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Question 1 Évènements et points tournants qui influencent le parcours de vie

Chapitre 5 : Discussion

5.1. Question 1 Évènements et points tournants qui influencent le parcours de vie

La première question qui fait l’objet de la présente étude porte sur les évènements et points tournants qui influencent le parcours de vie des adultes ayant vécu avec un parent atteint d’un trouble de santé mentale majeur. En effet, comme il a été souligné à la section 1.3.4 portant sur les limites méthodologiques actuelles dans le domaine, peu d’études ont exploré les événements et les points tournants qui mènent au parcours de vie spécifique de ces adultes. La présente étude note précisément la singularité de certains événements et points tournants, ainsi que leurs effets sur le développement de la personne dans un contexte de santé mentale. Ces événements et leurs effets sont résumés dans les prochaines sections.

5.1.1. Séparation des parents

L’un des événements qui revient fréquemment dans la vie familiale des participants à cette étude est la séparation des parents. Cet événement marque une rupture dans le fonctionnement familial, car, dans une majorité des cas, il amène l’enfant à pallier le rôle du parent absent ou peu présent. En effet, lorsque le parent absent est l’autre parent, l’enfant se retrouve parfois à assumer des responsabilités lourdes pour son âge. La séparation est

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également considérée comme l’un des éléments déclencheurs dans le changement d’ambiance à la maison. Effectivement, les conflits souvent présents lors d’une séparation parentale semblent être exacerbés lorsque l’un des conjoints a un trouble de santé mentale majeur. Ces conflits amènent l’enfant à être dans une position difficile, vivant lui-même de l’ambivalence à l’égard de sa relation avec son parent atteint. Ainsi, il est possible de croire que certains effets de la séparation parentale peuvent être bien spécifiques au contexte de trouble de santé mentale dont il est question ici. De plus, il est important de considérer que l’avènement de la séparation se fait souvent conjointement avec la prise de conscience du trouble de santé mentale du parent, ce qui est d’autant plus insécurisant pour l’enfant. Dans certains cas, la survenue de ces deux événements simultanément est considérée comme un point tournant dans la vie de l’enfant. Cela dit, à notre connaissance, les effets sur le développement de l’enfant ou l’adolescent vivant cette situation bien particulière n’ont jamais été étudiés. Il est toutefois important de souligner qu’il s’agit d’un événement bien présent chez les participants amenant une série de bouleversements dans le fonctionnement familial. La prévalence de cet événement semble dépasser celle normalement observée dans un contexte familial typique.

5.1.2. Point tournant : l’hospitalisation du parent

Un événement vécu par tous les participants est l’hospitalisation en psychiatrie du parent. Cet événement agit comme point tournant dans la vie de certains d’entre eux. Selon les mots des participants, il s’agit également du moment durant lequel ils prennent davantage conscience de la « maladie » de leur parent et de leur symptomatologie. D’ailleurs, une participante rapporte le caractère traumatique des multiples hospitalisations de son parent a faites dans un contexte d’application de la loi P-38. Or, au Québec, il est rapporté par D’Auteuil et Gonthier (2012) qu’environ 45 % des patients hospitalisés en psychiatrie sont sous ordonnance d’évaluation, de traitement ou de garde en établissement. Le contexte d’hospitalisation par la loi P-38 est donc une réalité très courante chez les patients psychiatrisés. Parmi ces personnes, il est estimé qu’environ 28 % sont des parents (Reupert et al., 2013). Et pourtant, à notre connaissance, peu de soutien existe pour les enfants lorsque ce type de mesure est mis en application. En effet, il apparaît qu’un meilleur accompagnement serait bénéfique chez les enfants, mais aussi chez l’autre parent qui se

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retrouve souvent démuni devant la mise en application de la loi P-38. Ce type d’accompagnement a fait l’objet, en Australie, d’un guide sur des conseils pratiques dans un contexte d’intervention clinique auprès de familles dont un parent a un trouble de santé mentale (Queensland Health, 2010). Dans ce guide, on y retrouve en annexe un document qui peut être rempli par ce parent lorsqu’il est dans une période asymptomatologique. Ce document agit comme un référentiel advenant que ce dernier soit hospitalisé. Parmi les informations retrouvées dans ce guide, les particularités de l’enfant à sa charge (p. ex. : les allergies alimentaires) et les souhaits du parent au moment de l’hospitalisation (p. ex. : les droits de visite de l’enfant) sont formulés. Cela dit, les désirs de toute la famille devraient être considérés et nommés avant de rencontrer une situation de crise, telle que l’hospitalisation du parent atteint. Par ailleurs, dans la présente étude, seulement trois participants ont rapporté avoir visité leur parent à l’hôpital et ne rapportent pas de souvenirs particulièrement négatifs liés à cette expérience. Au Québec, il existe un document style « contrat » que peuvent signer des personnes ayant un trouble mental afin que leur entourage puisse les accompagner vers de l’aide professionnelle lors d’épisodes symptomatologiques (Gouvernement du Canada, 2006). De plus, toujours au Québec, il existe le Plan d’action pour le rétablissement de la santé (PARS) et le Plan d’action pour le rétablissement au travail, document offert à chaque pair aidant à la suite de la formation du Programme Pairs Aidant réseau à qui l’on suggère de les utiliser tant dans le cadre du travail que dans leur vie personnelle (Association québécoise pour la réadaptation psychosociale, 2018). Bien entendu, plusieurs de ses pairs aidants sont également parents.

5.1.3. Transition précoce vers l’âge adulte et inversion du rôle parental

Dans la section analyse, il est question de la transition précoce vers l’âge adulte que certains participants ont eu à vivre en raison de leur situation familiale particulière. L’accent est mis ici sur la perspective normative de l’acquisition de certaines tâches développementales qui, dans ce contexte, est vécue de manière prématurée. Dans la vision de la théorie du parcours de vie, ces acquisitions amènent l’individu à vivre une cascade d’événements propres à cette transition précoce. Certains participants iront même jusqu’à nommer le rôle inversé qu’ils jouaient : ils deviennent le parent. Cette observation est cohérente avec les propos des chercheurs du domaine qui notent une forme de parentification

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chez les enfants de parent ayant un trouble de santé mentale (Stallard, Norman, Huline- Dickens, Salter, & Cribb, 2004; Trondsen, 2012). Le fait de prendre soin de son parent atteint peut perturber l’enfant, particulièrement lorsque ce dernier doit retourner à son rôle d’enfant en interépisodes du trouble mental du parent. À ce sujet, van Loon et ses collaborateurs (2017) rapportent que la parentification dans ce contexte est plus souvent associée à des problèmes intériorisés et extériorisés en plus d’augmenter le stress vécu chez ces jeunes qui prennent soin de leur parent (van Loon, van de Ven, van Doesum, Hosman, & Witteman, 2017). Les mêmes auteurs font ressortir que la sensibilisation au sujet de la parentification pourrait avoir un effet protecteur dans un tel contexte. De fait, deux événements sont ressortis comme précédent l’inversion de rôle chez les participants qui la vivent : la séparation des parents et l’exacerbation de la symptomatologie du parent souvent en lien avec l’hospitalisation. D’après les résultats de la présente étude, au moment de l’hospitalisation, il devrait être de la responsabilité de l’équipe traitante de s’assurer que l’ensemble des membres de la famille se portent bien. Pour ce faire, un travailleur social pourrait être amené à rencontrer la famille et à évaluer les besoins dans l’organisation familiale découlant de la situation de crise que représente l’hospitalisation en psychiatrie du parent atteint. De plus, une campagne de sensibilisation et d’éducation pourrait être réalisée dans les écoles au début de l’adolescence, une période clé selon les résultats obtenus.

5.1.4. Processus d’autostigmatisation et retrait social.

Le processus d’autostigmatisation est à la fois complexe et crucial dans la compréhension du parcours de vie des participants de l’étude. L’autostigmatisation se construit à partir du moment où la personne s’identifie aux stéréotypes et aux préjugés que la société porte à l’égard de sa condition particulière (p. ex. : trouble de santé mentale). Cette identification devient si forte que l’individu intériorise les fausses croyances à son sujet ou à une personne significative dans sa vie et en vient à modifier ses comportements (Corrigan, Larson, & Rusch, 2009). Dans le cas présent, certains participants semblent, à la suite de la prise de conscience de leurs différences familiales, porter eux-mêmes un jugement sévère sur leur condition et adoptent un comportement d’évitement, le retrait. Par ailleurs, il semble que la parentification est un élément qui contribue largement à la reconnaissance de la différence. De plus, tel que constaté dans la présente étude, l’angoisse d’être vu par ses pairs comme

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étant différent ou encore d’être humilié en public par leur parent ayant un trouble mental peut aussi mener à une forme de retrait social parfois observée (Hinshaw, 2005). L’autostigmatisation atteint son apogée à l’adolescence, période durant laquelle le jugement d’autrui est décisif, alors qu’elle semble diminuer à l’âge adulte. Cette observation est cohérente avec les résultats de Murphy et al. (2015) qui rapportent l’angoisse vécue par les jeunes ayant un parent atteint d’un trouble de santé mentale. Afin de mieux comprendre le processus d’autostigmatisation, un parallèle a été fait avec ce même processus vécu chez les personnes atteintes d’un trouble de santé mentale (Corrigan et al., 2009). Il est intéressant de constater que quelques composantes sont aussi présentes chez certains participants comme la prise de conscience et l’acceptation du jugement d’autrui, précédant souvent le retrait social et la baisse d’estime de soi. Cela suggère l’idée qu’ils portent indirectement le stigmate associé aux troubles de santé mentale par association à leur parent, probablement par l’intériorisation de la honte. Dans une récente étude, le stigmate a été ciblé comme facteur de risque à considérer dans une optique de prévention primaire des troubles de santé mentale et ce, de la conception à l’âge adulte (Arango et al., 2018). Or, il apparaît que les campagnes de sensibilisation gouvernementales, généralement concentrées dans la semaine de sensibilisation à la santé mentale, devraient être étalées sur toute l’année afin d’augmenter leur efficacité. Corrigan (2016) souligne aussi que les campagnes devraient être ciblées, par exemple, penser à sensibiliser les journalistes qui sont parfois à l’origine de textes erronés et remplis de préjugés à l’égard des personnes ayant un trouble mental. De plus, ces campagnes visent plus particulièrement les personnes atteintes d’un trouble de santé mentale, mais mentionnent peu l’entourage. D’après les résultats de la présente étude, un enfant d’un parent vivant avec la schizophrénie, le trouble bipolaire ou la dépression majeure récurrente, peut sembler bien fonctionner, mais pourrait tout de même avoir besoin d’un soutien. Le travail de sensibilisation et de psychoéducation doit se faire également auprès des jeunes d’âge scolaire, particulièrement aux études secondaires, période durant laquelle la place occupée par les pairs gagne en importance. Toutefois, afin de mieux comprendre les processus qui sous-tendent l’autostigmatisation chez les adultes ayant vécu avec un parent atteint d’un trouble de santé mentale majeur, d’autres études doivent être réalisées à ce sujet.

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