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LES PROCESSUS DE TRANSITIONS DEMOCRATIQUES EN AFRIQUE : ESSAI D’INTERPRETATIONS

A) ETATS DES LIEUX ET LOGIQUES DES TRANSITIONS AFRICAINES

II) LES LOGIQUES INTERNES ET EXTERNES EN FAVEUR DES TRANSITIONS

1) LES LOGIQUES INTERNES

1) LES LOGIQUES INTERNES

Plusieurs facteurs ont concouru à la chute de régimes autoritaires en Afrique à partir des années 1990. Nous identifions trois facteurs internes qui ont particulièrement pesé sur les processus de transition politique en Afrique. Il s’agit de la montée en puissance d’une société civile exigeante, ensuite la libéralisation

de la presse et dans certains pays du sahel, la sécheresse et la famine de la fin des années 1980, exacerbent les revendications pour de meilleures conditions de vie.

a) L’apport de la société civile

Plusieurs travaux mettent en exergue la société civile et la démocratie en Afrique (Thiriot, Otayek). L’émergence de la société civile en Afrique, abstraction faite de ses définitions scientifiques (Hobbes, Locke, Gramsci) est fondamentalement liée à la critique de l’Etat post-autoritaire.

Le sens moderne du concept est attaché à un travail plus général de redéfinition de l’ensemble des rapports entre État et société civile. Il part de la définition de Gramsci pour qui « la société civile correspond à “l’ensemble des organismes vulgairement dits ‘privés’ […], ils correspondent à la fonction d’hégémonie que le groupe dominant exerce sur toute la société. »137

Même si le concept de société civile demeure assez flou, il existe un certain consensus autour de la notion. L’approche de Berger est assez reprise. Il considère la société civile comme «la vie économique, sociale et culturelle des individus, des familles, des entreprises et des associations dans la mesure où elle se déroule en dehors de l’État et sans visée politique, en ignorant la double logique, idéologique et de souveraineté, de la vie politique, en recherchant, par contre, soit la satisfaction des besoins ou des intérêts matériels, soit le soin des autres, la convivialité, le bonheur privé, l’épanouissement intellectuel ou spirituel. » 138

C’est pourquoi Céline Thiriot parle de « redécouverte ».139 Cette « redécouverte est à la faveur des transitions démocratiques. Prenant exemple sur le Mali, l’auteure souligne « Le Mali est en effet un pays où la société civile est parvenue à exercer une forte pression sur les dirigeants en place, allant jusqu’à les renvoyer du pouvoir. »140

Il s’agit d’une négation de l’Etat autoritaire qui se retrouve dévalué. Ces critiques à l’endroit des régimes autoritaires est la résultante des différentes crises 137 Gramsci A, cité par Thiriot (C), op.cit.

138 Berger (G), “La société civile et son discours”, Commentaires, (46-47-48-49-50-51), 1989-1990.

139 Thiriot (C), Rôle de la société civile dans la transition et la consolidation démocratique en Afrique : éléments de réflexion à partir du cas du Mali », Revue internationale de politique comparée 2002/2 (Vol. 9), p. 277-295

140 Thiriot (C), ibid.

qui ont secoué l’Etat en Afrique subsaharienne. Il s’agit notamment de la situation d’échec et de l’incapacité pour l’Etat d’assumer ses desseins économiques et politiques. On note un glissement de la critique de l’Etat autoritaire à celle de l’Etat comme institution, stigmatisé comme inutile, corrompu, lourdement bureaucratique, budgétivore et donc condamné à céder le pas à l’initiative privé, au secteur informel et au dynamisme associatif.

Le dynamisme associatif est une réponse de solidarités spontanées face à des situations de crises et de difficulté. L’Etat a en quelque sorte lui-même jeté les bases fondatrices sur lesquelles éclot la société civile. A l’indépendance l’Etat africain s’est porté garant du bien-être et du développement des populations. Quelques années plus tard on se rend compte qu’une telle garantie était plus une poudre aux yeux qu’une volonté politique de prendre en charge les destinées économiques sociales, culturelles des citoyens. Le dynamisme associatif est une réponse au vide laissé par l’Etat, face aux difficultés conjoncturelles.

C’est dans ce dynamisme associatif qu’il faut placer les conférences nationales souveraines qu’on a connu en Afrique durant la décennie 1990. On les appelle souvent « conférences nationales des forces vives de la nation ». Ces conférences qui, dans certains pays africains ont été un événement clef de la transition démocratique, ou même inauguré cette transition comme le cas du Bénin ont été suffisamment analysées et elles ont permis de construire un modèle d’analyse du politique qui est authentiquement africain. Elles constituent un modèle d’analyse dans la mesure où certains auteurs les comparent aux Etats-généraux en France en 1789.

Même si elles constituent une approche privilégiée de l’analyse des transitions démocratiques africaines, notamment en mettant un exergue le rôle et l’apport de la société civile, force est de souligner que les conférences nationales ont eu des fortunes diverses. La pertinence des résultats politiques issue de la tenue de ces assises est liée au degré d’organisation de la société civile.

b) Les médias et la démocratisation

Un autre aspect aussi important que l’on retrouve dans les logiques internes la libéralisation de presse. Elle s’accompagne d’une montée en puissance des constatations populaires vis-à-vis des régimes autoritaires. L’apport de la libéralisation de la presse est que la contestation se fait partout sentir. Elle quitte les centres urbains où elle a été longtemps confinée pour se répandre sur l’ensemble de l’espace social.

Quand on parle de média il s’agit des médias privés, opposés à ceux du public. Les médias publics sont souvent accusés de favoritisme et de soutien au chef de l’Etat. Ce soutien s’accentue d’avantage dans un contexte d’absence d’autorité de régulation de l’audiovisuel. Dans le cas où ces autorités existent leur manque de neutralité vis-à-vis des différentes sensibilités politiques aggravent la complicité. Pour Marie Soleil-Frère, « pour que des élections puissent être qualifiées de libres et démocratiques, non seulement elles doivent se dérouler dans des conditions politiques et administratives adéquates, mais il est fondamental que les citoyens disposent d’un accès suffisant à l’information relative aux partis, aux candidats et au déroulement des opérations de vote, afin de garantir que leur choix est posé en connaissance de cause ».141

Dans le cadre de l’analyse de la presse en contexte de transitions démocratiques, notons qu’elle a vu le jour simultanément avec les partis politiques d’opposition, d’où des relations parfois privilégiées entre presse privée et parti politique d’opposition. Cette réappropriation de la presse privée par les partis d’oppositions est à l’origine de pression et autres formes d’intimidation à l’encontre des journalistes. Or depuis le déclenchement de processus de libéralisation politique et économique accompagné de la libéralisation de la presse, le caractère démocratique des régimes est aussi noté à travers le respect des libertés de presse.

Des révisions constitutionnelles et légales entérinent le pluralisme médiatique et les dirigeants, nouvellement élus, ou convertis à la démocratie pour sauver leur pouvoir déclare leur attachement à la liberté de la presse.

141 Frère (M-S), « Pas d'élections démocratiques sans médias libres et pluralistes », Afrique

contemporaine 2011/4 (n° 240), p. 152-155.

C’est la période où l’on convoque régulièrement, à l’intérieur comme à l’extérieur du continent, l’esprit des Lumières : les références à Montesquieu, à la Révolution française sont omniprésentes. Les journaux adoptent des titres (Le Républicain, Le Démocrate, Le Citoyen, L’Indépendant, L’Œil du peuple, L’Observateur142…) qui rappellent effectivement ceux de 1789 en France et choisissent des devises tout aussi significatives

Depuis le début des années 2000 la question de la dépénalisation des délits de presse constitue une opération de charme que les régimes utilisent pour se parer d’un soi-disant respect de la diversité des opinions. Or, on se rend compte que des journalistes emprisonnés un peu partout dans les pays africains est encore d’actualité.

La montée en puissance de la société civile, et la libéralisation de la presse n’ont de sens que s’il y a matière à contestation allant dans le sens de faire fléchir les régimes autoritaires. Le déclenchement des processus de transitions démocratiques s’analyse aussi sous l’angle de la détérioration de la situation économique et sociale.

c) Sécheresse, famine et revendications sociales et démocratiques

L’Afrique au sud du Sahara a connu des épisodes de sécheresse qui se sont répercutées sur la production agricole et le cheptel. Dans le cas du Mali par exemple « 40% du cheptel est perdu. Le déficit extérieur atteint 260000T en 1973 et 400000 T en 1974. »143 Dans des zones où plus de la moitié des populations vivent en milieu rurale, l’agriculture familiale est la principale source de revenu. A cela s’ajoute le lien quasi ombilical entre villes et campagne. La campagne produit ce que la ville consomme. Dès les crises de sécheresse qui affectèrent certains pays africains ont eu des conséquences dans les villes où les émeutes de la faim ont éclaté un peu partout.

Cette dimension revendicative est peu étudiée dans la littérature sur les transitions démocratiques en Afrique et la chute des régimes autoritaires. Il existe une relation étroite entre faim et politique comme le soulignait depuis fort longtemps Josué 142 On retrouve Le Républicain au Niger, au Mali et au Bénin ; Le Démocrate au Niger, au Togo et au Mali ; L’Observateur au Tchad, au Burkina Faso, au Mali et en RDC ; L’Œil du peuple au Bénin et en Côte d’Ivoire; L’Indépendant au Burkina Faso, au Cameroun, en Mauritanie, au Niger et en Guinée; Le Citoyen au Burundi et en Guinée.

143 Diarra (A), Démocratie et droit constitutionnel dans les pays de francophones d’Afrique noire :

le cas du Mali depuis 1960, Paris, Karthala, 2010.

de Castro « peu de phénomènes ont influencé aussi intensément sur le comportement politique des peuples que le phénomène alimentaire et la tragique nécessité de manger. »144 Derrière ce besoin vital, se dresse des questions sociales (réduire les inégalités) et politiques (éviter les conflits).

Il existe un lien étroit entre faim, médias et revendications. La faim n’échappe évidemment pas aux effets de la médiatisation. Un traitement émotionnel de l’information permet de fabriquer l’indignation, quand il ne facilite pas le travail de dénonciation croisée et la quête des responsabilités. Le travail des journalistes permet aussi de rendre compte des controverses et de dénoncer certains silences145. Le choix de l’information et l’intensité avec laquelle elle est relayée jouent un rôle important dans la construction de l’objet crise de la faim.

A côté de la faim, les PAS (nous y reviendrons dans le développement des logiques externes) ont eu aussi des effets déterminants dans le déclenchement des mouvements contestataires. Les répercussions socio-économiques des PAS à la fin des années 1980 sont nombreuses, dans un contexte de faiblesse du secteur privé, l’Etat africain était le principal recruteur de pourvoyeur d’emplois. Il en résulte des recrutements à la fonction publique qui ont fini d’alourdir le budget de fonctionnement. Deux conséquences majeures apparaissent dans ce contexte. D’une part la lourdeur et l’inefficacité bureaucratique qui retiendra moins notre attention, et d’autre part un frein considérable à l’investissement.

La fonction publique devient budgétivore et la masse salariale est difficilement prise en charge par l’Etat. Les PAS avaient pour but de réduire la masse salariale de l’Etat et de favoriser le libéralisme économique, la privatisation des sociétés nationales. Les conséquences sociales de ces politiques d’austérité ont précipité la chute de certains régimes et favorisé des transitions dans d’autres.

L’analyse des transitions africaines gagnerait en pertinence avec la prise en compte de la sociologie des crises politique. Ainsi Céline Thiriot note qu’ « avec la sociologie des crises politique, les transitions sont analysées comme des situations de crise, dans leur double dimension conjoncturelle et structurelle. La 144 De Castro (J), Géographie de la faim, Paris, Seuil, 1964

145 Voir Alou (M T), La crise alimentaire de 2005 vue par les médias», Afrique contemporaine, n° 225, 2008, p 51.

transition commence lorsqu’ au mode routinier de fonctionnement de la société, organisée en secteurs sociaux, succède un mode critique, la crise. »146 Les crises se traduisent par des bouleversements, sous l’effet des mobilisations multisectorielles, des rapports habituellement en vigueur entre les groupe sociaux.

Selon Banégas, rapportée aux transitions, cette théorie des crises politiques peu prises en compte dans la littérature sur les processus de transition démocratique, permet de prendre en compte leur incertitude structurelle et pas seulement conjoncturelle, les structures et les rapports sociaux subissant des modifications sous l’effet des mobilisations.

Les transitions africaines sont avant tout des crises. De ces crises naissent des moments pendant lesquels la politique cesse d’être l’apanage de groupe restreints pour mobiliser des secteurs plus larges des sociétés africaines. Cet élargissement temporaire comme le souligne Jean-Pascal Daloz « entretient un rapport étroit mais trompeur avec la problématique de la démocratisation. La conjoncture critique favorise l’engagement de larges fractions de la population à travers des mobilisations collectives, ou au moins un intérêt pour la chose politique véhiculé par communication orale. »147