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Introduction au deuxième chapitre

Carte 3 : Répartition des principaux pôles créatifs de l’agglomération lyonnaise

2. Transformer la ville à travers le prisme de la créativité

La créativité territoriale s’appuie finalement sur de nombreux fondements théoriques qui traduisent souvent son caractère opérationnel. L’ambition de ce deuxième point est de préciser la dimension pratique de la notion de créativité qui entre dans le cadre de nombreuses politiques territoriales. Cela se vérifie particulièrement à travers les nombreux exemples de régénération urbaine qui concernent le plus souvent des territoires en déclin ou délaissés faisant alors l’objet de politiques basées sur les ressorts de la créativité territoriale. En outre, l’émergence de territoires créatifs s’imposent également comme une politique de résilience censée absorber les chocs que constituent les crises tout en prévenant au mieux les futures phases de déclin. Pour tenter de répondre à une telle ambition, les décideurs locaux disposent, de plusieurs outils qui entrent pleinement dans le cadre de la créativité territoriale. À ce titre, la question de l’événement mis en place au sein d’un territoire dans le but d’y impulser un nouveau dynamisme local fait partie intégrante de nos réflexions et constituent selon nous l’une des principales ressources créatives des villes contemporaines.

2.1.Les territoires créatifs : outils de la régénération urbaine.

La première partie de notre réflexion se focalise sur la question de la régénération urbaine qui transparaît à travers plusieurs exemples (notamment en Europe) et qui s’inscrit comme l’une des principales politiques territoriales mobilisant les ressorts de la créativité. En ce sens nous souhaitons d’abord montrer comment les décideurs locaux se servent de la créativité territoriale dans le but de régénérer des territoires fragilisés et peu dynamiques. Puis, nous nous intéresserons plus spécifiquement au cas de la réappropriation d’anciennes friches industrielles, transformées en lieux créatifs.

- Régénérer les territoires en déclin par le biais de la créativité territoriale.

Au début des années 1980, l’émergence du processus de mondialisation (LEVITT, 1983, GRASLAND, 1995 ; VELTZ, 1996 ; CARROUE et al., 2006 ; LÉVY, 2007 ; BLANCHETON, 2008 ; HUWART, VERDIER, 2012) marque entre autres, l’entrée dans une ère de compétition territoriale accrue. Dans ce contexte, les villes intègrent la société de concurrence (LE GALÈS, 2003) qui se généralise en France depuis le début des années 1990 (GAUDIN, 1993) et doivent donc se démarquer en proposant des projets territoriaux qui les différencient de leurs voisines. Cette ambition passe aussi par la régénération urbaine des territoires en déclin. Or, si l’une des hypothèses de cette thèse repose sur l’idée selon laquelle les politiques territoriales semblent de plus en plus similaires et tendent progressivement vers une uniformisation des formes et des

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fonctions urbaines, force est de constater toutefois que les mêmes ambitions n’entraînent pas toujours les mêmes modes d’actions ni les mêmes effets territoriaux.

À ce titre, au cours de ses recherches portant sur le processus de régénération des villes de Porto et de Marseille, la géographe française Sandra GUINAND affirme que : « […] si les villes

suivent certaines tendances, que nous pouvons qualifier de « modèles urbains », la traduction opérationnelle de ces « modes » ne tend pas pour autant à une homogénéisation des projets de régénération urbaine, ni à des modalités d’action identiques sur le bâti. » (GUINAND, 2015,

p. 20). Néanmoins, si les différenciations urbaines existent et transparaissent notamment à travers la grande diversité de formes du bâti, la standardisation (LUSSAULT, 2007a, 2013, 2015) des grands projets de régénération urbaine reste une réalité. En ce sens, l’architecte hollandais Rem KOOLHASS n’hésite plus à parler de villes génériques pour qualifier les territoires où prévalent : « […] l’absence de singularité […], l’extension indéfinie d’espaces

toujours semblables car greffés sur les flux et l’évacuation du domaine public. » (MONGIN,

2005, p. 158 ; KOOLHASS et al., 2000).

Ces éléments sont particulièrement prégnants dans les processus de régénération urbaine et en particulier ceux qui intègrent une dimension créative. En effet, une majorité des projets de régénération repose sur les mêmes critères tels que la construction ou la rénovation d’un équipement culturel phare, la mobilisation d’artistes - souvent à court terme (LAVANGA, 2013) -, la sollicitation de designers et de starchitectes afin de développer des infrastructures créatives originales qui contribueraient à accroître l’intérêt touristique du territoire régénéré ou encore l’organisation de grands événements culturels et sportifs. Cela confirme l’intérêt scientifique et critique qui doit être porté aux projets de régénération urbaine et, dans le cas de la présente thèse, aux tentatives de revalorisation à travers l’essor de territoires créatifs. Le processus de régénération urbaine fait l’objet d’un intérêt constant dans la sphère académique depuis les années 1990 (PADDISON, 1993 ; ROBERTS, SYKES, 2000 ; COUCH

et al., 2003 ; COIGNET, 2008 ; TALLON, 2013 ; ROULT et al., 2014). En outre, plusieurs

travaux se focalisent précisément sur les cas de régénération urbaine culturelle ou artistique (BASSETT, 1993 ; BIANCHINI, PARKINSON, 1993 ; STROM, 1999 ; MILES, PADDISON, 2005). Toutefois, malgré la richesse de ces travaux, ce processus est souvent confondu avec ceux de rénovation, revalorisation, revitalisation ou encore les stratégies de renouvellement, réhabilitation ou requalification.

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Si de rares tentatives pour préciser quelques-uns de ces termes existent (LUSSO, 2010), ils restent néanmoins interchangeables dans la majeure partie des analyses.

Dans les premiers travaux s’y référant, le processus de régénération urbaine est employé pour désigner la rénovation des logements au sein de plusieurs terrains d’études britanniques (McARTHUR, McGREGOR, 1989 ; McCRONE, 1991 ; CAMERON, 1992). Désormais, sa conceptualisation est beaucoup plus holistique et intègre une grande variété de politiques urbaines (SMITH, 2012). De manière plus précise, ce processus : « […] qualifie des projets de

reconquête physique de territoires associant enjeux économiques, sociaux et culturels, tout en portant une attention aux formes urbaines et à une revalorisation symbolique en termes d’image, des territoires concernés. » (GUINAND, 2015, pp. 53-54).

L’on constate alors que le processus de régénération urbaine gagne en complexité au grès des époques. S’il s’appuie d’abord sur de simples opérations de rénovation ou d’embellissement du bâti et des infrastructures existantes (LUSSO, 2010), il intègre rapidement un large spectre de facteurs (économiques, sociaux, culturels…) et s’inscrit dans un contexte multifonctionnel (CHALINE, 1999) qui aboutit parfois à de véritables transformations des territoires urbains. En outre, ce processus est le plus souvent mobilisé en réponse à un contexte de crise ou de déclin des territoires. Il s’agit alors pour les autorités publiques en charge de l’aménagement des villes de mettre en place un certain nombre de projets territoriaux dont dépend le succès ou l’échec des processus de régénération urbaine. La plupart du temps, les projets soutenus par les décideurs locaux tendent à transformer – à plus ou moins court terme – l’image de villes jusqu’alors disqualifiées afin qu’elles puissent s’adapter aux caractéristiques de la mondialisation (flexibilité, compétitivité, hiérarchie urbaine, mobilité…) (COUCH, et al., 2003 ; HALL, 2004 ; BURGEL, GRONDEAU, 2015).

Le point suivant portant précisément sur le cas des villes événementielles, il convient ici de s’intéresser aux cas de régénération urbaine par la culture dans son acceptation la plus large. À travers l’application de politiques culturelles, les territoires créatifs entrent pleinement dans le cadre des stratégies de régénération urbaine. Les politiques valorisant les champs culturels et créatifs sont de plus en plus considérées comme les principaux outils des projets de transformation spatiale. Cela est particulièrement visible dans le cas des processus de régénération des fronts d’eau urbains (Cf. Encadré 1.2.). Pour S. GUINAND, une vaste partie des projets de régénération urbaine valorise en priorité les caractéristiques esthétiques du bâti voire de l’ensemble des quartiers concernés par ces processus.

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Cette esthétisation de l’urbain conduit à parler de villes vitrines (RODRIGUES-MALTA, 2004 ; FOURNET-GUÉRIN C., VACCHIANI-MARCUZZO C., 2009) dont l’image est façonnée selon certains critères (propreté urbaine, présence d’équipements culturels et récréatifs…) qui ciblent parfois ostensiblement un public relativement aisé, composé de cadres, de touristes ou des classes moyennes supérieures.

Ce premier point soulève donc d’ores et déjà les questions de justice et d’égalité socio-spatiale que nous développerons dans le troisième chapitre. Toutefois, cette limite, loin de réfréner les décideurs locaux, est toujours plus visible à travers la multiplication des projets visant la régénération territoriale par le biais de la créativité. Ainsi, un grand nombre de villes applique désormais les mêmes « recettes » territoriales dans l’espoir d’impulser un développement local à partir des différents projets et initiatives créatifs mis en œuvre.

Afin de mieux comprendre l’impact de la créativité sur les tentatives de régénération urbaine, il convient dans un premier temps de considérer le contexte territorial avant la mise en œuvre de ces différents projets. Ainsi, les exemples les plus célèbres de transformation urbaine via l’adoption de politiques culturelles et créatives (citons notamment Glasgow, Liverpool, Barcelone, Manchester ou Lille) mettent en lumière l’impact considérable de la désindustrialisation qui se traduit par un double déclin économique et démographique à l’origine de la « ville industrielle sinistrée » (JEANNIER, 2008, p. 1) qui apparaît en Europe à la fin des années 1970.

Ce contexte territorial particulièrement difficile constitue le point d’orgue de l’établissement de nouvelles politiques urbaines qui se veulent résilientes. Face à l’apparition concomitante d’une crise industrielle et de terrains en friches, les anciens bâtiments industriels laissés à l’abandon font progressivement l’objet d’une réappropriation et d’une reconversion en zones d’activités diverses, le plus souvent orientées vers des logiques culturelles, commerciales ou résidentielles. Ainsi, pour parvenir à ces transformations radicales, les décideurs locaux n’hésitent pas à mobiliser les sphères créatives et culturelles en s’appuyant particulièrement sur des artistes et des créateurs qui peuvent conférer aux quartiers régénérés, une aura symbolique.

Toutefois les projets de régénération urbaine à travers le prisme des territoires créatifs peuvent prendre une multitude d’autres formes et viser d’autres échelles que celle des quartiers. Pour le géographe français Bruno LUSSO, en dehors de la reconversion des friches industrielles il existe trois types d’actions culturelles au cœur des processus de régénération territoriale. La première consiste à doter la ville d’un ou plusieurs équipements culturels phares. La plupart du temps il s’agit de grands équipements culturels structurants (SIINO et al., 2004) tel que la

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construction d’un musée emblématique (on pense évidemment au musée Guggenheim de Bilbao (Photographie 2) ou plus récemment à l’ouverture du MuCEM à Marseille (Photographie 3)), d’une salle de spectacle de grande capacité comme ce fut le cas avec la construction du Glasgow Royal Concert Hall à la suite de la désignation de Glasgow comme capitale européenne de la culture en 1990 ou encore de nouvelles infrastructures sportives.

Photographie 2 : Le Musée Guggenheim de Bilbao.

Source : Mathilde VIGNAU, Août 2017 - Bilbao (Tous droits réservés).

Photographie 3 : Le Musée national du MuCEM à Marseille.

Source : Mathilde VIGNAU, Mars 2016 – Marseille (Tous droits réservés).

La deuxième politique culturelle adoptée en vue de la régénération territoriale repose sur le soutien aux industries culturelles et créatives. Enfin, comme nous le verrons à travers le cas des villes événementielles, la valorisation des festivals dans le cadre d’une revitalisation culturelle des territoires est un autre axe majeur privilégié par les décideurs locaux.

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Ces initiatives territoriales de grande envergure ont une visée qui dépasse clairement celle d’une simple régénération de quartier.

Il s’agit ici de modifier radicalement et durablement l’image d’une ville dans son ensemble en lui conférant un nouveau statut culturel. Toutefois, ces politiques territoriales ne sont pas exemptes de toutes limites et dans un article consacré aux musées comme outils de régénération urbaine, B. LUSSO précise les failles de telles infrastructures dont le coût élevé (de construction mais aussi de fonctionnement) est rarement compensé ou équilibré par les chiffres de la fréquentation (LUSSO, 2009). De plus, l’on peut penser que cette course au musée ou à l’infrastructure culturelle de grande envergure exacerbe davantage la concurrence entre les villes surtout lorsque leur émergence se fait dans le cadre d’un processus de labélisation tel que celui des capitales européennes de la culture qui tend à « […] organiser la compétition entre

[les] villes. » (GIROUD, VESCHAMBRE, 2010, p. 73).

Par ailleurs, une autre limite découle de ces stratégies de régénération. En effet, la construction d’infrastructures prestigieuses favorise souvent un certain élitisme culturel et social. Cette critique n’est pas récente puisque dès le début des années 1990, des chercheurs comme Franco BIANCHINI ou Michael PARKINSON déclaraient : « [even] more problematic is reconciling

the need to develop elite ‘flagship’ schemes to enhance urban competitiveness with decentralised, community-based provision of more popular activities, targeted in particular at low income and marginalised social groups. » (BIANCHINI, PARKINSON, 1993, pp. 18-19)58

et montraient dans leur analyse que l’obtention des financements nécessaires à la réalisation des projets de régénération urbaine - issus du gouvernement central ou du secteur privé -, était bien souvent conditionnée par un positionnement des décideurs locaux en faveur d’une culture élitiste laissant peu de place aux initiatives créatives populaires. Cette limite nous motive particulièrement à produire une analyse de la géographie de la créativité à l’aune de la géographie critique (Cf. Chapitre 3). Finalement, ce premier point met en lumière l’importance de la créativité dans les processus de régénération urbaine, le point suivant permet d’approfondir cette idée en étayant le cas précis de la réappropriation des friches urbaines.

58« Ce qui est encore plus problématique c’est de réconcilier le besoin de développer des schémas phares afin d’améliorer la compétitivité urbaine et les activités décentralisées, communautaires, plus populaires qui ciblent principalement des groupes sociaux aux faibles revenus, marginalisés. » (BIANCHINI, PARKINSON, 1993, pp. 18-19. Traduction personnelle).

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- L’exemple de la réappropriation des friches industrielles.

L’ambition de cette sous-partie est de montrer comment la ville créative – en tant que nouvelle forme urbaine - se matérialise au sein des territoires. Pour ce faire, nous choisissons de traiter l’exemple de la réappropriation d’anciennes friches industrielles laissées à l’abandon puis progressivement transformées en friches créatives et culturelles.

Cet exemple nous paraît particulièrement pertinent car il suscite l’intérêt de nombreux chercheurs (RUBY, DESBONS, 2002 ; GRAVARI-BARBAS, 2004 ; LEXTRAIT, KHAN, 2005 ; RAFFIN, 2007 ; GRÉSILLON, 2010a ; HENRY, 2010, 2013 ; ANDRES, 2011 ; ANDRES, GRÉSILLON, 2011, 2013 ; MALIENE et al., 2012 ; LUCCHINI, 2016 ; GONON, 2017 ; BERTRAND, 2018), mais aussi d’institutions comme le ministère de la culture et de la communication59 qui commande dès 2001 une étude monographique sur les friches industrielles françaises reconverties en espaces culturels et créatifs (LEXTRAIT, 2001).

En outre, l’intérêt pour ce sujet est exacerbé du fait de sa traduction territoriale qui transparaît sur de nombreux terrains d’études (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France…). De fait, au vu des enjeux et impacts issus de la revalorisation territoriale des friches, il semble pertinent de développer davantage cette question. Selon nous, plusieurs arguments témoignent des liens qui existent entre l’émergence de friches culturelles et la notion de ville créative.

Avant tout, le fait de transformer un territoire délaissé et parfois dangereux, en un nouveau vivier créatif constitue en soi, une première amélioration du cadre territorial qui fait écho à la question de la qualité de vie prégnante dans la notion de ville créative. De fait, la friche culturelle nouvellement créée incarne l’un des marqueurs visibles de la créativité territoriale et ce depuis le début des années 1990 où l’on constate un regain d’intérêt de la part des municipalités pour ces territoires alors associés aux crises.

Si l’idée de friche est souvent rattachée à un ensemble de difficultés socio-spatiales, son pendant artistique recouvre des réalités plus spécifiques. Dans un article intitulé « Les « friches culturelles » et la ville : une nouvelle donne ? », publié en 2010 dans la revue l’Observatoire le géographe français Boris GRÉSILLON revient sur la pluralité des termes autour desquels s’inscrit la notion de friche culturelle. Considérées tour à tour comme des fabriques artistiques, des centres culturels off, des lieux de culture off voire des squats artistiques, le terme de friches

59Plus précisément, la commande émane de Michel DUFFOUR, alors secrétaire d’Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle en l’an 2000.

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culturelles devient peu à peu une expression générique pour qualifier des phénomènes territoriaux variés, souvent marginaux ou marginalisés. En outre la notion de friche culturelle repose sur des réalités territoriales spécifiques et malgré l’engouement des décideurs et aménageurs locaux à transformer de tels espaces, le passage d’une friche industrielle à une friche culturelle n’est pas automatique.

Au contraire, pour la géographe Lauren ANDRES, ce processus de transformation des friches suit une chronologie spécifique autour des trois moments clés que sont : l’avant-friche, le temps de veille et l’après-friche (ANDRES, 2006, 2008 ; AMBROSINO, ANDRES, 2008 ; ANDRES, GRÉSILLON, 2011). La première étape (celle de l’avant-friche) correspond à l’historique du site. Il s’agit alors du moment où les activités industrielles originelles entrent dans une phase de crises (économiques, techniques ou territoriales) et finissent par disparaître. L’une des périodes les plus importantes dans le processus de transformation d’une friche industrielle en friche culturelle est alors celle du temps de veille qui selon L. ANDRES, correspond à un temps de latence à partir duquel de nouvelles initiatives vont pouvoir émerger ou non. Cette deuxième phase souligne également le rôle joué par les acteurs et usagers du site en déshérence. En effet, en profitant de la relative permissivité des lieux, les squatteurs au même titre que les artistes ou les petits entrepreneurs peuvent réinvestir les lieux et proposer de nouvelles initiatives souvent axées autour de la culture, des loisirs ou de la créativité. Enfin, le temps de l’après-friche doit s’entendre comme la phase de réintroduction de la friche de manière plus institutionnelle. Le nouveau projet territorial lié à friche culturelle est alors cadré par un ensemble d’acteurs qui vont gérer le site comme s’il s’agissait d’une infrastructure culturelle classique – en tenant toutefois compte de la spécificité des lieux et du contexte spatial autour duquel la friche culturelle est implantée.

L’ensemble de ces éléments et caractéristiques portent à croire que la réappropriation des anciennes friches industrielles entre pleinement dans le cadre des théories de la ville créative. Les exemples de transformation de ce type sont légion en géographie ou en urbanisme et on pense ici entre autres, à la Custard Factory de Birmingham (PORTER, BARBER, 2007 ; ANDRES, CHAPAIN, 2013), au Tacheles berlinois (GRÉSILLON, 2004) ou encore à la friche de la Belle-de-Mai qui constitue l’un de nos terrains d’études privilégiés à l’échelle marseillaise. Toutefois, des études récentes (ANDRES, GOLUBCHIKOV, 2016 ; CORREIA, 2018) soulignent également les limites de telles politiques territoriales. En effet, les phases de transition ne se font pas toujours sans heurts et, dans certains cas de véritables problématiques socio-spatiales entrent en jeu et nécessitent l’adoption de mesures territoriales spécifiques.

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Les analyses précédentes ont permis de présenter l’une des principales traductions de la créativité territoriale au sein des villes. Cette dernière est en effet au cœur de plusieurs politiques locales de réaménagement urbain et est particulièrement convoquée par les décideurs locaux dans le cadre de la réappropriation de territoires délaissés ou en déclin. Néanmoins, à travers le processus d’uniformisation qui découle souvent de la mise en place de politiques culturelles servant la régénération urbaine, l’on a pu constater les premières limites de telles opérations. Ces faiblesses n’enrayent toutefois pas la mécanique en œuvre et par certains aspects, force est d’admettre que les aménagements et les transformations territoriales culturelles et créatives modifient rapidement l’image des villes ou des quartiers en crise pour les rendre plus attractifs. En outre, l’organisation de grands événements – qui constitue également l’un des principaux ressorts de la créativité territoriale -, tend à accentuer cette dynamique en induisant, par le biais des villes événementielles, un enchantement du quotidien qui reste cependant partiel.

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Encadré 1.2. : La régénération créative des fronts d’eau : un exemple spécifique.

La notion de front d’eau (waterfront en anglais) est au cœur de nombreux travaux d’urbanisme et de géographie (BREEN, RIGBY, 1996 ; RODRIGUES-MALTA, 2001a ; DONG, 2004 ; MORETTI, 2008a, 2008b ; HOU, 2009 ; YASSIN et al., 2010 ; TIMUR, 2013). Elle caractérise les interfaces terre-eau visées par plusieurs politiques d’aménagement territorial (MARSHALL, 2001). Depuis plusieurs années, les fronts d’eau urbains (ANDINI, 2011) sont considérés comme de véritables laboratoires d’expériences aussi bien d’un point de vue architectural que fonctionnel et accueillent souvent de nouveaux équipements culturels et créatifs. Dans le cadre des processus de régénération urbaine, les fronts d’eau suivent un schéma évolutif commun qui prouve que ces territoires sont en