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La déstructuration administrative

LE REGIME DE LANSANA CONTE : DEMOCRATISATION SOUS FORME DE RESTAURATION AUTORITAIRE

A) L’institutionnalisation et la consolidation du pouvoir militaire

1) La déstructuration administrative

Les réformes institutionnelles aussi pertinentes soient elles ne sauraient conduire à une poursuite de la transition démocratique si elles buttent sur une administration déstructurée et incapable d’appliquer les réformes entreprises. Cette déstructuration est à chercher dans la dimension de production de l’administration en Afrique. Les études portant sur l’administration en Afrique présentent cette dernière aux antipodes du modèle wébérien sur lequel repose l’administration dans les pays industrialisés, et qui paradoxalement sert de modèle au système administratif africain. « Paradoxalement, alors que l'essentiel des programmes d'ingénierie administrative et de réforme des Etats depuis les indépendances ont porté sur la refonte du fonctionnement des administrations, la connaissance de la culture des administrations des Afriques est particulièrement défaillante (Ngouo, 2000; Darbon, 2001; Raffinot & Roubaud, 2001).. »232

La désorganisation administrative en Guinée, sa subordination, son manque d’autonomie et sa militarisation ont été des facteurs bloquant du processus de transition démocratique. Elle est l’œuvre d’une part d’une forte militarisation du système administratif, et d’autre part d’un manque de maîtrise sur les effectifs, qui résulte du recrutement même des agents de la fonction publique.

232 Dominique Darbon, « La Culture administrative en Afriques : la construction historique des significations du «phénomène bureaucratique» », Cadernos de Estudos Africanos , 2002, http://cea.revues.org

a) La militarisation de l’administration publique

Depuis la fin de la première République, des réformes de l’administration ont été introduites notamment avec les plans d’ajustement structurels (PAS) imposées par les institutions de Bretton Woods. Ces PAS avaient notamment pour but le dégonflement des effectifs de la fonction publique, même si des effets négatifs ont corroboré à ces politiques, elles avaient pour but essentiel une diminution de la masse salariale de l’Etat d’une part et le développement de la privatisation d’autre part.

Ces PAS devaient se greffer sur une administration marquée par une forte militarisation. La militarisation de l’administration s’est faite assez naturellement dans la mesure où à leur accession au pouvoir, les militaires n’ont rencontré aucune résistance. Ce fut même au contraire dans une immense liesse populaire. Dès lors le quadrillage administratif des militaires233 allait se faire dans une sorte d’indifférence de la part des citoyens. Ce contexte marqué par une absence d’opposition politique et d’organisation de la société civile, aucun contre-pouvoir n’était disponible pour contrer l’armée qui avait fini de déployer son hégémonie sur l’ensemble de l’administration guinéenne.

Le pouvoir militaire s’est imposé au niveau du commandement de l’administration territoriale, appliquant sans réserve la politique dictée par le pouvoir central. « La première décision, après la suppression du Parti-Etat et l’arrestation d’une centaine de ses hauts responsables, est de limoger les gouverneurs des 30 régions administratives et de les remplacer par des officiers de l’armée, de la gendarmerie ou de la police.»234 D’un seul coup, l’ensemble du personnel de commandement de l’administration territoriale est à leurs ordres. Ils se prémunissent ainsi contre toute velléité de réaction pouvant émaner de cadres politiques locaux. Ils tiennent de la sorte le pays.

233 Charles (B), op.cit.

234 Charles (B), « Quadrillage politique et administratif des militaires ? », Politique africaine,N° 36, Paris, Karthala, p. 9

En Guinée, l’administration a été militarisée au même titre que le reste des rouages de l’Etat. Cet état de fait a continué tout au long du règne de Lansana Conté. Ainsi, sur les trente-trois préfets que comptaient le pays entre 2005 et 2010, trente étaient des militaires. Au niveau des sous-préfets, cinquante sur trois cents. L’ensemble des gouverneurs de région étaient militaires durant cette même période, c'est-à-dire huit gouverneurs militaires.235

Cette militarisation avait pour but, de favoriser et de mobiliser des soutiens locaux à travers la création du groupe de soutien pro junte et d’organisations de jeunes qui ont vu le jour dans toutes les provinces.

Ces pratiques ont été beaucoup plus marquées après le second Coup d’Etat militaire. Cette militarisation de l’administration affecte aussi le processus électoral qui est une étape majeure à la réalisation de la transition démocratique. Le lien entre l’administration publique et la démocratisation est à chercher dans l’organisation des scrutins. Le processus électoral est porté par l’administration qui doit offrir des garantis d’impartialité vis-à-vis des différents protagonistes du jeu électoral.

Pour le cas de la Guinée, plusieurs limites et manquements ont été observées durant les différentes phases des différents scrutins qui mettent en cause les structures administratives. L’Administration publique à travers les différents ministères a la charge d’organiser et de gérer le processus électoral. L’administration guinéenne s’est appropriée durant la dictature militaire de Lansana Conté cette idée maitresse des régimes autocratiques « on n’organise pas des élections pour les perdre. »236 Elle se déploie à travers les organes de gestion des élections. Elle est devenue la clé de voûte du processus de démocratisation dans bon nombre pays de l’Afrique de l’ouest.

En amont de l’organisation du scrutin, se trouve l’épineuse question du fichier électoral. Une certaine opacité entoure la révision et la gestion de ce dernier. Les formations politiques n’ont pas toujours les moyens techniques pour vérifier les informations véhiculées par l’administration électorale.

235 Ministère de l’Intérieur, données sur l’organisation de l’administration territoriale.

236 Kokoroko (D), « les élections disputées : réussites et échecs, Le Pouvoir, N° 129/2, 2009 PP 115-125

Cette opacité a fait que « depuis l’élection présidentielle de 1993, puis celle législative de 2002 et après la présidentielle de 2003 jusqu’en 2006, les élections ont été boycottées par la majorité des formations politiques dit de l’opposition radicale au régime du général Lansana Conté. »237

Selon le MATAP (Ministère des affaires territoriales et de l’administration publique) en août 2008, le recensement des électeurs est lancé. Il a connu plusieurs interruptions qu’on peut interpréter d’indépendance et de transparence de l’administration en charge de la mise en application de la mesure.

« Dès le 04 janvier 2009, une ordonnance du CNDD (le nouveau pouvoir militaire), fait de la CENI, l’organisatrice des élections en République de Guinée avec comme partenaire technique le ministère de l’Administration du territoire et des affaires politiques. Pour la classe politique guinéenne, c’était une avancée significative pour l’achèvement du processus de recensement des électeurs et pour des élections transparentes et juste en Guinée. Dans cet optimisme, le forum des forces vives se constitue, regroupant partis politiques, syndicats, organisations religieuses et de la société civile, formulant un plan de transition qui prévoit la tenue d’élections générales avant fin 2009. Le forum obtint du CNDD la constitution d’un comité ad hoc chargé de réfléchir sur la faisabilité d’un tel chronogramme. »238

La CENI est créée par la loi 2007/013/29 d’octobre 2007. Elle a été en charge de l’organisation des élections, de la prise de décision et de l’exécution depuis l’inscription sur les listes électorales en passant par la distribution des cartes d’électeur jusqu’à la proclamation des résultats provisoires. Elle est dotée d’une personnalité juridique et de l’autonomie financière, elle veille à ce que la loi électorale soit appliquée. Sa structuration est transparente puisque composée de la sorte : voir tableau suivant.

237 Mission d’observation électorale de l’Union européenne en République de Guinée Rapport final – élections législatives septembre 2003.

238 Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, « Elections présidentielles 2010 : rapport de synthèse, Guinée 26 Mars 2011.

Tableau N° 2: Composition de la CENI

Structures représentées Nombres

Majorité présidentielle 10

Partis politiques d’opposition 10 Organisations de la société civile 3

Administration 2

Source : MATAP, 2013.

Malgré ce cadre légal et institutionnel favorable à une transition politique réussie, les difficultés et limites sont notées sur le terrain. Des représentants de partis politiques font des remarques sur les insuffisances notées lors des campagnes de distribution des cartes d’électeurs. On favorise une distribution plus intense dans la basse Guinée bastion politique du PUP partie au pouvoir à forte densité soussou.

b) La question du recrutement

La militarisation n’est pas le seul obstacle à l’efficacité de l’administration publique, qui affecte aussi le domaine politique et économique. La gestion liée au recrutement, à l’encadrement, la formation l’avancement en termes de grades et le renouvellement du personnel administratif est au cœur du débat. Le recrutement butte sur la question ethnique (que nous aborderons à la section suivante), l’encadrement et la formation des cadres administratifs est de très faible niveau dans la mesure où selon des témoignages il s’agit pour la plupart du temps de cooptation dans les rangs du parti, abstraction faite de toutes compétences.

-Au niveau des ressources humaines :

La qualification des ressources humaines reste très insuffisante. Le problème est lié aux modes de recrutement qui ne sont pas basés sur un critère méritocratique. La création d’une Ecole nationale d’administration censée former les cadres administratifs est jusque-là à l’état de projet pour le nouveau gouvernement issu des élections de 2010.

« Si l’ENA est un des projets phares du quinquennat du président Alpha Condé, il constitue au-delà, un passage vers la dépolitisation de l’administration guinéenne

en la rendant entièrement professionnelle. » 239L’administration doit être exclusivement au service du peuple et du développement. La future ENA de Guinée doit être une institution d’excellence conforme aux meilleurs standards internationaux tout en restant adaptée à la réalité de la société et de l’administration guinéenne.

Là aussi contrairement à ce que nous pensions que la création d’une ENA pouvait résorber le gap d’une administration défaillante, les experts chargés de mettre en place cette école émettent des réserves sérieuses. La future ENA ne mettra pas fin au recrutement clanique et partisan. Même si un concours sélectif est organisé, la proclamation des résultats définitifs est du ressort de l’administration. A ce niveau il put exister des écarts importants entre les vrais résultats du concours et les résultats proclamés par l’administration.

Après plus de cinquante ans d’indépendance, le recrutement du personnel de la fonction publique s’est fait par cooptation et par réseau clientéliste et ethniciste. Le critère du mérite est relégué au second plan, et l’armée demeure au cœur des manœuvres, dans la mesure où les représentants de l’exécutif au niveau des régions départements et communautés rurales de développement sont des militaires pour la plupart du temps. Ils sont censés appliquer au niveau de la base les décisions du pouvoir central.

Par ailleurs, se pose la question du vieillissement du personnel. Les départs à la retraite sont rares du fait de l’inexistence d’une gestion prévisionnelle des ressources humaines. « Le vieillissement de la fonction publique, lié au gel des recrutements, ne favorise pas l’émergence de savoir-faire et de comportement nouveaux au sein de l’administration. En outre, ce déséquilibre croissant de la pyramide des âges des fonctionnaires est porteur d’effets à terme considérables, d’abord sur le besoin de former des jeunes susceptible d’assurer la relève, ensuite sur la nécessité de réformer la système d’assurance vieillesse »240

-Les conditions de travail

L’administration butte sur des conditions de travail très rudimentaires. Les moyens de travail sont globalement obsolètes et inadéquat (installations,

239 Kourouma Sékou, Ministre de la fonction publique guinéenne.

240 Mamadou O Diallo, « La réforme de l’Etat et de l’administration publique guinéenne »,

www.guinéenews.com

équipements informatique, moyen de communication, archivage). Le manque de planification est souvent soulevé pour indexer la question des conditions de travail des agents administratifs. La communication administrative reste toutefois archaïque du fait de l’insuffisance des actes administratifs. Quand on plonge au sein de ces derniers on se rend compte de la violation flagrante de certaines règles et procédures.

-Sur l’organisation du travail

On note que l’administration publique guinéenne est dépourvue de mécanismes de contrôle et de sanction « la structuration d’ensemble de l’appareil administratif et l’affectation des ressources ne répondent pas aux exigences d’une stratégie de développement fondée sur l’essor du secteur privé et un rôle majeur de la société civile dans la gestion du développement.»241

Ces dysfonctionnements sont liés au processus d’institutionnalisation de l’Etat en Guinée qui s’est faite dans la douleur. L’armée principale protagoniste du contrôle de l’Etat a aussi miné le reste des institutions publiques et administratives par sa politique redistributive qui a exacerbé certaines pratiques mafieuses telles que la corruption.

«Les fonctionnaires et les populations rurales ne parlent pas le même langage, ne se réfèrent pas aux mêmes valeurs, ne se définissent pas par rapport aux mêmes objectifs ; ces administrateurs ne sont excellents que pendant les élections où ils déploient toute leur imagination créatrice pour tromper le peuple et bourrer les urnes au profit de Lansana Conté ou de la mouvance présidentielle.»242 Or, une ouverture active des fonctionnaires sur le milieu (observer, écouter, comprendre) permettrait de découvrir, par-delà les différences d’opinion et de comportement, des intérêts communs. Une coopération pourrait alors s’établir à travers laquelle se constitueraient des éléments d’une véritable communication.

Ce malaise est aussi souligné par le rapport du PNUD, « Evaluation des capacités pour l’atteinte des OMD en Guinée (Objectifs du Millénaire pour le Développement) qui fait le constat « que l’administration publique guinéenne est caractérisée par son incapacité à fournir des services adéquats, aussi bien en 241 Mamadou O Diallo op.cit.

242 Soumah (M), Guinée : la démocratie sans le peuple dans le régime de Lansana Conté, Paris L’Harmattan, 2006, P 149

termes de qualité que de quantité.»243 Les services de base tels que l’électricité et l’eau sont très limités, avec des investissements inadéquats, mal appropriés ou mal ciblés, résultant en des infrastructures inadéquates, incapables de fournir l’électricité ou de l’eau potable à la majorité de la population de façon régulière et stable. La fourniture de services sociaux (santé et éducation) est également mauvaise

Au final, ces dysfonctionnements ont eu un impact négatif sur le développement économique politique et social du pays.

*Sur le plan économique une certaine régression a été notée selon un ancien ministre du régime du PDG qui fustige le discours qui est à la mode et qui fait état de cinquante ans de retard. « Quand le PDG quittait le pouvoir, la Guinée disposait de plus de cent cinquante unités de production. Que sont-elles devenues ? Toutes ces sociétés et entreprises ont été tuées sous la 2e république. Qu’on arrête de dire cinquante ans de retard. C’est à partir de 1984 que le pays a commencé à sombrer, que les auteurs de vols et de détournement de deniers publics sont devenus des anges, des personnes bénies. Sous la première République, même le fou savait que les deniers publics étaient sacrés et intouchables. »244

*Sur le plan politique, ces dysfonctionnements ont marqué un frein au processus démocratique. La transition vient butter sur une administration militarisée et les espoirs de réussir une transition politique dans la période 2006 -2008 étaient devenus quasi nuls.