruption de l’armée sur le champ politique au Congo confirme la fragilité de l’expérience démocratique en cours. Le pays ne parvient pas à extirper la violence du champ des compétitions politiques. Les conflits en Sierra-Leone, au Libéria et en Guinée-Bissau sont aussi révélateurs de cette faiblesse démocratique et institutionnelle.

Si l’on cherche une explication simple mais pas exhaustive des causes du retour des militaires en politique on mettra en exergue comme l’indique Babacar Guèye « L’incapacité des gouvernements démocratiques à promouvoir le développement économique et à faire respecter l’ordre et la loi »160

La multiplication des coups d’Etats, laisse planer le spectre que l’Afrique est en train de s’installer dans un cycle d’instabilité politique remettant en cause et hypothéquant les efforts et les résultats notés sur le continent durant la décennie 1990. Le dernier en date au Burkina-Faso qui a clairement opposé des factions de l’armée : RSP/reste de l’armée régulière témoigne d’un mal profond au sein de l’institution, mais aussi du degré du gout du pouvoir. Ce coup d’Etat qualifié de « bête » est assez particulier car intervenant non seulement à quelques jours des élections présidentielles, mais aussi en pleine période de transition après la chute du régime de Blaise Compaoré.

2) Les difficultés de consolidation des nouvelles institutions et de la

participation politique

La consolidation démocratique en Afrique durant les années 1990 s’est heurtée sur l’obstacle de l’institutionnalisation et de la participation politique. Si durant les années qui ont suivi les indépendances, le parti unique constituait l’excuse des dirigeants pour se soustraire au multipartisme, limitant la participation politique, la phase de démocratisation impulse un nouveau souffle à la dynamique participative.

160 Guèye (B), op.cit.

Après la phase de transition démocratique qui a consacré le pluralisme politique, la participation politique demeure toujours au cœur des problématiques de la démocratisation en Afrique. Le vote constitue le principal mode de participation, compte tenu de son institutionnalisation conventionnelle. Or, les périodes d’élections sont des moments très redoutés en Afrique, car porteurs de fortes tensions sociales et de risques d’affrontements multiples.

Les élections ne sont pas toujours synonymes d’institutionnalisation de la participation ou changement démocratique. On note un statu quo après les élections, ce quoi constitue un processus de relégitimation autoritaires par rapport aux exigences de la communauté internationale.

Les violences électorales on donner lieu à de nombreuses études, surtout celles consacrés aux élections dites de la transition démocratique des années 1990 . En 2007 et 2008 la revue Politique Africaine consacre deux volumes à cette thématique. Selon Laurent Fouchard, « la multiplication des groupes armés et l’incapacité de l’Etat fédéral à maintenir le monopole de la violence renvoient à un débat plus général sur l’Etat en Afrique. »161

Les ONG de défense des droits humains et les organisations régionales (UA) et sous régionales (CEDEAO) prennent part aussi à cette production pour mettre à jour les limites de la démocratisation en partant même des élections. Les conflits électoraux et la violence politique ont caractérisé les processus de démocratisation en Afrique, révélant des faiblesses dans la gestion des élections et dans les règles en vue d’une compétition politique saine, ainsi que l’absence d’un pouvoir judiciaire impartial pour interpréter et statuer sur les différends électoraux. La baisse de la participation est en partie liée aux violences. Les jours de vote sont accompagnés de tensions latentes qui peuvent déboucher sur des affrontements pouvant aller jusqu’à la perte en vies humaines.

Par ailleurs, au-delà des violences, on note la faiblesse dans l’organisation et la gestion des scrutins. Même si à la suite de Céline Thiriot, on note que « les phase de transition ont vu l’émergence de cadre institutionnel nouveaux consacrant la 161 Fouchard (L), “ Le Nigeria sous Obasanjo. Violence et démocratie, Politique Africaine, N°106, 2007.

cogestion du pouvoir »162, force est de reconnaitre que ces organes de cogestion issus des transitions et institutionnalisés par les régimes post transitions n’ont pas toutefois permis de mettre en place un cadre opérationnel, pertinent dans la prise en charge de l’organisation du processus électoral.

Les fraudes et les contestations en amont et en aval du processus électoral sapent la bonne marche de la démocratie naissante, et ceci nonobstant l’institutionnalisation des commissions électorales nationales. A ces insuffisances processuelles, s’ajoutent que les restaurations autoritaires s’accompagnent de musèlement d’opposants, de restriction de droit de manifestation ou de liberté de la presse.

3) Les contraintes économiques à la démocratisation.

La question de savoir si les facteurs économiques influencent sur les performances démocratiques est ancienne et très présente dans la littérature de la démocratisation. Les travaux de Lipset sur les pré-requis démocratiques en sont une illustration. Le thème essentiel du travail et de la réflexion de Seymour Martin Lipset a porté sur les conditions, les valeurs et les institutions de la démocratie, à la fois aux États-Unis et de manière comparative. C’est essentiellement à partir de la publication de son article en 1959163, mais aussi de son ouvrage publié en 1960164, que Lipset s’est davantage intéressé à la question de la démocratie.

En Afrique les contraintes économiques ont pesé dans la poursuite des transitions démocratiques entamées durant la décennie 1990. On retrouve une fois de plus le lien étroit entre développement économique et démocratisation. L’idée de fond de la corrélation entre démocratie et développement économique peut être schématisée de la manière suivant : l’amélioration des conditions de vie des populations est censée passer par la croissance économique dont devrait découler la démocratisation des régimes politique, laquelle serait à son tour un accélérateur du développement.

162 Thiriot (C), op.cit.

163 Lipset (S.M), “ Some Social Requisites of Democracy, Economic Development and Political Legitimacy”, American Political Science Review 53, 1959, p. 69-165.

164 Lipset (S.M), Polictical man: The social bases of politics, Baltimore, Johns Hopkins University press 2ème ed, 1981, (pub. Originale 1960).

La pauvreté entraine inexorablement une baisse de la participation politique. A preuve, il est assez fréquent d’entendre sur le terrain des citoyens ordinaires brandir l’expression « ils sont tous pareils. » « Ils ne sont là que pour leurs intérêts personnels et ceux de leur famille ». Face à l’incapacité des régimes issus des transitions démocratiques de faire mieux que les régimes autoritaires précédents, le sentiment de désenchantement démocratique165 demeure le mieux partagé.

La conséquence liée à ce désenchantement, donne le constat que la plupart des revendications démocratiques en Afrique deviennent des revendications d’ordre matériel, et corporatistes. Ces revendications pour la plupart du temps portées par les syndicats de travailleurs pour une revalorisation des conditions de financières, mais aussi les syndicats d’étudiants pour réclamer plus de bourses.166 Tout devient urgence. Dans des pays où secteur privé demeure faible, et compte tenu de l’héritage du jacobinisme étatique à la française, toutes les attentes des populations sont orientés vers l’Etat qui doit les satisfaire. Elle finit par devenir une obligation dans la mesure où certaines revendications sont issues de promesses électoralistes que les populations conservent précieusement dans leur mémoire.

C’est pourquoi ces revendications matérielles ont fini par avoir raison sur beaucoup de régimes issus des transitions démocratiques. Ils ont permis par ailleurs la légitimation des coups d’Etat qui ont emporté des gouvernements légitimement élus. Au Niger par exemple, « A la veille du coup d’Etat de 1996 qui sanctionna finalement ces crises, le gouvernement démocratique était en rupture avec tous les secteurs sociaux, notamment les syndicats et les étudiants. Bien qu’ils se soient battus pour la démocratie, ces syndicats, les seules forces qui auraient pu servir de contrepoids contre le putsch, ont soutenu le renversement du gouvernement. »167 Celui-ci était certes démocratique, mais il était synonyme de salaires impayés et de mesure d’austérité impopulaires découlant des plans d’ajustement structurel. Les revendications économiques et politiques fortement 165 Titre d’un ouvrage de Pascal Perrinau, Le désenchantement démocratique, Paris, L’Aube, 2003. C’est une preuve que le système représentatif souffre d’un déficit de participation citoyen, d’un sentiment de dégout à l’endroit du système politique lui-même, qu’il soit démocratique ou non.

166 Gazibo (M), Introduction à la politique africaine, Montréal, Presse de l’université de Montréal, 2006.

167 Gazibo (M), ibid., P 187.

liées, sont des facteurs d’instabilités institutionnelles, or l’instabilité institutionnelle conduit à d’éternels recommencements des acquis précédents.

Si certains auteurs estiment que les PAS ont été un facteur externe du déclenchement du processus démocratique, force de constater avec le recul, que ces programmes combinés à la dévaluation du franc CFA ont eu des impacts négatifs dans les secteurs du travail, de l’éducation et de la santé, avec des conséquences sociales directes qui affectent la stabilité des régimes démocratiquement élus. Face à ces difficultés économiques et sociales, le luxe de la démocratie s’effrite et laisse la place à un désenchantement.

CONCLUSION DE PARTIE : DEMOCRATISATION OU LE PRISME DE