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I. INTRODUCTION GÉNÉRALE

I.1. Le mercure

I.1.5. Transfert du mercure vers les organismes vivants

Toxicodynamique

Indépendamment de leur origine, les métaux peuvent être classés en éléments essentiels, indispensables aux êtres vivants, et non essentiels, i.e. sans aucun rôle physiologique connu. Ces derniers vont suivre les voies métaboliques d’absorption des éléments essentiels pour être bioaccumulés de manière plus ou moins importante par les organismes. Le mercure est l’un de ces éléments non essentiels dont la toxicité est avérée depuis fort longtemps (Ramade, 1979). Sa

méthylation est le premier pas crucial vers les processus de sa bioaccumulation dans les écosystèmes marins.

Le méthylmercure, dérivé organique du mercure, est très facilement assimilé par les organismes vivants aquatiques ; la quasi-totalité du mercure accumulée dans les poissons se révèle ainsi être sous cette forme (Bloom, 1992).

De par sa forte affinité pour les groupes sulfhydriques des protéines, le méthylmercure a un taux d’élimination relativement lent, ce qui facilite sa bioaccumulation dans les tissus biologiques. Or, le méthylmercure est fortement neurotoxique (WHO, 1990). Cette forme du mercure est à l’origine, entre autres, des maladies de Minamata : en 1956, le déversement accidentel de mercure d’origine industrielle dans la baie de Minamata au Japon provoqua le plus grand empoisonnement au mercure connu. La population, se nourrissant en grande partie des produits de la mer, fut ainsi exposée à de fortes doses de méthylmercure accumulé tout au long de la chaîne alimentaire côtière. Les victimes, appartenant le plus souvent à des familles de pêcheurs, furent atteintes d’importants troubles nerveux allant parfois jusqu’à la mort. En outre, des cas de maladies congénitales avec des états proches d’une infirmité motrice cérébrale furent observés chez les nouveau-nés, résultant soit des effets tératogènes du mercure soit d’un effet direct du méthylmercure sur le fœtus (Ramade, 1979 ; Clarkson, 1997).

Dès lors, l’assimilation et la bioaccumulation du méthylmercure par les prédateurs supérieurs marins et les populations humaines arctiques pourraient représenter un risque non négligeable pour ces organismes. L’importance de cette bioaccumulation dépend toutefois des processus physiologiques d’absorption, de stockage et d’excrétion de l’organisme.

Toxicocinétique

Une fois absorbé, le méthylmercure passe dans la circulation sanguine à partir de laquelle il est distribué aux divers organes et tissus (Figure I.9 ; WHO, 1990). Chez l’humain, cette distribution à l’ensemble de l’organisme est assurée dans les 2 jours qui suivent l’exposition (Clarkson, 1997).

Figure I.9. Modèle conceptuel des proportions moyennes du mercure total dans les différents tissus d’un petit phoque commun (Phoca vitulina) de Californie aux États-Unis en 2006. Les tissus ayant des échanges de mercure total avec le sang sont représentés par des rectangles tandis que les compartiments supposés sans échange avec le sang sont symbolisés ici par des ovales (d’après Brookens et al., 2008)

De nombreuses études ont montré que le foie était le site de stockage prédominant du mercure chez les mammifères marins, cétacés et pinnipèdes (Koeman et al., 1973 ; Wagemann & Muir, 1984 ; Wagemann et al., 1995 ; Caurant et al., 1996 ; Dietz et al., 1996, 1998a,b), affichant des concentrations de mercure 10 à 100 fois plus importantes que celles mesurées dans les autres tissus (Figure I.10). Cerveau et reins constituent aussi des organes cibles de l’intoxication mercurielle (Ramade, 1979 ; Wagemann et al., 1995 ; Dietz et al., 1996, 1998b), tandis que les muscles s’avèrent être des tissus d’imprégnation non négligeable (Wagemann et al., 1995 ; Dietz et

al., 1996). Ainsi, Wagemann et al. (1995) rapportent un rapport moyen de 3 entre les

concentrations de mercure hépatique et rénal de divers mammifères marins arctiques, et un rapport foie/muscle beaucoup plus important, affichant toutefois de très grandes variations en fonction des espèces. Toutefois, il convient de noter que, contrairement aux mammifères marins, l’ours polaire présente des concentrations de mercure généralement plus élevées dans le rein que dans le foie (Norheim et al., 1992 ; Dietz et al., 1996).

Figure I.10. Concentrations en mercure (µ g/g poids frais) vs âge dans les tissus mous, foie (carrés rouges), rein (carrés bleus) et muscle (triangles oranges), de phoques annelés de la région centre de l’Est du Groenland (n = 87). Les lignes représentent les courbes logarithmiques (De Dietz, 2008, d’après Dietz et al., 1998b)

Par ailleurs, il a été montré que le mercure organique était déméthylé dans le foie avant d’être fixé sous sa forme inorganique à un élément essentiel, le sélénium. Ce phénomène a été documenté dans différents organismes, et notamment dans les mammifères marins (Koeman et

al., 1973 ; Wagemann et al., 1983, 1998 ; Caurant et al., 1996 ; Dietz et al., 2000a). Le séléniure de

mercure qui en résulte, ou tiemannite, est insoluble et toxicologiquement inerte (Martoja & Berry, 1980). Par ailleurs, celui-ci n’est pas excrété et demeure ainsi stocké dans le tissu hépatique tout au long de la vie de ces animaux, ce qui confère au foie des mammifères marins des concentrations de mercure très élevées. La formation de séléniure de mercure permettrait aux organismes marins de faire face à des concentrations importantes de mercure et suggère une adaptation efficace à une exposition chronique élevée au méthylmercure (Caurant, 1994). Ce mécanisme a été observé dans le rein des mammifères marins (Wagemann et al., 1983 ; Caurant et al., 1996). Il a été montré que sa mise en place était progressive et dépendait à la fois du niveau d’imprégnation en mercure et en sélénium ou/et de l’âge de l’individu (Caurant et al., 1996). Les individus immatures vont ainsi avoir tendance à présenter des concentrations hépatiques plus élevées en mercure organique que les subadultes ou adultes (Wagemann et al., 1988 ; Caurant et al., 1996), tandis que la majeure partie du mercure accumulé dans le foie des mammifères marins adultes se présentera sous cette forme de séléniure de mercure.

Une autre voie d’élimination du caractère toxique du mercure reste à prendre en compte pour les femelles. En effet, le méthylmercure franchit la barrière placentaire et est donc transféré de la mère au fœtus lors de la gestation (Clarkson, 1997). Il a aussi été montré que les concentrations de mercure dans le sang du cordon ombilical étaient plus importantes que celles trouvées dans le sang de la mère. Enfin, le méthylmercure est aussi transféré de la mère vers le nouveau-né lors de la lactation (WHO, 1990). Toutefois, l’acquisition de mercure semble être plus importante au stade fœtal qu’au stade postnatal en ce qui concerne les pinnipèdes (Wagemann et

al., 1988).

Les tissus durs minéralisés, os et dents, accumulent des concentrations de mercure qui sont beaucoup moins importantes que celles rapportées pour les tissus mous (Honda et al., 1986 ; Eide & Wesenberg, 1993 ; Watanabe et al., 1996 ; Outridge et al., 2000). Durant la formation des dents, le mercure apporté par le sang est alors incorporé directement dans les dépôts de minéralisation à partir de celui-ci (Haller et al., 2003). Par la suite, cet élément n’est généralement pas remobilisé (Eide et al., 1993 ; Tvinnereim et al., 2000).

Le mercure est éliminé par l’urine, la bile, le lait maternel et les fèces (WHO, 1990 ; Clarkson, 1997), ainsi que par les tissus kératinisés, plumes et cheveux/poils. Ainsi, le mercure est incorporé principalement sous sa forme organique dans les poils et les cheveux directement à partir du sang lors de la formation de ces tissus. Par la suite, le contenu en mercure des poils et cheveux n’est théoriquement pas modifié (Clarkson, 1997). Chez les humains, le rapport sang/cheveu des concentrations de méthylmercure est estimé à 1/250, avec toutefois d’importantes variations individuelles mises en évidence (WHO, 1990).