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Chapitre 4 : Résulats

4.5. Les conséquences sur la trajectoire familiale

4.5.1 Transition précoce vers l’âge adulte

Il est important de considérer la transition précoce vers l’âge adulte dans le développement de l’individu. En effet, la majorité des entrevues ont mis en évidence l’acquisition rapide des tâches liées aux rôles survenant habituellement plus tard dans la vie d’une personne telles que veiller au budget, prendre soin d’autres personnes, etc. L’acquisition de ces responsabilités entraîne forcément une cascade de changements chez l’individu. Il devient donc nécessaire de ne pas considérer la prochaine section comme des sous-sections distinctes, mais plutôt comme étant un ensemble dynamique d’éléments contribuant à la trajectoire de vie de l’individu.

4.5.1.1. Rôle instrumental

Cinq participantes ont rapporté s’être occupées du bon fonctionnement de la maison, parfois dès l’enfance. Ainsi, elles ont veillé aux repas, au lavage, au ménage et au paiement des factures. Quelques participantes expliquent avoir pris cette responsabilité, sous l’impression que personne d’autre ne voulait l’assumer. Certains parents atteints étaient célibataires et en situation de monoparentalité. Lorsque les symptômes étaient exacerbés, ces derniers avaient parfois du mal à maintenir le bon fonctionnement de la maison. D’ailleurs, les cinq participantes semblent avoir toutes une mère qui présente un état plus grave de son trouble de santé mentale.

Je faisais beaucoup les repas, je lui rappelais de faire la lessive, le lavage. Quand mon frère est arrivé, je me suis énormément occupée de mon frère et même le passé par-dessus tout. (Participante 2)

Vers 16-17 ans, là je voyais plus à ce qu’on ne manque de rien, que les comptes soient payés puis que tout soit normal. (Participante 3)

[…] À la maison aussi, on dirait j’ai pris un rôle de…je voulais aider. Je me rappelle, je me levais vers 5-6h, parce que j’avais pris l’habitude de me lever à

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cette heure. Je ne sais pas pourquoi, en tout cas, je me levais de bonne heure. Je faisais mon lit, je faisais le déjeuner à mon frère, ma sœur. […] (Participante 4) Donc le soir, les soupers, les devoirs, j’avais mes devoirs à faire, c’est moi qui prenais comme le relais. Même avec ma mère, c’était moi qui disais « bon faut que tu te lèves, faut que tu manges, faut que… » […] Le souper, le ménage, le lavage…je ne me rappelle même pas depuis quand je fais mon lavage tellement que ça fait longtemps. (Participante 7)

Mes parents n’avaient même pas besoin de me demander, je passais l’aspirateur, je pliais le linge. J’aimais les aider. J’aimais beaucoup les aider. (Participante 8) Ces extraits illustrent le rôle instrumental que ces participantes ont dû occuper très tôt dans leur développement. Contrairement aux trois autres, les participantes 3 et 9, ayant toutes deux un frère plus âgé, ne sont pas les aînées de leur famille. Il semble donc que le fait de veiller au bon fonctionnement de la maison est plus typique des femmes que des hommes qui ont participé à cette recherche. Notamment, la participante 9 croit que c’est le manque de débrouillardise de son frère aîné qui explique qu’il n’a pas pris en charge une bonne partie du fonctionnement de la maison. Il est possible de penser que la socialisation genrée ou que certains traits de personnalité considérés comme féminins mènent à assumer la responsabilité des activités de la vie domestique. Cette observation est approfondie dans le chapitre de discussion.

4.5.1.2. Rôle de soutien

La section précédente permet de voir la tendance que certaines participantes ont eue de vouloir aider et veiller au bien-être de la famille. D’abord avec un aspect plus instrumental, mais aussi en occupant un rôle de soutien. Par exemple, l’extrait suivant illustre bien ce besoin que certains participants ont à l’égard de leur parent atteint :

Ben oui, c’est sûr que je voulais prendre plus soin d’elle. J’étais plus portée à vouloir comme, pas la secourir, mais je l’aidais. Je veux dire, je voulais en faire plus pour alléger la tâche. (Participante 3)

De fait, tout comme le fonctionnement domestique, il semble que certains participants assument également plus naturellement la responsabilité du bien-être de son parent. L’extrait dénote l’inconfort ressenti par la participante quant à l’impuissance du mal-être exprimé par le parent alors qu'elle s’attribue elle-même ce rôle de soutien dans l’optique de diminuer la

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souffrance de sa mère. La participante 10, quant à elle, assume le rôle d’aidant et de confident plus vers le début de l’âge adulte. Voici ce qu’elle dit à ce sujet :

Il [son père] se confie plus à moi. Je suis comme un repère, je ne sais pas. Il sait que je ne le jugerai peut-être pas, s’il a besoin d’aide peut-être…Mais c’est difficile, parce que pour moi c’est mon père, ce n’est pas mon patient. […] Je pense qu’on n’est jamais assez vieux pour assumer ce rôle-là dans notre famille. (Participante 10)

4.5.1.3. Processus de parentification

La parentification est un processus complexe qui tend à se cristalliser avec le temps. Au fil des entrevues, il est possible de constater que la parentification prend de l’ampleur vers la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte. Il s’agit d’un processus qui est d’abord instrumental, alors que les participants s’occupent des tâches de la vie domestique et se développe ensuite en rôle de soutien émotionnel. Les participants en viennent à s’occuper de leurs frères et sœurs plus jeunes, mais aussi de leur parent. Lorsque questionnés au sujet du rôle occupé auprès du parent atteint, quatre participants, dont trois qui font partie du groupe « allant moins bien », ont mentionné le rôle inversé qu’ils occupaient dans leur jeunesse auprès de leur parent et que certains occupent toujours. En effet, il apparaît que ces participants ont pris en charge des responsabilités dépassant ce qui est normalement attendu d’enfants d’un âge donné :

Ben c’était comme inversé. Tsé j’étais la maman et ma mère était… (Participante 2)

J’ai tout le temps dit que j’ai arrêté d’être la petite fille et j’ai été la mère là. (Participante 3)

Y’a fallu que je développe mon autonomie vraiment vite, pas que je n’avais pas le choix, mais quasiment. C’est un rôle que j’ai pris et que je n’aurais pas dû prendre dans le fond en tant qu’enfant. […] Même avec ma mère, c’était moi qui disais « bon faut que tu te lèves, faut que tu manges, faut que… » (Participante 7) De manière assez éloquente, avec le recul, les participants sont capables de reconnaitre cet inversement des rôles et se voient comme étant le parent et non comme un enfant. Pour le participant 9, cet inversement de rôles est arrivé plus tardivement dans son développement, soit vers la fin de son adolescence. Il remarque que le rôle qu’il occupe auprès de son père

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atteint l’a graduellement passé de l’enfant à celui de parent : « Mon rôle a beaucoup changé. Y’a eu un inversement de la paternité si je peux dire. Pas loin de l’âge adulte. » (Participant 9)

De plus, les participants aux prises avec la parentification subissent davantage de conséquences relationnelles avec les pairs. Cela dit, il sera question de cette conséquence plus précisément dans la section 4.6.1.