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III. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS ET DISCUSSION

III.7. Signification du mercure dans les poils ou les dents : influence de la structure

III.7.1. Les tissus kératinisés : cheveux, poils, plumes

Le mercure est incorporé au tissu directement à partir du sang lors de la kératinisation de celui-ci (Clarkson et al., 2007) et le tissu reflète ainsi le niveau de mercure dans le sang au moment de sa formation (Renzoni & Norstrom, 1990 ; Ikemoto et al., 2004). Par la suite, le tissu devenant métaboliquement inerte, son contenu en mercure n’est pas modifié (Clarkson, 1997) et il devient alors quasiment impossible de séparer le mercure de cette matrice sans altérer considérablement les structures mêmes de ce tissu (Toribara & Muhs, 1984). Des études ont montré chez l’Homme qu’une forte corrélation existait entre les concentrations de méthylmercure ou de mercure total dans les cheveux et le sang et la consommation d’organismes marins, i.e. poissons et mammifères marins (Hansen, 1981 ; Renzoni et al., 1998 ; Björnberg et al., 2003), avec un rapport sang/cheveu pour le méthylmercure estimé à ca 1/250 avec, toutefois, une grande variabilité intra-individuelle rapportée (WHO, 1990 ; Clarkson, 1997). Ainsi, les cheveux sont largement utilisés pour évaluer l’exposition individuelle de l’Homme au mercure dans le cadre de recherches environnementales ou professionnelles et sont ainsi recommandés par l’OMS comme tissu bio-indicateur des niveaux de cet élément dans le sang (WHO, 1990).

À la différence des cheveux chez l’Homme, les poils de mammifères marins ne suivent pas une croissance continue, mais sont renouvelés durant une période courte lors de la mue annuelle de l’animal (Wiig et al., 1999) et des quantités importantes de mercure comparativement à celles trouvées dans les tissus ou organes internes sont alors excrétées durant ce processus (Wenzel et al., 1993 ; Watanabe et al., 1996 ; Brookens et al., 2008 ; Gray et al., 2008). Il en est de même pour les oiseaux, bien que les plumes puissent se renouveler de façon échelonnée afin que les individus ne perdent pas leur capacité de vol.

Le poil ou les plumes ont donc été utilisés dans de nombreuses études pour un monitoring non-invasif du mercure chez les pinnipèdes (Wenzel et al., 1993 ; Yediler et al., 1993 ; Watanabe et al.,

1996), chez des espèces telles que l’ours polaire (Eaton & Farant, 1982 ; Born et al., 1991) et chez les oiseaux (Thompson et al., 1998).

Si des corrélations ont pu être établies entre les concentrations de mercure dans certains tissus kératinisés et le sang, il reste difficile d’établir un lien constant et prévisible entre les niveaux d’imprégnation en mercure des poils et ceux des tissus et organes internes. Ainsi, certains auteurs observent une corrélation entre les concentrations de mercure dans les poils et celles dans les tissus mous, i.e. muscle, rein et foie, chez les phoques (Watanabe et al., 1996) et les ours polaires (Born

et al., 1991), alors que d’autres rapportent une absence de corrélation chez ces mêmes espèces

(Renzoni & Norstrom, 1990 ; Ikemoto et al., 2004). L’absence de corrélation paraît logique puisque la demi-vie du méthylmercure dans le sang est d’environ 1 mois et demi (Smith et al., 1994) alors qu’elle est de plusieurs mois à plusieurs années selon les organes considérés (rein ou foie). De plus, le mercure est cumulatif dans le foie des mammifères marins. Par ailleurs, la mue annuelle dure quelques semaines chez les phoques annelés (Freitas et al., 2008) et s’étale sur plusieurs mois chez l’ours polaire (Born et al., 1991). Ainsi, la variabilité dans les fréquences de corrélations entre niveaux de mercure dans le poil et les tissus mous internes provient du fait que le mercure contenu dans le foie ou le rein résulte d’une bioaccumulation et d’un stockage de celui-ci sur plusieurs mois voire années et ne correspond donc pas au contenu du mercure incorporé dans les poils sur une période de quelques semaines ou quelques mois, selon l’espèce considérée.

D’autres raisons secondaires peuvent être invoquées. Ainsi, l’hétérogénéité du matériel prélevé en termes de facteurs biologiques, i.e. sexe et âge des individus étudiés, peut conduire à des différences interindividuelles de métabolisme, au niveau des processus de déméthylation, d’organotropisme et d’excrétion du mercure.

Les poils constituent donc une des voies naturelles d’élimination du mercure et la détermination du contenu en mercure de ce tissu constitue un bon indicateur du degré de contamination de leur organisme au travers du mercure circulant dans le sang (Ramade, 1979). Dans le cas des pinnipèdes ou de l’ours polaire, c’est donc l’exposition alimentaire de court terme (la durée de croissance du poil) qui est révélée.

D’une manière générale, les tissus kératinisés, poils, cheveux, et plumes peuvent donc permettre de réaliser des suivis de l’exposition alimentaire ou environnementale au mercure des organismes (Clarkson, 1997 ; Nuttall, 2006). Les variations spatiales d’exposition d’une même espèce peuvent ainsi être facilement appréhendées mais les différences constatées ne seront valables que pour une partie de l’année, sans qu’il soit possible d’extrapoler les résultats à l’année entière. Dans le cas où des variations géographiques seraient explorées par l’analyse d’espèces

différentes, les périodes et la durée des mues devront être aussi proches que possible. Par contre, ce tissu se prête bien à l’étude des variations temporelles puisque la même période est comparée entre les différentes années, ce qui élimine l’influence des variations saisonnières dans l’interprétation des données de séries temporelles. Par contre, il est impossible avec les poils (comme c’est le cas avec les vibrisses chez les pinnipèdes ou les cheveux chez l’Homme) d’avoir accès à l’historique individuel, à moins d’être en mesure de prélever le poil d’un même individu tous les ans.

III.7.2. Les tissus minéralisés : dents

Les dents et autres tissus minéralisés sont plus communément utilisés dans le cadre d’études sur la reconstruction de l’exposition aux contaminants, i.e. dans des études historiques, archéologiques voire paléontologiques. Leur utilisation dans de telles études repose sur leur pérennité, i.e. leur résistance aux dégradations physiques et chimiques qui conduit à une bonne préservation au cours du temps (Outridge, 2005 ; Dietz et al., 2009). Comme pour les poils, les éléments métalliques tels que le mercure se déposent dans les dents directement à partir du sang lors de leur minéralisation et ne sont généralement pas soumis à remobilisation par la suite (Eide et

al., 1993). Chez les mammifères marins, les dépôts minéraux dans les dents s’incrémentent de

façon continue tout au long de la vie de l’individu, sauf dans certains cas d’usure prononcée ou encore d’occlusion de la cavité pulpaire avec l’âge chez certaines espèces (Outridge, 2005 ; Dietz

et al., 2009). Les dents constituent ainsi des bioarchives qui reflètent l’imprégnation moyenne au

mercure sur un long terme voire à l’échelle de la vie.

Des travaux des années 90 sur les rats ont montré que les concentrations de mercure dans les dents étaient significativement corrélées à l’exposition de mercure organique et inorganique et avec les concentrations de mercure dans les tissus mous (Eide & Wesenberg, 1993 ; Eide et al., 1995). Par ailleurs, Outridge et al. (2000) ont établi des corrélations entre les concentrations de mercure dans les dents et les tissus mous, i.e. rein, foie, muscle et muktuk (peau et graisses) des bélougas (Monodon monoceros) et concluent que la dent (tout du moins le cément utilisé dans ce cas) est un bon tissu de biomonitoring des niveaux de mercure dans les tissus mous chez le bélouga. Toutefois, comme mentionné précédemment, le mercure est cumulatif dans le foie avec l’âge (Koeman et al., 1975) et représente ainsi un stockage sur le long terme. Par contre, le mercure est incorporé dans les dents en même temps que leur minéralisation et donc avec dépôt de matériel. Il n’est donc pas à

proprement parler cumulatif et les concentrations déterminées dans les dents vont refléter une exposition alimentaire moyenne sur plusieurs années voire sur l’ensemble de la vie de l’individu. L’utilisation des dents in toto est donc appropriée à l’étude de variations géographiques de l’exposition des mammifères marins au mercure, mais suppose que les individus soient relativement sédentaires ou fréquentent les mêmes zones tout au long de leur vie, les concentrations dans les dents reflétant alors une zone géographique moyenne. En outre, l’avantage de la structure et construction de ce tissu est qu’il permet de reconstituer les historiques individuels en étudiant chacun des dépôts annuels constituant la dent et d’identifier ainsi des déplacements ou des migrations qui auraient lieu au cours de la vie d’un individu. Les dents permettent également de reconstruire de longues séries temporelles d’exposition au mercure. Cependant, les tendances observées seront d’autant plus pertinentes qu’il aura été possible d’avoir accès à suffisamment d’individus ayant vécu à des périodes différentes, ce qui est problématique pour des espèces à durée de vie longue comme la plupart des mammifères marins.