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Chapitre 4 : Résulats

4.3. Trajectoire familiale jusqu’à l’âge adulte

4.3.3. Point tournant dans la trajectoire familiale

Un des éléments communs qui ressort est l’âge auquel les participants ont pris davantage conscience du trouble de santé mentale de leur parent. Les participants, peu importe le groupe auquel ils appartiennent, comprennent rapidement qu’il y a quelque chose de différent chez leur parent. En moyenne, vers l’âge de huit ou neuf ans, les participants prennent conscience que leur parent possède quelques particularités. Ils se rendent compte de la différence au moment où ils observent le fonctionnement de la famille de leurs amis.

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La prise de conscience est particulièrement importante lorsque l’enfant est témoin des symptômes du parent. Certains participants se remémorent l’inquiétude et l’incompréhension vécues à ces moments :

[…] [Lorsqu’elle était enceinte] de mon frère, elle ne pouvait pas prendre sa médication, fait que c’est vraiment là que les symptômes ont comme repoppés. […] c’est ça, elle parlait au miroir et elle disait que son lit se resserrait sur elle. C’est là que j’avais comme un peu peur […] (Participante 2)

Le premier choc que j’ai eu c’est la première fois en fait qu’elle avait fait sa crise il y a quelques années, que je trouvais ça un peu bizarre, c’était la première fois que je voyais ça, je ne comprenais pas trop. […] elle disait qu’elle voyait des [choses] qu’elle ne voyait plus exactement comme il le faut […] (Participant 12)

Dans le prochain extrait, la prise de conscience du trouble mental de sa mère est apparue parallèlement à la séparation de ses parents. Ainsi, la combinaison de ces deux événements importants devient un point tournant dans la vie de cette participante comme l’indique l’extrait suivant :

[…] Donc à ce moment-là elle est tombée en dépression, elle ne pouvait plus travailler, elle s’est ramassée en psychiatrie. De là, elle a laissé mon père et les diagnostics ont tombé. Dépression, bipolarité, TPL, TOC et anxiété. Fait que à ce moment-là, c’est là que ça l’a fait comme un boum sur la famille, mon père s’occupait de nous tout seul, il avait deux jobs, avec mon frère c’était plus difficile et j’étais encore jeune. (Participante 7)

Le fait d’être témoin des manifestations du trouble de son parent semble forcer les participants à réaliser l’ampleur et la nature de celle-ci, la rendant ainsi réelle et concrète dans leur vie. De plus, à la suite de cette prise de conscience, sept participants rapportent avoir eu du soutien de professionnels de la santé afin de mieux comprendre les symptômes du trouble de santé mentale de leur parent. Parmi ces sept participants, quatre ont fait partie de groupes de discussion dans des organismes communautaires dont le mandat est d’intervenir auprès de proches de personnes atteintes. Bien que l’aide professionnelle semble avoir été bénéfique pour les participants, il est important de souligner que la moitié de l’échantillon rapporte que le parent lui-même a pris le temps d’expliquer la situation tout en tenant compte de leur âge. Cela est arrivé plus particulièrement dans le groupe « allant bien ». De plus, les autres membres de la famille comme les frères et sœurs aînés, les grands-parents ou l’autre parent ont aussi été engagés dans le processus d’éducation sur le trouble de santé mentale. Pour les

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participants, il apparaît donc que la prise de conscience et la compréhension du trouble de santé mentale se font par l’entremise de plusieurs acteurs de leur entourage qui agissent de concert.

Finalement, chez la grande majorité des participants, ce point tournant amène aussi une transformation dans la perception du parent, passant d’invincible à vulnérable :

Hum, quand j’étais jeune, on dirait que j’avais conscience de ce qui se passait, mais c’était quand même ma mère fait que c’était un peu mon idole. […] On dirait que je l’admirais au début. […] On dirait que c’est à partir de là, je sais pu j’étais rendue à quel âge, j’étais peut-être en 4-5ème année [du primaire] et c’est à partir de là que je voyais qu’elle faisait des affaires que je n’aimais pas trop. (Participante 4)

Mon père c’était quelqu’un d’inatteignable et à ce moment-là, j’ai vu qu’il était vulnérable. […] Ben c’est sûr que quand j’ai pris conscience de la vulnérabilité de mon père, cela a changé les choses. […] Ça l’a changé la personne que je suis aussi, parce que je faisais partie de la société pour qui [les troubles de] santé mentale était un tabou, mais là ce n’était plus tabou, c’était chose vécue. (Participante 10)

Bien entendu, ce point tournant influence également le parcours de vie des participants qui prennent conscience de la vulnérabilité du parent résultant des troubles de santé mentale. Cette coupure entraîne un changement dans la dynamique parent-enfant, ce changement relationnel sera abordé plus loin dans l’analyse.

4.3.3.1. Hospitalisation du parent

Tous les participants ont connu au moins une hospitalisation de leur parent. Il s’agit d’un événement intense qui peut se dérouler dans un contexte traumatique, observation qui est plus fréquente dans le groupe « allant moins bien ». En effet, certaines hospitalisations se sont faites dans le contexte de la loi P-38. Il s’agit d’une loi qui assure la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Ainsi, lorsqu’il y a une ordonnance de cour pour la garde provisoire d’un individu, un policier se déplace à son domicile afin de l’amener, contre son gré, à l’hôpital. Voici les propos d’une participante qui a été témoin, à plusieurs reprises, de cette intervention : « Moi j’ai vu la police arriver chez nous, l’ambulance. C’est ça. Ce n’est pas…c’est quasiment une vision

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d’horreur. Ta mère part, elle crie, tout le monde crie…ce n’est pas le fun. […]. À chaque fois, c’est comme si c’était la fin du monde. » (Participante 7)

Le contexte de garde provisoire en soi est un processus potentiellement traumatisant pour l’enfant. À cela s’ajoute le contexte de l’hospitalisation du parent qui amène son lot d’adversité pour les enfants et l’entourage. Selon les participants, ces circonstances déclenchent une réorganisation familiale qui résulte en une surcharge de travail pour l’autre parent, ou pire encore, amène les enfants à être laissés à eux-mêmes. Dans le premier cas de figure, l’autre parent assume seul les responsabilités parentales :

[…] ça l’a fait comme un boum sur la famille, mon père s’occupait de nous tout seul, il avait deux jobs, avec mon frère c’était plus difficile, j’étais encore jeune. (Participante 7)

Ma mère, en plus, elle a dû être hospitalisée pendant huit semaines, donc c’est mon père qui s’occupait de nous. […] Donc mon père s’occupait pas mal de nous tout seul. (Participante 8)

Dans le deuxième cas de figure, les participants ont plus été laissés à eux-mêmes au moment de l’hospitalisation du parent. Parfois, ce sont les frères et sœurs aînés qui géraient davantage l’unité familiale, particulièrement à l’adolescence :

Ben c’est sûr que quand t’es jeune, tu sais, admettons y’a pu de parent pendant 2-3 jours à maison, c’est plate, mais en même temps on est comme « free ». Mais tu sais quand j’étais adolescent et que mes frères s’en occupait, c’était le fun, dans un sens. (Participant 6)

De manière générale, l’hospitalisation du parent entraîne souvent un déséquilibre dans le fonctionnement familial passant du fait d’être livré à soi-même à une surcharge vécue chez l’autre parent. Ce déséquilibre du fonctionnement familial s’ajoute au vécu souvent traumatique de l’hospitalisation en psychiatrie du parent. Cela dit, pour certains, ce laisser- aller lié à l’hospitalisation du parent est vécu comme une occasion de liberté et perçu comme positif. Dans une prochaine section, la contribution de cette autonomie à une transition précoce vers l’âge adulte, observée dans certains cas, sera analysée.

Finalement, lors de l’hospitalisation, la majorité des participants mentionnent avoir été inquiets pour le bien-être de leur parent. L’incompréhension par rapport à la complexe

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réalité d’un trouble de santé mentale durant l’enfance et l’adolescence semble souvent être associée à l’inquiétude véhiculée chez les participants. Le prochain extrait témoigne de l’omniprésence de la crainte associée à l’hospitalisation du parent chez une participante alors qu’elle était au secondaire : « Là ça fonctionnait pu…j’étais pu capable de me concentrer à l’école, je faisais juste penser à elle, je voulais tout le temps m’en aller, aller à l’hôpital la voir… » (Participante 3)

Ainsi, peu importe le groupe, et tel qu’illustré dans le tableau 3, il semble qu'une préoccupation importante de l’état de son parent peut être particulièrement envahissante chez un jeune allant même jusqu’à entraver son bon fonctionnement scolaire et son bien-être psychologique.

Tableau 3

Sommaire des événements de la trajectoire familiale selon le groupe d’appartenance

Allant moins bien Allant bien

Identification du participant 1 3 7 8 9 12 2 4 5 6 10 11

Coupure dans l’ambiance

familiale

Séparation parentale **

Prise de conscience du trouble

mental du parent * **  * * *

Hospitalisation du parent atteint

Note. Le signe () signifie que l’événement est présent dans le parcours du participant. Le signe (*) signifie

que pour la personne, il s’agit d’un point tournant. Le signe (**) signifie que les événements sont concomitants et forment ensemble le point tournant.

Dans la trajectoire familiale, il semble que tous les événements, au sens de la théorie du parcours de vie, arrivent de manière circonscrite dans le temps. Il s’agit de la combinaison dynamique de ces événements (séparation parentale, prise de conscience du trouble mental du parent, etc.) qui crée un point tournant chez certains participants. Chaque événement (l’entrée au secondaire, etc.) pris individuellement a peu d’influence sur la trajectoire familiale, mais leur cumul peut avoir grand effet sur cette même trajectoire.

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