• Aucun résultat trouvé

III. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS ET DISCUSSION

III.2. Facteurs d’influence de l’accumulation du mercure

III.2.3. Influence du régime alimentaire

Trois voies principales d’exposition du mercure chez les mammifères marins ont été décrites par Law (1996) :

- via le placenta avant la naissance

- via le lait lors de l’allaitement

- via l’alimentation

Ainsi, après le sevrage, l’exposition d’un mammifère marin au mercure semble se produire principalement au travers de son alimentation, et le contenu des tissus en mercure n’est alors que le reflet de la balance entre ingestion et élimination.

Des variations de régime alimentaire avec l’âge ont été rapportées chez le phoque annelé (Lowry et al., 1980 ; Holst et al., 2001 ; Born et al., 2004) et d’autres espèces de pinnipèdes (Burns

et al., 1998 ; Annexe 3). Ces différences peuvent s’expliquer par des capacités de plongée plus

réduites ou la consommation de proies plus petites par les jeunes individus, ainsi que par des besoins physiologiques qui diffèrent entre les individus juvéniles et adultes (Reeves et al., 1992 ; Holst et al., 2001). Par ailleurs, certaines espèces de mammifères marins présentent aussi des variations dans leur comportement alimentaire entre les deux sexes (Caurant, 1994). Celles-ci résultent principalement d’une différence dans les besoins énergétiques entre les mâles et les femelles, tout particulièrement lors de la gestation et de la lactation pour les femelles, et sont généralement accentuées chez les espèces qui présentent un dimorphisme important pouvant induire une dilution des concentrations chez les individus les plus gros.

Dans le milieu aquatique, le mercure inorganique est méthylé pour donner des composés organiques, en l’occurrence le méthylmercure, à la biodisponibilité très élevée. Absorbé ou adsorbé par le plancton, le méthylmercure, alors transféré à la chaîne alimentaire, se retrouve être la forme principale du mercure accumulé dans les poissons (95-99% ; Bloom, 1992) et les céphalopodes (70-90% ; Bustamante et al., 2006). Du reste, cet élément est connu pour être biomagnifié progressivement vers les niveaux trophiques les plus élevés (Atwell et al., 1998 ; Rigét et al., 2007b) et les concentrations de mercure dans les organismes sont ainsi fonction de leur régime alimentaire, qui conditionne l’exposition, et de leur niveau trophique.

La détermination des isotopes stables de l’azote, méthode communément utilisée pour investiguer les relations et les niveaux trophiques, a ainsi permis d’étudier et de mettre en évidence la bioamplification du mercure, entre autres contaminants, dans les chaînes alimentaires de

l’écosystème arctique (Atwell et al., 1998 ; Hobson et al., 2002 ; Campbell et al., 2005 ; Rigét et

al., 2007b ; Jæger et al., 2009).

Toutefois, la bioamplification du mercure est difficilement détectable au sein d’une même espèce, les variations de régime alimentaire intraspécifiques étant rarement de l’ordre d’un ou plusieurs niveaux trophiques. Elle est principalement observée interspécifiquement ou plus largement à l’échelle d’un réseau trophique où plusieurs niveaux trophiques sont alors représentés. Ainsi, Jæger

et al. (2009) ne rapportent aucune corrélation entre les concentrations de mercure et les rapports

isotopiques d’azote à un niveau intraspécifique au sein de la chaîne alimentaire de Svalbard, du copépode aux oiseaux marins, mais observent une corrélation significative quand l’ensemble des espèces d’oiseaux marins est considéré.

De même, l’étude des concentrations de mercure et des rapports isotopiques d’azote dans les dents des phoques annelés des deux régions centres de l’Est et de l’Ouest du Groenland ne montre aucune corrélation lorsque le test est réalisé sur les individus d’une seule région (p = 0,87 et p = 0,21 ; respectivement), tandis qu’une corrélation significative est observée lorsque le test porte sur l’ensemble des individus (p<0,01) (Annexe 1).

De la même manière, les résultats de notre étude montrent une corrélation entre les concentrations de mercure (transformées en log) et les valeurs d’isotopes stables d’azote pour un ensemble d’espèces de pinnipèdes aux régimes alimentaires variés (r = 0,78 ; p < 0,001 ; Figure III.10 ; annexe 3). Ainsi, les concentrations de mercure déterminées dans les poils de ces espèces augmentent avec les signatures d’isotopes stables, i.e. les niveaux trophiques de ces différentes espèces. Toutefois, il convient de noter que cette étude compare différentes espèces de pinnipèdes provenant de trois écosystèmes différents, Groenland, Danemark et Antarctique. Or, les facteurs d’influence des valeurs d’isotopes stables, biotiques et abiotiques, sont nombreux ; à titre d’exemple, les valeurs isotopiques d’azote tendent à varier à la base des chaînes alimentaires d’un écosystème à l’autre (Cabana & Rasmussen, 1996), tandis que les signatures isotopiques de carbone du plancton varient avec la latitude (Rau et al., 1982).

Figure III.10. Relation entre les concentrations de mercure (µg/g ps) et les rapports isotopiques d’azote (‰) dans les poils d’un phoque de Ross (n = 1), de phoques de Weddell (n = 12), de phoques crabiers (n = 33), de phoques communs (n = 11), de phoques gris (n = 3), de phoques annelés (n = 24) et d’un phoque barbu (n = 1) de trois zones géographiques distinctes, Groenland, Danemark et Antarctique. Les barres représentent les erreurs standards des moyennes des concentrations. L’axe des ordonnées est gradué en échelle logarithmique.

Ainsi, au vu de l’influence de l’alimentation sur l’exposition d’un organisme au mercure et de l’âge sur les préférences ou les stratégies alimentaires de celui-ci, la comparaison des niveaux de mercure entre les ours polaires et les phoques annelés ainsi que l’investigation des variations de mercure dans le temps ou l’espace chez ces deux espèces, implique la prise en compte de l’âge comme covariable dans les analyses, ou encore, la sélection d’une classe d’âge au préalable.

La comparaison des concentrations de mercure dans les dents des deux espèces a ainsi été réalisée sur des individus âgés d’au moins 5 ans pour limiter l’influence de tous transferts prénataux (cf. paragraphe III.2.2) et les moyennes d’âges résultantes pour chacune des deux espèces ne diffèrent ni pour les individus de l’Est du Groenland (t = -0,8 ; p = 0,4), ni pour ceux du Canada (t = 0,8 ; p = 0,4). Par ailleurs, les individus ours polaires et phoques annelés de la région centrale de l’Est du Groenland proviennent de la même période, de 1999 à 2001, tandis que les ceux de la région du Sud du Canada ont été prélevés dans les années 2009 et 2000 respectivement, ce qui permet de limiter tout effet temporel potentiel dans la détermination de ces niveaux de mercure. Les résultats des t-tests comparant les concentrations (log transformées) entre les deux

espèces révèlent une différence significative pour les individus de l’Est du Groenland (t = -5 ; p<0,001) tandis qu’aucune différence n’a été détectée pour ceux de la région Sud du Canada (t = -1,4 ; p = 0,16) (Figure III.11).

Figure III.11. Comparaison des niveaux de mercure (en ng/g ps) dans les dents des ours polaires et des phoques annelés d’un âge supérieur à 4 ans, du Sud de l’Arctique canadien de 2000 et 2009 (à gauche, n = 18 pour les ours, n = 16 pour les phoques) et de l’Est du Groenland entre 1999 et 2001 (à droite, n = 37 pour les ours, n = 28 pour les phoques). Les barres verticales aux extrémités des boîtes représentent les valeurs maximales et minimales, le trait en gras, la valeur médiane, tandis que les points représentent les individus détectés comme outliers. Les axes des ordonnées sont gradués en échelle logarithmique.

Dans l’Est du Groenland, l’ours polaire présente des concentrations de mercure dans les dents plus importantes que les phoques annelés; toutefois, les concentrations observées chez ces deux espèces dans la région Sud du Canada sont similaires. Ces niveaux d’imprégnation en mercure similaires pourraient être liés au fait que l’ours polaire se nourrit préférentiellement des graisses des phoques, un tissu qui présente des concentrations relativement faibles en mercure comparativement au muscle ou au foie chez les pinnipèdes en général (Johansen et al., 1980 ; Yamamoto et al., 1987 ; Watanabe et al., 1996). Cependant, la différence observée dans les niveaux de mercure des individus provenant du Groenland, ainsi que la bioamplification avérée du mercure dans les chaînes alimentaires arctiques (Figure III.12) suggèrent que l’absence de différence entre ces deux espèces au Sud de l’Arctique canadien serait liée aux individus de cette zone géographique en particulier. Ainsi, dans la baie d’Hudson, la région d’où proviennent ces individus, la banquise disparaît complètement en été, forçant alors les ours polaires à passer plusieurs mois à terre. Durant cette période, les individus n’ont plus accès à leur ressource principale, le phoque (Derocher & Stirling, 1990) et sont alors amenés à se nourrir de végétaux et de charognes (Derocher et al.,

1993). Ainsi, les ours de cette région se nourrissant sur des niveaux trophiques relativement bas une partie de l’année, leur exposition alimentaire annuelle au mercure résultante tendrait alors à être, d’une manière générale, inférieure à celle des ours des autres régions de l’Arctique.

Figure III.12. Bioamplification du mercure dans le réseau alimentaire marin Arctique. Les facteurs indiqués reposent sur des concentrations en poids sec déterminées dans l’ensemble de l’organisme pour invertébrés et poissons et en poids frais dans le muscle pour les poissons et les prédateurs supérieurs, excepté pour l’ours polaire pour lequel le foie a été utilisé à la place du muscle (d’après Muir et al., 1999).

TENDANCES SPATIALES DU MERCURE EN ARCTIQUE