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Introduction au troisième chapitre

1. L’indéniable imbrication des sphères créative et économique

Plusieurs points des chapitres précédents ont montré l’intérêt des décideurs locaux et des aménageurs pour la dimension économique de la créativité. Cette notion est particulièrement valorisée dans les stratégies politiques contemporaines du fait des retombées pécuniaires qui peuvent découler des activités, des lieux ou des manifestations créatives. Plusieurs études montrent d’ailleurs les effets positifs des industries culturelles et créatives sur l’emploi (O’BREIN, FEIST, 1995 ; PRATT, 1997 ; KLOOSTERMAN, 2004 ; MARKUSEN, SHROCK, 2006). À ce titre, l’ambition de ce premier point est de présenter plus précisément les liens qui unissent la créativité territoriale au champ de l’économie. Cette union transparaît selon nous à travers trois éléments principaux.

D’abord, il existe une dimension économique au sein des secteurs artistiques, culturels et créatifs. Ensuite, l’on remarque l’émergence de nouvelles définitions précisant les champs de l’économie liés aux activités créatives. Enfin, les liens entre l’économie et la créativité sont renforcés par la figure de l’artiste qui, à travers la production d’œuvres, incarne la figure de l’individu créatif type tout en étant parfois considéré comme un nouveau pionnier du système capitaliste.

1.1. Créativité, économie et territoires : des secteurs intrinsèquement liés.

Le chapitre précédent a abordé la notion de ville créative sans toutefois s’attarder sur les caractéristiques économiques de cette entité spatiale spécifique. Or, les recherches sur ce sujet nous ont permis de constater que la question de la ville créative soulève également celle de la territorialisation de l’économie de la créativité. Cette dernière s’appuie entre autres, sur une forme « d’atmosphère créative » (pour établir un parallèle avec « l’atmosphère industrielle » dont parlait l’économiste britannique Alfred MARSHALL (1890)) qui serait bénéfique aux établissements et aux salariés des secteurs créatifs (ROY VALLEX, 2006). En outre, il apparaît également que les ressorts artistiques, culturels et récréatifs sur lesquels se construit la ville créative, sont intimement liés au champ de l’économie et au secteur marchand.

- La dimension économique des secteurs artistiques, culturels et récréatifs.

L’une des premières théories qui souligne un rapprochement des sphères créative et économique est celle de l’économiste autrichien Joseph Aloïs SCHUMPETER qui, dès 1942 développe l’idée de « destruction-créatrice » (SCHUMPETER, 1942). D’un point de vue économique, ce principe repose sur le remplacement progressif (« destruction ») d’activités ou de biens devenus obsolètes avec la mise en place d’innovations (« création »).

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Ce double mouvement de destruction-création dresse un premier pont entre la sphère économique d’une part et la sphère créative d’autre part. Ici, la créativité se traduit par le potentiel innovant de certaines inventions et non plus uniquement par son caractère culturel ou artistique. À l’instar de J. A. SCHUMPETER, d’autres économistes (AGHION, HOWITT, 1992) vont souligner l’importance des processus de création et de la créativité dans l’émergence de nouvelles connaissances. Ces dernières permettent alors de lutter contre l’obsolescence technologique et contribuent ainsi à la croissance économique générale.

Bien que prépondérante en économie, la théorie de la « destruction-créatrice » ne se focalise toutefois que sur la dimension innovante de la créativité. D’autres analyses – émanant principalement de la recherche en sociologie et plus précisément de travaux initiés dans le champ de la sociologie du travail -, ont permis de théoriser les liens entre créativité artistique et économie. En ce sens, le secteur de la culture et les nombreux domaines qui lui sont associés (danse, cinéma, musique, théâtre, musées…), sont au cœur de plusieurs études spécifiques qui démontrent les fortes connexions entre les domaines créatifs et le secteur marchand notamment via le marché du travail (FREIDSON et al., 1986 ; MENGER, 1991, 2002, 2010 ; SORIGNET, 2004 ; JOUVENET, 2007 ; KOSIANSKI, 2001 ; WENCESLAS et al., 2011 ; BARBÉRIS, POIRSON, 2013).

L’un des premiers chercheurs à évoquer ce lien est le sociologue français Pierre BOURDIEU qui publie dans les années 1970, une série de travaux portant sur l’économie et le marché des biens symboliques (BOURDIEU, 1971, 1972, 1977). P. BOURDIEU explique alors qu’il existerait deux types de biens créatifs : d’un côté les biens issus des industries culturelles qui répondent à des logiques de production et de consommation et qui considèrent les œuvres d’art comme de banales marchandises. De l’autre, les biens symboliques produits par des artistes qui, en théorie, s’inscrivent en dehors des logiques de marché et priorisent le capital symbolique qui émane d’œuvres d’arts singulières et irréductibles.

Or, selon l’auteur, cette apparente dénégation des producteurs de contenu symbolique pour le marché de l’art et les préoccupations économiques ne constitue pas un rejet absolu. Au contraire, dans un article publié en 1977 il affirme : « […] les conduites les plus «

antiéconomiques », les plus visiblement « désintéressées », celles-là même qui, dans un univers « économique » ordinaire seraient les plus impitoyablement condamnées, enferment une forme de rationalité économique (même au sens restreint) et n'excluent nullement leurs auteurs des profits, même « économiques », promis à ceux qui se conforment à la loi de l'univers. […] La dénégation n'est ni une négation réelle de l'intérêt « économique » qui hante toujours les

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pratiques les plus « désintéressées », ni une simple « dissimulation » des aspects mercantiles de la pratique. » (BOURDIEU, 1977, pp. 4-5), soulignant de fait, l’indéniable imbrication entre

la production créative quelle qu’elle soit et l’économie. En outre, si la notion d’économie culturelle fait l’objet du point suivant, il convient de souligner que « [l’] organisation du secteur

de la culture – des théâtres aux musées, en passant par le cinéma, le livre et la danse – constitue […] un terrain de choix pour l’application des théories et des méthodes économiques. »

(MAIRESSE, ROCHELANDET, 2015, p. 11).

Le lien entre culture et économie est d’autant plus visible dans la sphère politique où les décideurs locaux formulent régulièrement des demandes permettant de justifier l’utilité marchande des initiatives culturelles et l’intérêt de les financer. C’est pourquoi – et cela se vérifie davantage en temps de crise économique où les secteurs de la culture sont souvent les premiers à subir les restrictions budgétaires –, les acteurs défendant des projets ou événements culturels sont contraints de fournir des arguments économiques solides qui sont autant de preuves de leur potentielle rentabilité.

Par ailleurs, certaines évolutions sociales et sociétales ont largement contribué à ancrer la culture dans une dimension économique. Cela est particulièrement visible avec l’augmentation progressive du temps consacré aux loisirs (AOYAMA, 2007 ; JUNG, 2011) grâce auquel l’on remarque la transition d’une culture élitiste, souvent absconse pour un grand nombre d’individus à une culture dite populaire, démocratisée et bien plus accessible (en termes de coûts mais aussi de pratiques).

Les travaux du sociologue français Pierre-Michel MENGER (MENGER, 2002 ; 2009) permettent d’approfondir les analyses à ce sujet en dressant une comparaison particulièrement pertinente entre l’évolution concomitante du temps de travail d’une part et celle du temps consacré aux loisirs d’autre part. Selon l’auteur, si la réduction du temps de travail – concrétisée en France avec l’abrogation des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 200081 -, constitue effectivement une évolution sociétale majeure, elle doit indubitablement s’accompagner d’une réflexion sociologique quant à l’équilibrage entre temps de travail et temps de loisirs. Ainsi, l’auteur admet d’emblée qu’il existe : « […] [de] forts contrastes sociaux dans le partage entre

ces différents temps […] » (MENGER, 2009, p. 204), et que la diminution du temps de travail

en même temps que l’augmentation du temps de loisirs connaît un ralentissement dans la

81Loi n° 98-461 du 13 juin 1998 sur l’orientation et l’incitation relative à la réduction du temps de travail et loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail. Ces lois ont été initiées par Martine Aubry alors ministre de l’emploi et de la solidarité et fixent la durée du temps de travail à 35 heures par semaine dans les entreprises et les unités économiques et sociales de plus de vingt salariés. Textes officiels publiés sur le site Legifrance.gouv.fr.

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période contemporaine. Par ailleurs, les travaux de P.-M. MENGER montrent qu’il existe un lien entre l’équilibrage des temps de travail et de loisirs en fonction des catégories socio-professionnelles considérées. À titre d’exemple, l’auteur rappelle que : « [l]es ouvriers ont

rattrapé leur déficit comparatif de loisir dans la période récente, et les cadres ont perdu leur avance et apparaissent comme les plus gros travailleurs sur la période des quinze années écoulées » (ibid., p. 205).

De plus, le pont dressé entre les profils socio-professionnels d’une part et l’équilibrage travail/loisir d’autre part est justifié car les loisirs culturels reposent sur trois ressources à savoir : du temps disponible, des moyens financiers et une certaine compétence culturelle. Or, de ce point de vue, les travailleurs les plus qualifiés (cadres et professions intellectuelles supérieures) détiennent surtout les deux dernières ressources et manquent de temps disponible pour leurs loisirs. Le fait que les actifs qualifiés soient à la fois le groupe social le plus concerné par la consommation de biens et services créatifs et, dans le même temps, le groupe professionnel qui a vu son temps de travail augmenter depuis une vingtaine d’années contribue à remettre en question cette grande évolution sociétale qu’est l’augmentation du temps consacré aux loisirs par le biais d’une réduction progressive du temps de travail.

Pour résumer, P.-M. MENGER affirme que : « […] les catégories sociales supérieures ont les

plus forts taux de consommation culturelle et les pratiques à la fois les plus intenses, les plus variées (« omnivores ») et les plus audacieuses de consommation. Or ces catégories ont vu leur temps de travail augmenter et leur temps libre stagner ou se restreindre dans la décennie récente. » (Ibid., p. 216).

Enfin, l’équilibrage entre temps de travail et temps de loisirs dépend aussi d’autres facteurs et notamment du type de loisirs considérés (les loisirs intérieurs82 ou extérieurs83) ainsi que du lieu de résidence. En ce sens, P.-M. MENGER constate que plus les travailleurs sont qualifiés et ont un temps libre restreint, plus il existe un équilibre entre les loisirs intérieurs et extérieurs tout en expliquant que ces derniers sont relativement peu enclins à regarder la télévision (à l’inverse des travailleurs moins qualifiés). De plus, le lieu de résidence joue également un rôle important sur le type de loisirs privilégiés par les travailleurs et le temps qui leur est consacré.

82Approche récréative passive qui consiste notamment à se divertir ou se récréer en restant chez soi. Le fait de regarder la télévision est un bon exemple (MENGER, 2009).

83Approche récréative active où l’on sort de chez soi pour mener une expérience ludique. Il s’agit par exemple des sorties au théâtre ou au cinéma (Ibid.).

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Ainsi, un travailleur résidant dans un environnement culturel particulièrement développé aura tendance à diversifier ses pratiques récréatives en consacrant moins de temps au visionnage de la télévision et plus à d’autres types de loisirs (lecture, sorties…). De fait, selon l’auteur, la résidence constitue : « […] avec les acquis de la formation initiale diplômante, celui des

facteurs qui contribuent le plus fortement à l’explication des écarts de pratiques des loisirs culturels agencés hors du quotidien […] » (ibid., p. 220). Cela est une preuve supplémentaire

concernant l’intérêt de localiser les activités créatives (démarche mise en œuvre les chapitres suivants).

Cette analyse démontre donc que les évolutions temporelles et spatiales contribuent à faire de la culture un secteur marchand à part entière (MAIRESSE, ROCHELANDET, 2015). En effet, si les évolutions sociétales (réduction du temps de travail, congés payés, allongement du temps de retraite…) touchent particulièrement la question de la temporalité à travers une augmentation progressive du temps consacré aux loisirs et à la récréation, le rapport à l’espace est également un élément pertinent à analyser. Le fait de vivre aujourd’hui dans ce que le sociologue canadien Marshall Mc LUHAN nomme au début des années 1960 : le « village global » (Mc LUHAN, 1967), accentue davantage encore les gains de temps. Le processus de mondialisation a permis de rendre accessible des loisirs et du contenu culturel qui ne l’étaient pas (ou seulement dans une moindre mesure) jusqu’alors.

En outre, cette « réduction spatiale du monde » (MAIRESSE, ROCHELANDET, 2015, p. 200), qui se matérialise notamment par une réduction des coûts et des temps de transport et par l’accroissement des flux de communication, renforce les échanges sociaux au cœur de la pensée créative. À travers un certain nombre d’évolutions sociétales, le secteur culturel – par le biais des loisirs -, s’est donc démocratisé pour entrer non seulement dans une ère marchande mais aussi et surtout dans une ère mondialisée où les rythmes de production et de consommation de biens et de services culturels suivent des cadences parfois effrénées comme l’affirment F. MAIRESSE et F. ROCHELANDET : « Si l’on parle de slow et de fast food pour la nourriture,

il existe aussi un mode de consommation rapide pour la culture, peut-être avec les mêmes conséquences. » (Ibid., p. 200). Cette analogie entre la restauration et le secteur culturel qui se

scinderait également en deux catégories antagonistes – d’un côté la culture lentement consommée et de l’autre les activités et biens culturels dont la consommation est quasi-instantanée –, s’explique par une volonté de créer de l’inédit, du temporaire et de l’édition limitée au sein même des secteurs les plus créatifs.

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Cela se matérialise par un raccourcissement des délais de livraison dans le secteur culturel (en ce qui concerne l’organisation de spectacles ou de festivals notamment) et par une nouvelle manière de consommer la culture (en ligne via les NTIC, en regardant la télévision…). À ce titre, l’exemple des festivals est particulièrement intéressant. En effet, « […] le festival constitue

une offre temporaire, mais dans un emplacement qui, au départ, n’est pas spécialement lié au lieu de production ; église, prairie, théâtre antique, il s’agit moins de poursuivre une activité entamée sur l’année que de proposer, à un public provenant généralement de l’extérieur, une offre spéciale sur un temps réduit. […] Le festival, en quelque sorte, constitue avec les foires ou les compétitions l’un des éléments moteurs et particulièrement représentatifs de l’économie de la créativité ». (Ibid., p. 203).

Toutefois, malgré leur caractère éphémère (à titre d’exemple, la durée moyenne d’un festival de musique actuelle en France est de 7,5 jours84), les festivals s’inscrivent de plus en plus dans un processus de pérennisation (GARAT, 2005 ; BARTHON et al., 2007) qui se traduit notamment par l’accroissement de leur nombre sur une année. Cette dynamique renvoie quant à elle à la notion de ville événementielle (CHAUDOIR, 2007) présentée dans le chapitre précédent.

Enfin, les festivals sont également de bons exemples en ce qui concerne la mise en place d’une véritable économie de la créativité sur un territoire donné dans le sens où la question de leurs financements est au cœur de leur organisation. Effectivement, les fonds alloués aux festivals en France dépendent aujourd’hui moins de l’échelon national (budget de l’État) que de ceux des collectivités territoriales. De fait, l’implication économique dans l’organisation des festivals relève d’institutions politiques multiscalaires (régions, départements, communes, intercommunalités…) qui mettent à profit ces investissements financiers dans le secteur culturel pour valoriser leur action publique (BARTHON et al., 2007). L’exemple de l’organisation et du maintien de nombreux festivals en France et a fortiori dans la région PACA (Cf. Chapitre 4) est donc un argument supplémentaire en faveur de l’importance du poids économique au sein du secteur culturel.

Finalement plusieurs exemples étayent l’idée selon laquelle les secteurs créatifs au sens large (arts, culture, sciences, innovation, loisirs…) entretiennent des liens étroits avec la sphère économique. Les exemples développés dans le point précédent, montrent que cela est particulièrement visible dans les secteurs de l’économie culturelle.

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Par ailleurs, d’autres notions économiques gravitent autour de la question de la créativité. C’est le cas notamment de l’économie de la connaissance et de l’économie créative qu’il convient à présent de distinguer.

- L’émergence des champs de l’économie culturelle, de l’économie de la connaissance et de l’économie créative.

À travers une étude des définitions institutionnelles (ONU, OCDE…) dans le premier chapitre, nous avons déjà présenté certains éléments permettant de distinguer l’économie culturelle et l’économie créative. Ces définitions reposent entre autres, sur les notions subsidiaires d’industries culturelles et créatives. L’intérêt pour l’ensemble de ces réflexions économiques est double. D’abord, elles contribuent à l’approfondissement conceptuel de la notion de créativité. En ce sens, notre première ambition est ici de préciser les spécificités qui émanent des branches de l’économie culturelle, de l’économie de la connaissance et de l’économie créative. Puis, en analysant la dimension économique de la créativité, l’on s’intéresse spécifiquement aux lieux de la production créative et donc, à l’ancrage territorial qui en découle. À ce titre, plusieurs travaux (SCOTT, 2000 ; MASSEY, 2004 ; LERICHE et al., 2008 ; GRÉSILLON, 2010b ; LERICHE, DAVIET, 2010) établissent une relation entre l’émergence de ces nouvelles branches économiques et leur matérialité urbaine.

❖ Les caractéristiques de l’économie culturelle.

L’économie culturelle renvoie indéniablement à la polysémie du terme « culture » qui s’entend à la fois comme un ensemble de valeurs, de traditions, de modes de vie (sens ethnologique large) mais aussi comme une forme d’expression artistique (sens sociologique plus restreint). Cela dit, le champ de l’économie culturelle ne doit pas être réduit au seul domaine des arts (BENHAMOU, 2003). En effet, l’économie de la culture intègre également les industries culturelles au cœur de nombreuses réflexions scientifiques et institutionnelles (Cf. Chapitre 1). Ces dernières regroupent généralement des activités qui impliquent un triple processus de création, production et commercialisation de contenus culturels. Les principales industries concernées sont donc : le cinéma, l’édition de livres et de disques ainsi que les activités issues de l’économie des médias à savoir : la presse, la radio et la télévision (ibid.). L’intérêt scientifique pour les industries culturelles se fonde à la fin des années 1940 à travers la naissance de l’École de Francfort qui correspond à un mouvement académique rassemblant plusieurs intellectuels allemands.

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Ces derniers échangent autour de grandes thématiques économiques, sociologiques et philosophiques au sein de l’Institut de Recherche Sociale de l’Université Goethe à Francfort. Parmi eux l’on compte notamment les philosophes Mark HORKHEIMER et Theodor ADORNO qui vont être les premiers à conceptualiser l’idée d’industries culturelles dans leur ouvrage commun intitulé La Dialectique de la Raison (ADORNO, HORKHEIMER, 1944).

À cette époque, les membres de l’école de Francfort considèrent que le modèle économique

capitaliste s’oppose fondamentalement à la culture (SCOTT, LERICHE, 2005). Mais au-delà de cette simple opposition, T. ADORNO et M. HORKHEIMER considèrent que l’association de ces deux domaines (économie et culture) comporte certains biais qui justifient en partie l’acception très péjorative qu’acquière la notion d’industries culturelles dans leurs travaux. Selon eux, en s’industrialisant, l’art et la culture en général, perdent leur aura essentielle. Dès l’instant où elles seraient mises sur le marché et où la demande des futurs consommateurs tiendrait compte de leur utilité, les productions culturelles se déferaient ainsi de tout leur symbolisme (MIÈGE, 2017). Les deux chercheurs de l’école de Francfort dénoncent ainsi le caractère antinomique du diptyque industrie-culture et formulent une critique de la culture de masse qui tend à devenir le modèle de diffusion culturel le plus développé dans les pays occidentaux. L’exemple le plus souvent cité à ce titre est certainement la critique sévère qu’émet T. ADORNO envers l’influence du jazz et de son développement de plus en plus important par rapport à des styles musicaux plus classiques.

Les arguments critiques des auteurs se nourrissent par ailleurs d’autres réflexions plus anciennes et notamment de celle du philosophe allemand Walter BENJAMIN qui rédige en 1936 un texte intitulé L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique dans lequel il revient notamment – dans une approche critique -, sur la question de l’aura symbolique des biens et services culturels (BENJAMIN, 1939). À travers ces premières approches - qui trouvent d’ailleurs certains échos avec l’analyse de P. BOURDIEU précédemment étudiée -, il s’agit donc de mettre en avant l’industrialisation progressive de la culture (BOUQUILLION et

al., 2013) qui traduit selon ces auteurs, une forme de récupération économique mais aussi

d’instrumentalisation des secteurs créatifs tels que la musique, le cinéma ou la littérature par